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GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE) Le rôle des colonies

Depuis la fin des années 1990, dans le sillage de l’essor des études postcoloniales et de l’histoire globale, l’histoire de la Grande Guerre connaît un tournant impérial (imperialturn) qui met en exergue la place et le rôle des colonies dans celle-ci et insiste sur les circulations impériales. Alors qu’elle a longtemps été considérée comme un affrontement entre États-nations, la Première Guerre mondiale est ainsi de plus en plus appréhendée comme un conflit opposant des empires globaux multiethniques. L’appel massif aux colonies provoque l’arrivée en Europe de centaines de milliers de soldats et de travailleurs venus de tous les continents et confirme le caractère impérial d’une guerre qui transforme à bien des égards les représentations et les pratiques coloniales. Pour la France, ce sont ainsi entre 800 000 et 900 000 hommes valides, soldats et travailleurs confondus, qui sont recrutés.

Un recours massif aux soldats coloniaux

Tirailleurs sénégalais en Champagne, 1914 - crédits : Gusman/ Leemage

Tirailleurs sénégalais en Champagne, 1914

Au cours du xixe siècle, les Européens, qui s’appuient tous sur des auxiliaires africains ou asiatiques pour mener à bien leurs conquêtes coloniales, sont réticents à utiliser ces auxiliaires dans les affaires intra-européennes. Cette unité de vue se fissure au début du xxe siècle avec le projet du général Mangin, qui avait servi le capitaine Marchand lors de la mission Congo-Nil et qui connaissait donc bien les tirailleurs sénégalais. Lorsqu’il paraît en 1910, son ouvrage, La Force noire, fait l’effet d’une bombe : Mangin propose de lever une armée africaine qui serait cantonnée en Afrique du Nord et qui serait ainsi disponible pour combattre sur le continent européen. C’est la première fois qu’est sérieusement envisagé le recours en Europe à des troupes formées d’« indigènes ». À la veille de la guerre, l’armée française compte environ 135 000 indigènes, presque tous employés outre-mer et répartis entre l’armée d’Afrique, liée à la conquête de l’Algérie et plus globalement à l’Afrique du Nord, et les troupes coloniales, héritées des anciennes « troupes de marine » et qui ont contribué à la conquête de vastes territoires en Afrique et en Asie. À la fin de la guerre, on en compte quatre fois plus : au total, quelque 180 000 hommes sont levés en Afrique-Occidentale française (AOF) et Afrique-Équatoriale française (AEF), 270 000 en Afrique du Nord, 49 000 en Indochine et 41 000 à Madagascar. Ainsi, outre quelque 130 000 Français d’outre-mer mobilisés (Français des colonies, Créoles des vieilles colonies, Français d’Afrique du Nord), ce sont environ 600 000 combattants indigènes qui sont mobilisés dans les troupes coloniales, soit 1 p. 100 de la population coloniale. Mais, en réalité, seulement 134 000 Noirs et 158 000 Algériens musulmans rejoignent la France ou le front d’Orient pour y combattre en tant que « tirailleurs » sénégalais, annamites et malgaches, spahis ou encore zouaves nord-africains. Encore faut-il préciser que sur les quelque 130 000 tirailleurs sénégalais, 30 000 sont arrivés à la fin de 1918 et n’ont pas combattu. Cette participation des troupes coloniales doit être mise en regard des 8,7 millions d’hommes mobilisés en métropole (20 p. 100 de la population) ; il n’y eut guère plus de 20 000 à 25 000 tirailleurs noirs présents ensemble sur le front de France par exemple, sur les 2 à 2,2 millions d’hommes que compta celui-ci pendant la guerre.

L’appel aux colonies n’est pas le seul fait de la France. Dès les premiers mois de la guerre, la Grande-Bretagne sollicite les citoyens des quatre dominions (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Union sud-africaine) d’abord par le volontariat, puis par la conscription. Elle parvient à recruter plus de 1,3 million d’hommes, auxquels viennent s’ajouter 1,4 million d’Indiens, 57 000 Africains ainsi que quelques bataillons des Indes occidentales[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire contemporaine à l'université des pays de l'Adour, laboratoire Identités, territoires, expressions, mobilités

Classification

Médias

Tirailleurs sénégalais en Champagne, 1914 - crédits : Gusman/ Leemage

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