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DÉSIR, philosophie

Désir et conscience de soi

Le désir occupe une place particulièrement importante dans l'anthropologie de Spinoza, qui en fait « l'essence même de l'homme en tant qu'elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose » (Éthique, livre III). Le naturalisme conséquent de Spinoza l'empêche de distinguer appétit et désir, qu'il définit comme « l'Appétit avec conscience de lui-même » (livre III, prop. 9, scolie).

Indépendamment de la question de la différence entre « besoin » et « désir » (respectivement Bedürfnis et Begierde en allemand), qui joue un rôle central dans bien des anthropologies contemporaines, philosophiques ou psychanalytiques, on ne saurait oublier la manière dont G. W. F. Hegel, dans la Phénoménologie de l'esprit (1807), fait du désir le premier moteur de la lutte pour la reconnaissance. La ligne de partage entre la conscience d'objet et la conscience de soi passe par le « désir » (Begierde). Pour Hegel, le désir ne s'intéresse qu'à ce qui est vivant. Sur cette route, il rencontre nécessairement l'altérité d'autrui. L'objet que vise le désir ne doit pas seulement être reconnu comme vivant, mais comme une autre conscience de soi, c'est-à-dire comme un autre soi-même. S'ouvre alors la dimension proprement spirituelle du combat pour la reconnaissance, que Hegel illustre par l'exemple de la lutte du maître et du serviteur. Dans ce combat, deux consciences apprennent à « se reconnaître comme se reconnaissant mutuellement ».

Bien des anthropologies contemporaines (à commencer par celles qui sont instruites par la psychanalyse freudienne) accordent une place centrale au désir qui, tout comme la dette, est l'un des paramètres fondamentaux de l'existence humaine. Il est d'autant plus curieux de constater que, dans le cadre de l'analytique heideggérienne du Dasein développée dans Être et Temps (1927), le désir est absent, tout se passant comme si le rôle fondamental que Heidegger accorde au souci occultait en partie la dimension « désirante » de l'être-au-monde humain.

C'est cette lacune qu'Emmanuel Lévinas comble dans Totalité et Infini (1961), à travers une relecture critique de Platon et de Hegel. Réagissant contre l'interprétation du désir comme simple manifestation de l'indigence et de l'incomplétude propre au besoin, Lévinas lui assigne comme terme véritable l'absolument autre. Le désir n'est pas seulement métaphysique quand il anime un questionnement intellectuel ; il est « métaphysique » par définition, pour autant qu'il « désire l'au-delà de tout ce qui peut simplement compléter », c'est-à-dire qu'il est « désir de l'absolument autre ». Le désir métaphysique accomplit ici un mouvement de la transcendance dont la démesure l'ouvre sur la double hauteur d'autrui et de Dieu.

— Jean GREISCH

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)

Classification

Pour citer cet article

Jean GREISCH. DÉSIR, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DÉSIR (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 094 mots

    Une étymologie parfois contestée lie le désir aux étoiles. Le latinsidus désigne en effet une constellation d’étoiles, et le « désir » (latin desideratio) serait la nostalgie qu’éprouve l’humain qui a cessé de contempler le ciel étoilé. Véridique ou non, cette étymologie a une qualité...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...de la “folie du corps” par la mort et par l'ascèse », et « que la vie bonne est la pratique de cette purgation, meletê thanatou » (E. R. Dodds). Et cependant, tout en écrivant, dans La République (IX, 572 b) qu'« il existe au fond de chacun de nous une forme terrifiante, sauvage et indisciplinée...
  • ALTRUISME

    • Écrit par Guy PETITDEMANGE
    • 3 328 mots
    • 1 média
    ...de la tradition juive pharisienne, la pensée de Levinas se développe non pas à partir d'une déception de la raison, mais d'une sorte de désaveu de son désir premier, celui de l'absolument autre, « le désir métaphysique ». Le Bien chez Platon, l'idée cartésienne de l'infini, l'exaltation de la raison pratique...
  • ART (Aspects esthétiques) - Le beau

    • Écrit par Yves MICHAUD
    • 5 576 mots
    • 6 médias
    ...étonnement joyeux (ekplexis hedeia), d'un désir (pothos), d'amour (erota) et d'effroi accompagné de plaisir (ptoesis meth'edonè). Le mot utilisé pour désir (pothos) renvoie aussi bien au désir d'une chose absente et éloignée qu'au désir sexuel violent. Cette description de l'émotion...
  • BIOPOLITIQUE (anthropologie)

    • Écrit par Frédéric KECK
    • 2 027 mots
    ...disciplinaire menées dans Surveiller et punir (1975) au champ de la sexualité. Foucault y critique l’hypothèse selon laquelle le pouvoir vise à limiter le désir, pour montrer que les techniques de pouvoir, observées dans leurs effets, ne cessent au contraire de faire parler du sexe – hypothèse qui est au...
  • Afficher les 21 références

Voir aussi