GÉNIE CHIMIQUE
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Les bases techniques
Le principe fondamental de toute opération de transformation de la matière est toujours le même. Il consiste à préparer les courants contenant les produits de base en réalisant un contact intime des phases en présence ; à permettre que se développent des réactions et des transferts de matière et de chaleur, sous les différences de potentiel adéquates ; à séparer les phases et les constituants du mélange résultant. Tout procédé se résume ainsi à un ensemble d'opérations unitaires et de réacteurs qui font appel à des technologies différentes pour assurer les échanges.
Opérations unitaires
Pour l'essentiel, les opérations unitaires sont des opérations mettant en jeu des transferts de nature physique : elles visent à concentrer ou à séparer les constituants d'un mélange. Le choix de l'une ou de l'autre dépend de différentes considérations : la possibilité effective de séparation sur des bases thermodynamiques, par exemple une différence appréciable de température d'ébullition dans le cas d'une distillation ; la possibilité offerte par la cinétique physique d'avoir un transfert plus ou moins rapide selon la nature des phases en présence ; la volonté d'utiliser préférentiellement certaines sources d'énergie (séparations mettant en jeu, par exemple, de l'énergie électrique) ; le souhait d'économiser de l'énergie ou de diminuer les frais de fonctionnement ainsi que celui d'abaisser les coûts d'investissement.
Le tableau 1 présente un classement des opérations unitaires à partir des quantités d' énergie thermique mises en jeu. On distinguera les opérations dont les échanges n'engendrent pas, ou pratiquement pas, de transferts de chaleur ; celles qui, au contraire, nécessitent des apports ou des retraits importants d'énergie par suite d'un changement d'état physique de la matière ; les opérations mixtes qui se déroulent de manière isotherme ou non selon les concentrations considérées et qui intéressent notamment les épurations en présence d'une phase gazeuse inerte en large excès.
Pour faciliter et rendre plus efficace les séparations, il peut être judicieux de mettre en œuvre simultanément plusieurs opérations unitaires aux fonctions complémentaires (séchage et adsorption par exemple). Dans le même esprit, les opérations unitaires peuvent être couplées avec des réactions chimiques. Une des tendances actuelles de la bio-industrie est, par exemple, d'extraire en continu des fermenteurs, par des séparations sur membranes, les métabolites qui, en forte concentration, exerceraient un effet inhibiteur à l'égard des systèmes enzymatiques ou des micro-organismes présents (couplage ultrafiltration - bioréacteur).
Réacteurs
Les réacteurs sont les appareils qui, au cœur d'une unité de transformation industrielle de la matière, sont destinés à permettre à une réaction chimique ou biochimique de s'accomplir. Ils peuvent être classés en fonction du mode ou des techniques de mise en contact de phases utilisés (réacteurs en lit fluidisé, réacteur tubulaire par exemple) ou de la nature des phases en présence (réacteurs homogènes ou réacteurs hétérogènes). Il est commode de différencier les appareils suivant le mode d'alimentation : alimentation par charges discontinues (« batch », « semi-batch »), qui offre l'avantage de permettre un traitement uniforme de la matière, mais qui implique un suivi permanent de l'opération selon un programme préétabli ; ce type d'appareil a la faveur des industriels pour les opérations jugées très délicates (bioréacteurs) et les petites productions (chimie fine) ; ou alimentation continue et soutirage correspondant ; cette solution est en général préconisée pour bénéficier des avantages du régime permanent et d'une assistance moindre.
Techniques employées
Transferts entre phases
Dans le cas d'opérations unitaires, l'organe élémentaire d'échange est l'« étage » ou « plateau », élément technologique fondamental qui a pour fonction de mettre en contact les phases afin de provoquer des transferts de matière, de les mélanger intimement jusqu'à l'obtention d'un état proche de l'équilibre, puis de les séparer (fig. 3). Lorsque les phases issues de cet étage sont en équilibre entre elles, au sens thermodynamique du terme, l'étage est dit théorique ou parfait, offrant ainsi une efficacité de 100 p. 100.
Un étage, même parfait, assure rarement à lui seul l'enrichissement désiré. Souvent, une série d'étages est employée, la variation de concentration étant d'autant plus importante que le nombre d'étages est plus élevé. Au fur et à mesure que les phases progressent dans les appareils, elles subissent un enrichissement ou un appauvrissement, mais l'évolution du transfert de matière dépend surtout du mode de mise en contact qui a été retenu. Fondamentalement, il existe trois modes de mise en contact des phases, comme le montre la figure 4 :
– les échangeurs à contre-courant, dits encore méthodiques, assurent les efficacités de séparation les plus grandes, permettant la sortie de deux phases complètement purifiées aux deux extrémités de l'appareil ;
– les échangeurs à co-courant, ou antiméthodiques, pour lesquels les phases sortent au mieux en équilibre mutuel comme si elles étaient intimement mélangées, si bien que cette solution équivaut à un seul étage théorique ;
– les échangeurs à courants croisés ; cette disposition autorise des échanges multiphases, mais avec des temps de contact généralement courts entre les phases, car elles ne cheminent pas ensemble.
