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ESCHYLE (env. 525-456 av. J.-C.)

L'art d'Eschyle

Le mode d'expression adopté par Eschyle correspond admirablement aux tendances de sa pensée. Cette expression a une grandeur qui est à la mesure des sujets qu'il entend traiter ; elle concilie, elle aussi, en une tension intérieure pleine de force, l'angoisse et l'ordre.

La structure même des pièces impose cette idée d'ordre. Car elle est ample et simple.

La tragédie, à l'origine, n'utilisait qu'un personnage, qui dialoguait avec le chœur. Il n'y avait pour ainsi dire pas d' action. Puis, le progrès aidant, il y eut deux acteurs, et bientôt trois. Par contrecoup, l'action devenant plus complexe, la part du chœur diminua, les parties lyriques perdirent de leur ampleur. À la limite, chez Euripide, tandis que se développe un véritable théâtre d'intrigue, ces chants deviennent comme des hors-d'œuvre, presque indépendants de l'action.

Chez Eschyle, l'action est encore simple, presque statique. Un seul événement remplit une tragédie. On le voit monter, approcher, éclater, puis se prolonger en de longs commentaires endeuillés. Certaines scènes ne comportent aucun contenu dramatique : ainsi la longue évocation des boucliers des sept chefs, dans Les Sept contre Thèbes, qui occupe quelque trois cents vers. Et il arrive que ce caractère statique s'étende à un pièce entière : dans le Prométhée enchaîné, le héros est, d'un bout à l'autre, cloué sur son rocher et condamné à l'impuissance.

Mais, si chaque tragédie est ainsi consacrée à un événement unique, la pensée d'Eschyle est trop ample pour s'enfermer facilement en un tel cadre : aussi a-t-il, en règle générale, groupé les trois tragédies que l'on présentait au concours annuel en des trilogies. Là, le poids du passé et le sens de l'ensemble s'inscrivent en toute clarté.

Cette signification ainsi inscrite dans la structure même de l'œuvre est, d'ailleurs, mise en relief par les commentaires du chœur qui garde, chez Eschyle, une place prépondérante. Incapable d'agir lui-même, il reflète l'action en une méditation angoissée. Et l'ampleur des parties lyriques qui lui sont attribuées, avec leur savante architecture, contribue à la majesté de l'ensemble.

C'est, en effet, un trait dont on juge mal quand on ne connaît Eschyle que par les traductions, mais qui est profondément caractéristique de son art : ses ensembles lyriques se déploient en vastes constructions d'une rigueur majestueuse. L'ouverture de l'Agamemnon, où le chœur explique son angoisse, occupe ainsi plus de deux cents vers, dont cent cinquante étaient des vers chantés, accompagnés d'évolutions, groupés en strophes et antistrophes, elles-mêmes arrangées en groupes divers, parallèles ou symétriques, alternés, correspondants. De même, la scène d'invocation à Agamemnon, dans Les Choéphores, qui est un appel à un mort, vibrant de ferveur archaïque, comporte près de deux cents vers ; ceux-ci se répartissent entre Électre, Oreste et le chœur, en vertu d'une disposition ordonnée : ils forment une série de couplets, dans lesquels le ton, la longueur et le rythme étaient rigoureusement définis par l'ordonnance de l'ensemble.

Cela ne veut pas dire, assurément, que ces chants soient paisibles ni sereins. La majesté, chez Eschyle, est conquise sur l'épouvante. Et, si la structure de ses pièces ou de ses chants implique un sens puissant de l'ordre, son style est, en revanche, gonflé d'une vie violente et d'évocations saisissantes. Riche en mots rares, crépitant d'images multiples, difficile, plein de raccourcis et d'allusions, n'hésitant ni à se donner parfois le ton prophétique, ni à se parer au passage de riches noms étrangers, ni à se resserrer soudain en contrastes brutaux, le style d'Eschyle est à la fois majestueux, étrange[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, membre de l'Institut, professeur au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Jacqueline de ROMILLY. ESCHYLE (env. 525-456 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Prométhée enchaîné</em> d’Eschyle, mise en scène d'Olivier Py - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Prométhée enchaîné d’Eschyle, mise en scène d'Olivier Py

<em>Agamemnon</em> d'Eschyle, mise en scène de Jean-Pierre Vincent - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Agamemnon d'Eschyle, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

Eschyle -&nbsp;Athènes - crédits : Araldo de Luca/ Corbis/ Getty Images

Eschyle - Athènes

Autres références

  • L'ORESTIE, Eschyle - Fiche de lecture

    • Écrit par Florence BRAUNSTEIN
    • 854 mots
    • 2 médias

    Unique trilogie d'Eschyle (env. 525-456 av. J.-C.) à nous être parvenue dans son intégralité, L'Orestie est composée d'Agamemnon, des Choéphores et des Euménides, soit les trois temps du crime, de la vengeance et de l'expiation. Elle fut représentée à Athènes en 458 avant J.-C.

  • CULTURE - Culture et civilisation

    • Écrit par Pierre KAUFMANN
    • 14 361 mots
    • 2 médias
    Or il est remarquable que ce terme d'agalma se retrouve dans Les Euménides d'Eschyle pour désigner précisément le rassemblement (συνοικία) des villages en communautés. La cité, la πόλις, est ϕρούριον θε̃ων (citadelle des dieux), elle est, poursuit Eschyle, ἄγαλμα ῥυσίϐωμον Ἑλλάνων...
  • DELPHES

    • Écrit par Bernard HOLTZMANN, Giulia SISSA
    • 9 618 mots
    • 9 médias
    Les Euménides d'Eschyle s'ouvrent avec une longue tirade de la Pythie qui, s'apprêtant à se rendre dans l'adyton du temple, se livre à l'invocation minutieuse de toutes les divinités qui doivent veiller sur son entrée dans le lieu saint. Tout d'abord, dit la prêtresse, « je rends hommage...
  • EURIPIDE (env. 480-406 av. J.-C.)

    • Écrit par Édouard DELEBECQUE
    • 4 634 mots
    • 2 médias
    ...manière de », qu'il manie avec une aisance merveilleuse par son aptitude à discerner les traits marquants de l'auteur et de l'homme, le met en balance avec Eschyle. Comme il cherche le poète le plus capable de sauver par son œuvre la cité en péril, la balance penche finalement en faveur d'Eschyle ; l'école...
  • GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - La religion grecque

    • Écrit par André-Jean FESTUGIÈRE, Pierre LÉVÊQUE
    • 20 084 mots
    • 8 médias
    ...conscience politique, morale et religieuse. Aucune comédie de cette époque ne subsiste, mais la tragédie illustre largement l'évolution spirituelle. Eschyle, né dans l'ombre du sanctuaire d'Éleusis, montre la toute-puissance du Destin, auquel les divinités elles-mêmes doivent se soumettre...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi