DROGUE
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Depuis des décennies, nombre de médecins, d'éducateurs, de sociologues, d'anciens « drogués », d'associations ont travaillé à modifier les approches contemporaines de la toxicomanie. On ne parle plus simplement de « drogue » à moins d'accepter d'être considéré comme réactionnaire ou répressif ; on parle de substances psychoactives, de dépendance, d'addiction, de comportement « toxico ». Force est d'admettre que la drogue et son approche, bien qu'elles aient changé, n'ont pas éliminé, pour le public, le drogué, même si ce dernier est moins souvent considéré comme pervers ou comme rebut de la société. Et l'on reconnaît aussi qu'« il n'y a pas de drogué heureux », comme le rappellait le docteur Claude Olievenstein dans un de ses ouvrages. Pourtant, la drogue reste un objet incompris. On la définissait naguère comme une « substance naturelle ou synthétique inscrite sur une liste annexée à une convention internationale et soumise à réglementation ». Mais la description, l'analyse, le traitement des conduites addictives ont amené les spécialistes à une compréhension plus problématique et moins administrative du phénomène : tout peut être drogue pour les individus ; cependant, les troubles engendrés par tel ou tel produit (sucre, café, vin, cocaïne...) peuvent être distingués sous certains aspects – la rapidité d'apparition de l'addiction, son irradicabilité relative, ses conséquences morbides, etc. – et permettent une description qui, tout en admettant une relative spécificité de la position « toxicomaniaque », n'évitera pas le problème de la nature des produits.
La relativité des classifications et des distinctions (« drogue dure », « drogue douce ») s'impose lorsque l'on sait que, outre les stupéfiants proprement dits (dont le nom servait autrefois à désigner une brigade de police spécialisée), les hallucinogènes et les amphétamines, plusieurs centaines de produits pharmaceutiques sont utilisés à des fins toxicomaniaques. De plus, l'usage détourné de solvants organiques (ou de produits de grande consommation qui en contiennent) a allongé et rendu plus fluctuante encore la liste des substances susceptibles d'être utilisées comme stupéfiants.
Mais aussi, à côté des « drogues de plaisir », utilisées, du moins les premiers temps, pour la découverte de sensations inédites et de paradis artificiels, la civilisation contemporaine a su produire des drogues que l'on serait tenté d'appeler « de besoin » : tranquillisants et excitants, qui, au-delà d'un usage thérapeutique fondé et vérifié, sont, parfois et même souvent, utilisés comme palliatifs ou comme adjuvants pour une bonne perception de soi-même au sein d'une civilisation dure ou menaçante.
On peut alors se demander : qu'est-ce qui fait le drogué ? Une réponse classique, reprise dans la préface de Jean Thuillier au livre Phantastica de Louis Lewin, affirme : « Dans une quête avouée ou inconsciente, l'homme a recherché par les drogues des paradis artificiels pour échapper à ses conditions d'existence, soulager ses douleurs physiques ou morales, communiquer avec les dieux, sacrifier à des rites ou secouer l'ennui d'un ego trop fortement équilibré ou trop pauvrement structuré ». Pourtant, la drogue est aussi un produit « qui à doses faibles ou moyennes provoque chez l'homme des syndromes psychiatriques réversibles ». L'usage de tels produits dans la civilisation contemporaine inscrit la modification de conscience comme un but ou une exigence non négligeables de l'activité humaine. Aussi la société tente-t-elle d'établir un point de repère, un standard distinguant le bien et le mal, l'usage et la manie, en se servant des concepts de réversibilité et d'irréversibilité. Mais le maniement extrêmement délicat de ces concepts (l'escalade, inéluctable ou non ?) conduit souvent à faire de l'irréversibilité (« le » drogué qui ne s'en sort pas) la cause de la marginalité. Et c'est cette marginalité même qu'il s'agirait de réduire paradoxalement : comme si la société ne pouvait avoir d'autre but et d'autre méthode que l'intégration, seul moyen de salut.
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Écrit par :
- Alain EHRENBERG : directeur du Groupement de recherche psychotropes, politique, société du C.N.R.S. et du Centre de recherches psychotropes, santé mentale, société, unité C.N.R.S., université de Paris-V
- Olivier JUILLIARD : écrivain
- Alain LABROUSSE : retraité de l'Éducation nationale, expert dans le domaine de la géopolitique des drogues
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Voir aussi
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- ANTIDÉPRESSEURS
- AUTODÉFENSES UNIES DE COLOMBIE (A.U.C.)
- BLANCHIMENT DE CAPITAUX
- BUPRENORPHINE
- CANNABIS
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- DÉPÔTS BANCAIRES
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- EUPHORISANTS
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Pour citer l’article
Alain EHRENBERG, Olivier JUILLIARD, Alain LABROUSSE, « DROGUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/drogue/