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ESCHYLE (env. 525-456 av. J.-C.)

Le théâtre d'Eschyle a tant de grandeur qu'il fascine et intimide. La profondeur des problèmes qu'il a su lire dans les vieux mythes grecs, l'acuité avec laquelle se traduit chez lui la crainte constante des dieux, la richesse de son lyrisme, aux formes âpres et mystérieuses, tout cela peut y contribuer. Mais ces mérites correspondent aussi à la place qu'occupe Eschyle dans l'histoire littéraire : Eschyle, en tout, marque un début.

Eschyle - Athènes - crédits : Araldo de Luca/ Corbis/ Getty Images

Eschyle - Athènes

Il est, d'abord, le premier tragique – le premier au sens absolu du terme, le premier de tous les temps. Il n'est pas, sans doute, l'inventeur de la tragédie ; on connaît les noms de certains auteurs qui l'ont précédé. Mais il n'y en avait pas eu beaucoup : au moment où naissait Eschyle, le genre tragique venait tout juste d'être officiellement reconnu à Athènes. Et, des diverses tragédies antérieures à Eschyle, pas une n'a été conservée.

Tout se passe donc comme s'il avait été le premier à faire de ce genre encore gauche et récent le moyen d'expression humaine qu'il devait continuer à être pendant tant de siècles : s'il n'en est pas l'inventeur, Eschyle est donc, par là, le créateur de la tragédie.

Il ouvre un genre. Il ouvre aussi une époque. Son œuvre se place au début de ce ve siècle avant J.-C. qui fut l'âge du rayonnement athénien. Il combattit à Marathon, à Salamine, luttant dans cette guerre médique qui devait sauver sa patrie, puis valoir à celle-ci l'hégémonie, la gloire, bientôt l'empire. Il est de l'âge qui fonde et qui instaure, et son œuvre respire cette ardeur intérieure.

En revanche, il n'a pas participé au grand renouveau intellectuel que devait connaître le ve siècle. Il est, avant les autres, un Ancien. Il a trente ans de plus que Périclès, et si Périclès fut, dit-on, le jeune chorège qui se chargea de faire représenter Les Perses d'Eschyle, en 472, il venait tout juste de prendre le pouvoir quand Eschyle mourut en Sicile : Eschyle n'a rien connu de la grandeur de Périclès. De même, il a trente ans de plus que Sophocle, quarante-cinq ans de plus qu'Euripide, cinquante-cinq ans de plus que Socrate. C'est bien pourquoi il diffère tant de ces derniers, pourquoi son œuvre rend un son autre. Il a connu la lutte héroïque contre le barbare : ils ont, eux, au contraire, connu les difficultés de la souveraineté sur les Grecs. Il a été formé à la pensée pieuse et morale des sages : ils ont, eux, au contraire, été élèves des sophistes, ils ont connu leurs hardiesses, leurs habiletés, leur intellectualisme. Rien d'étonnant, donc, à ce que, dès la fin du ve siècle, les Grecs d'alors aient vu en Eschyle le grand poète du passé, sublime, mais déjà archaïque, héroïque, mais déjà loin d'eux.

Entre Eschyle et les autres, on dirait qu'il y a une sorte d'affaissement, que le niveau n'est plus le même. Non pas qu'Eschyle soit nécessairement supérieur aux autres (est-on supérieur à Sophocle ?), mais il vit dans un monde plus élevé, il vit en présence des dieux. Tout, chez lui, revêt une valeur symbolique et sacrée. Et ce grandissement intérieur, joint à la concentration altière qui caractérise l'archaïsme, confère à tous les thèmes qu'il aborde une force exceptionnelle. C'est ce dont portent témoignage les sept tragédies qui nous restent de lui – héritage bien mince, si l'on pense qu'il avait fait représenter quelque quatre-vingt-dix pièces (tragédies ou drames satyriques), mais héritage suffisant pour qu'à chaque vers se reconnaissent une manière et une inspiration ne ressemblant à aucune autre.

Les cités et les hommes

Le théâtre d'Eschyle traite, en général, des événements humains les plus graves : dans les familles, le meurtre ; dans les cités, la guerre. Un des premiers[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, professeur au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Jacqueline de ROMILLY. ESCHYLE (env. 525-456 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Prométhée enchaîné</em> d’Eschyle, mise en scène d'Olivier Py - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Prométhée enchaîné d’Eschyle, mise en scène d'Olivier Py

<em>Agamemnon</em> d'Eschyle, mise en scène de Jean-Pierre Vincent - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Agamemnon d'Eschyle, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

Eschyle -&nbsp;Athènes - crédits : Araldo de Luca/ Corbis/ Getty Images

Eschyle - Athènes

Autres références

  • L'ORESTIE, Eschyle - Fiche de lecture

    • Écrit par Florence BRAUNSTEIN
    • 854 mots
    • 2 médias

    Unique trilogie d'Eschyle (env. 525-456 av. J.-C.) à nous être parvenue dans son intégralité, L'Orestie est composée d'Agamemnon, des Choéphores et des Euménides, soit les trois temps du crime, de la vengeance et de l'expiation. Elle fut représentée à Athènes en 458 avant J.-C.

  • CULTURE - Culture et civilisation

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 14 361 mots
    • 2 médias
    Or il est remarquable que ce terme d'agalma se retrouve dans Les Euménides d'Eschyle pour désigner précisément le rassemblement (συνοικία) des villages en communautés. La cité, la πόλις, est ϕρούριον θε̃ων (citadelle des dieux), elle est, poursuit Eschyle, ἄγαλμα ῥυσίϐωμον Ἑλλάνων...
  • DELPHES

    • Écrit par Bernard HOLTZMANN, Giulia SISSA
    • 9 618 mots
    • 9 médias
    Les Euménides d'Eschyle s'ouvrent avec une longue tirade de la Pythie qui, s'apprêtant à se rendre dans l'adyton du temple, se livre à l'invocation minutieuse de toutes les divinités qui doivent veiller sur son entrée dans le lieu saint. Tout d'abord, dit la prêtresse, « je rends hommage...
  • EURIPIDE (env. 480-406 av. J.-C.)

    • Écrit par Édouard DELEBECQUE
    • 4 634 mots
    • 2 médias
    ...manière de », qu'il manie avec une aisance merveilleuse par son aptitude à discerner les traits marquants de l'auteur et de l'homme, le met en balance avec Eschyle. Comme il cherche le poète le plus capable de sauver par son œuvre la cité en péril, la balance penche finalement en faveur d'Eschyle ; l'école...
  • GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - La religion grecque

    • Écrit par André-Jean FESTUGIÈRE, Pierre LÉVÊQUE
    • 20 084 mots
    • 8 médias
    ...conscience politique, morale et religieuse. Aucune comédie de cette époque ne subsiste, mais la tragédie illustre largement l'évolution spirituelle. Eschyle, né dans l'ombre du sanctuaire d'Éleusis, montre la toute-puissance du Destin, auquel les divinités elles-mêmes doivent se soumettre...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi