BIOLOGIE La biologie moléculaire
La biologie moléculaire n'est pas en elle-même une discipline, c'est une expression commode pour désigner la « molécularisation » de la biologie, autrement dit le rôle central de l'approche moléculariste dans l'étude de la vie. Chacun y met à peu près le même contenu : la traduction des phénomènes du vivant – et en particulier la transmission et l'expression des caractères héréditaires – en termes de structures moléculaires. Il ne s'agit d'ailleurs pas, dans l'histoire de la biologie, d'une rupture récente. La « molécularisation » accompagne l'évolution des techniques et des modèles expérimentaux qui, depuis le milieu du xviiie siècle, a transformé l'observation des êtres vivants en science expérimentale. La physiologie en a certainement été à l'origine, mais la chimie des « molécules » du vivant a joué un rôle dominant bien avant la science de l'hérédité, c'est-à-dire la génétique.
C'est entre les années 1930 et 1970 que la biochimie élabore un corpus de règles communes à tous les êtres vivants concernant la nature des gènes et les modalités de leur traduction en caractères. Cette période est scandée par les découvertes de la relation « un gène, une enzyme », en 1941, du rôle et de la structure de l'ADN, de 1944 à 1953, et enfin des mécanismes du contrôle de l'expression des gènes, vers 1960. La « biologie moléculaire » s'institutionnalise en Europe, avec pour manifeste le lancement du Journal of Molecular Biology en 1959 que suivra la création du Laboratoire européen de biologie moléculaire en 1974, après celle de l'European Molecular Biology Organization en 1964.
La période suivante voit naître un ensemble de techniques, de protocoles, qui envahissent tous les champs de la biologie. Identifiées par le public comme étant la « biologie moléculaire », ces pratiques et procédures rendent possible l'étude à l'échelle moléculaire des gènes et des génomes, et, ce faisant, des phénomènes jusque-là inaccessibles, comme la production des anticorps ou le développement embryonnaire. La généralisation de leur emploi permet d'intervenir précisément sur le génome des êtres vivants. Ces techniques moléculaires ont d'entrée de jeu été appréciées pour leur apport aux sciences du vivant, mais aussi pour leurs retombées économiques, surtout dans les domaines médical et agricole. Anticipées dès 1975, les productions biotechnologiques issues de la biologie moléculaire, souvent combinées aux progrès réalisés dans le domaine des fermentations, ont acquis progressivement une place significative dans l'économie, en particulier dans le domaine de la production de molécules biologiques à forte valeur ajoutée (cf. biotechnologies) mais aussi dans le domaine plus banal des enzymes à utilisation ménagère ou industrielle. La création par transgenèse de plantes résistantes à des herbicides ou des insecticides, ou dont les qualités ont été modifiées, est admise et courante dans certains pays (États-Unis, Chine, Brésil). On connaît les inquiétudes ou les rejets que cette pratique rencontre en France et, de manière assez générale, en Europe. La production d'animaux transgéniques à des fins alimentaires semble encore plus difficile à accepter.
Le domaine médical est certainement celui qui a progressé le plus en rencontrant la résistance la plus faible. La production d'anticorps monoclonaux à des fins thérapeutiques après « humanisation » de ces molécules passe désormais par les techniques de la biologie moléculaire. Le diagnostic bactériologique, fungique et viral, l'appréciation de situations physiopathologiques ont été révolutionnés tant par l'usage des anticorps monoclonaux que par celui de la PCR (polymerase chain reaction). Cette même méthode d'amplification de l'ADN a pris une place considérable dans tous les domaines, y compris dans la société avec l'identité judiciaire nouvelle manière et les recherches de parenté. Elle intervient en médecine par le biais du diagnostic préimplantatoire de maladies génétiques et du sexe, en analyse de résistance aux antibiotiques, en typage des sujets transplantés et transplantables... Citons encore la production de médicaments biologiques (EPO, hormone de croissance, interleukines, hormones polypeptidiques, vaccins recombinants comme celui contre les hépatites A et B etc.), utilisés en thérapeutique (immunothérapie, traitement de certaines anémies, cancérologie, etc.) comme en prévention bien davantage que pour le dopage des sportifs.