Types d'écoulements
Parallèlement aux trois types d'échangeurs mentionnés précédemment, il convient de prendre en considération la nature de l'écoulement et la distribution des temps de séjour qui en résultent. Il existe deux situations limites :
– L'écoulement piston, caractérisé par le fait que tous les éléments situés dans une section droite d'un échangeur tubulaire progressent à la même vitesse, comme poussés par un piston. Le temps de séjour dans l'échangeur est théoriquement le même pour tous les éléments d'un même courant : on obtient de la sorte un traitement très uniforme de la matière.
– Le mélange parfait, qui se traduit par l'uniformité des propriétés physico-chimiques (concentration, température) en tout point de l'appareil. En réalité, il y a lieu de distinguer entre macromélange à l'échelle de l'appareil et micromélange à l'échelle d'éléments différentiels. Dans le cas d'un fonctionnement continu, le mélange parfait donne lieu à un saut brusque de concentration à l'entrée dans l'appareil. Mais sa caractéristique majeure est surtout la dispersion ou distribution des temps de séjour (D.T.S.) des éléments d'une même phase : certains quittent l'appareil dès l'introduction en véritable court-circuit, d'autres séjournent très longtemps par suite de recirculations. C'est un gros inconvénient auquel il importe de remédier. Une solution est de mettre en série plusieurs mélangeurs parfaits, car on réduit ainsi l'écart de dispersion.
Toute unité réelle de transformation de la matière présente un cas intermédiaire entre, d'une part, la situation du mélangeur (parfait ou non), avec éventuellement un court-circuit ou, à l'inverse, de véritables zones mortes, et, d'autre part, la situation de l'écoulement piston avec un mélange longitudinal plus ou moins accentué.
Techniques de mise en contact de séparation de phases
Les quantités de matière (ou de chaleur) échangées ou transformées dans une opération industrielle sont proportionnelles à une différence de potentiel et à la surface offerte. On a donc intérêt à avoir une surface maximale par unité de volume de contacteur. Dans ce but, on utilise des milieux « dispersés » constitués, par exemple, par des bulles de gaz dans un liquide ou par de fines particules dans un courant fluide. Dans tous les cas, on essaie de maintenir une surface de contact importante en évitant, si c'est nécessaire, les phénomènes de coalescence entre les gouttes ou entre les bulles de gaz. Pour obtenir de bonnes intensités de transfert, il est essentiel que les tailles des globules ou des particules soient petites, et aussi relativement uniformes. On s'oriente de plus en plus vers l'utilisation de contacteurs à trois phases, par exemple la fluidisation de particules solides par un liquide avec injection de gaz. Des applications intéressantes sont envisagées en bio-industrie.
On trouvera au tableau 2 un classement des techniques de mise en contact des phases selon leur mobilité relative et le mélange qu'elles produisent. L'échange réalisé, on sépare les phases. Dans la majorité des cas, cette opération ne se fait pas aisément, car les propriétés physiques dont l'influence a été bénéfique pour la mise en contact (masse volumique, tension superficielle, viscosité) s'opposent à la séparation. On peut classer les opérations de séparation en fonction de la nature du champ de force appliquée : champ de gravité (décantation), champ de pression (filtration), etc.
Aspect énergétique
Toutes les réactions et opérations unitaires de séparation nécessitent des échanges d'énergie appropriés avec le milieu extérieur : fourniture d'énergie mécanique pour faire circuler les produits, imposition de pressions favorables à l'accomplissement des réactions et des transferts, fourniture d' énergie thermique pour créer les différences de potentiel ad hoc, c'est-à-dire les différences de température propices aux échanges ou à la rupture des liaisons avec la matière ( chaleur de réaction, chaleur de sorption), etc. Pour leur part, les réactions mises en jeu peuvent à leur tour fournir de l'énergie au milieu extérieur (énergie thermique).
Il faut tirer le meilleur parti des potentialités énergétiques et des affinités des produits (au sens thermodynamique) de manière à obtenir un bilan aussi favorable que possible. Il s'agit de trouver le bon compromis entre, d'une part, la dépense énergétique qui est destinée à améliorer les cinétiques de transfert et qui concourt de ce fait à une augmentation de la compacité des appareils (diminution des frais d'investissement) et, d'autre part, des économies sur les frais de fonctionnement avec l'établissement d'échanges plus lents, donc des appareils plus volumineux.
Le tableau 3 présente les techniques de transfert et de transformation de l'énergie. On peut distinguer les opérations de conversion réciproque d'énergie (dégradation d'énergie mécanique en énergie thermique ou, au contraire, production d'énergie mécanique à partir de sources thermiques), les opérations d'échange d'énergie mécanique (mise en charge d'un fluide par une pompe), les opérations d'échange thermique (échangeurs de chaleur). Sans la mise en œuvre de ces opérations, qui requièrent en général des dispositifs technologiques assez complexes, aucune transformation de la matière n'est possible à l'échelle industrielle.
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Écrit par
- Henri ANGELINO : directeur de l'École nationale supérieure d'ingénieurs de génie chimique, Toulouse
- Henri GIBERT : professeur à l'Institut national agronomique, Paris-Grignon, chef du département équipement des industries agro-alimentaires du Cemagref
- Pierre PIGANIOL : conseil en politique scientifique
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