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DÉMOCRITE (460 av. J.-C.?-? 370 av. J.-C.)

Les atomes et la physique

En termes de physique, les atomes interagissent en obéissant à une nécessité absolue (Aetius, Plac. I, 25, 4) et une difficulté se pose à cet égard, car Aristote (selon Eudème) attribue aux atomistes la thèse que les mondes et le ciel proviennent de la fortune et du hasard (cf. Phys., II, 3-4). Mais il semble qu'Aristote veuille seulement exprimer que la nécessité entraîne l'absence d'un dessein et d'un finalisme (dans les Lois, X, 889 b-c, Platon écrit que les explications mécanistes « font découler le hasard de la nécessité »). Comment s'explique la génération et l'existence de ce qui est – ainsi que le changement et la corruption des êtres ? Les atomes, très petits, multiformes et en nombre infini, s'assemblent en des composés, les corps et l'infinité des mondes dont la variété est l'effet global des différences ci-dessus indiquées. Cela ne saurait pourtant suffire et les atomistes invoquent un principe général de congruence (symmetria), vraisemblablement emprunté à Anaxagore, et explicitement formulé en plusieurs fragments dont celui-ci : « Ces atomes [...] se rattrapant les uns les autres, ils se frappent et quelques-uns sont rejetés loin, au hasard, tandis que d'autres, s'entrelaçant mutuellement d'après la congruence de leurs figures, tailles, positions et ordres, restent ensemble et réalisent ainsi la venue-à-l'être des corps composés » (Simplicius, ibid., 242, 21). En d'autres termes, l'atomisme n'est pas seulement « mécaniste » ; la nécessité joue aussi sur la forme.

Et, pour leur part, la dissolution et la mort seraient la conséquence de la rupture des congruences. Les atomes « restent ensemble jusqu'au temps où une quelconque nécessité plus forte vient du dehors et les secoue et les disperse » (Simplicius, ibid., 295, 11). On doit néanmoins se demander si cette solution n'est pas trop forte : ne se doublant pas d'un principe de stabilité interne (tel que, par exemple, le pneuma stoïcien), elle ne semble pas à même de rendre raison de la cohésion des corps. Il lui manque, dirait Leibniz, un vinculum substantiale tenant ensemble les atomes ; et il s'agit là d'une difficulté caractéristique de toute théorie qui explique les « complexes » par la seule agrégation de « simples » – que ce soit l'atomisme grec, le composé monadique, ou (au xxe siècle) les constructions logico-atomistes du monde. L'aporie se trouve dénoncée dans le Théétète de Platon (201 c-205 e ; cf. aussi Cratyle, 426 c-427 c) : comment la « syllabe », l'unité minimale du sens, peut-elle s'obtenir à partir de la « lettre », qui n'en n'a pas (alogos) ? On trouve encore le même problème dans le rapport entre le « nom » et la « proposition » – qui serait un composé de noms dans le Tractatus de Wittgenstein (4.22-4.221 et 4.0311). Comme Aristote l'observera, d'après la doctrine de Démocrite, il apparaît impossible qu'une chose vienne de deux et deux d'une, « car il identifie la substance aux atomes » (Mét., Z, 13, 1039 a 7-11).

L'hypothèse atomiste sera reprise au xviie et – en se transformant complètement – en viendra à acquérir un contenu scientifique précis. De même, les atomistes ont anticipé la distinction entre qualités premières et qualités secondes, qui est au cœur de la pensée moderne : « par convention sont le doux et l'amer, le chaud et le froid, en vérité, il y a les atomes et le vide » (Sextus, Adversus Mathematicos, VII, 135) ; la connaissance par la vue, l'ouïe, le goût, la couleur est « obscure ». Malgré cela, Démocrite a étudié en détail le mécanisme des différentes sensations (voir Théophraste, De sensu, 49-83), en présupposant que toute forme de perception doit consister[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Pour citer cet article

Fernando GIL et Pierre-Maxime SCHUHL. DÉMOCRITE (460 av. J.-C.?-? 370 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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