Les techniques de la biologie moléculaire ont donc une présence très concrète dans nos vies, et qui peut se développer bien davantage selon le niveau d'acceptation par la société de certaines de ces utilisations et selon les contraintes juridiques de leur usage.
Et voici déjà que s'ouvre une troisième phase de la recherche, dont les retombées seront sans aucun doute tout aussi spectaculaires et prégnantes pour l'humanité que les précédentes. Cette phase coïncide avec le développement de la biologie dite intégrative, qui permet de reprendre l'analyse des génomes et de leurs produits avec des outils nouveaux et un recours majeur à l'informatique dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la « biologie sèche » ou in silico (cf. biologie - La bio-informatique).
Genèse du concept de biologie moléculaire
Le xixe siècle a démontré qu'il n'existait pas de « matière vivante » mais que les êtres vivants étaient constitués d'un ensemble complexe de molécules dont les structures et l'organisation permettent les manifestations du vivant et définissent les caractères d'une espèce. Manifestations et caractères sont transmissibles et essentiellement constants pour une espèce donnée, ce qui les lie à l'hérédité. À partir de la formulation de la théorie chromosomique de l'hérédité (travaux de Thomas Morgan sur la drosophile, 1910), celle-ci se confond pendant le premier tiers du xxe siècle avec l'établissement de cartes chromosomiques, sur lesquelles se placent les gènes, déterminants héréditaires qui définissent chaque caractère, et avec l'étude des liens entre gène et caractère. Les propriétés des êtres vivants et leur transmission apparaissent liées à l'organisation de molécules biologiques, parfois très complexes, selon plusieurs niveaux structuraux, dont la résultante est l'organisme capable de se reproduire. Un travail emblématique à cet égard a porté sur le virus de la mosaïque du tabac, dissocié en 1930 en ses composants, protéines et acides nucléiques, lesquels, une fois réassemblés, restituent l'ensemble des propriétés du virus de départ. En fin de compte, les biologistes des années 1930 admettent que les organismes vivent, se multiplient et se reproduisent grâce à un flux permanent de matière, d'énergie et d'information porté par des molécules.
Le cœur de la notion de biologie moléculaire est précisément le lien matériel entre des caractères et les gènes qui en gouvernent la réalisation, ce qui lie entre elles l'information, les molécules effectrices et l'organisation cellulaire. L'expression « biologie moléculaire » fut créée en 1938 par Warren Weaver, directeur scientifique de la Fondation Rockefeller, pour légitimer les financements destinés à faire entrer la chimie, la physique et les mathématiques dans la biologie et la médecine. Cette expression, qui prend acte d'une tendance, était programmatique plutôt qu'annonciatrice d'une nouvelle discipline, recouvrant une sorte de cahier des charges dont la réalisation exige que convergent sur les objets biologiques des techniques mises au point dans d'autres contextes et servies par des métiers différents. Cette approche « moléculaire » de la biologie était aussi technique, politique et économique. La chimie des molécules biologiques s'est alors appropriée des pratiques issues de la physique et de la chimie : ultracentrifugation, techniques de séparation et d'analyse, spectroscopie sous ses différents aspects, traceurs radioactifs, microscopie électronique. La relation entre gènes et caractères a donc pu s'appuyer sur les résultats de la biochimie. Il est essentiel de noter que, l'apport intellectuel des physiciens s'intensifiant, la génétique glisse de la drosophile vers des modèles plus simples, le champignon Neurospora, puis le microbeEscherichia coli et ses bactériophages à partir de 1945. L'utilisation de ces organismes modèles et l'entrée en scène de la logique propre aux physiciens ont joué un rôle déterminant dans la molécularisation des énoncés de la biologie et la génétique : selon ce nouvel angle d'approche et avec ces nouveaux acteurs scientifiques, elles ne pouvaient que devenir moléculaires.
Ce rappel historique conduit à distinguer, dans l'histoire de la biologie désormais « moléculaire », trois grandes périodes.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Voir aussi
- WEAVER WARREN (1894-1978)
- CODON, biologie moléculaire
- ARN DE TRANSFERT ou ARNt
- ARN MESSAGER ou ARNm
- ARN POLYMÉRASE
- TRANSCRIPTION, biologie moléculaire
- TRADUCTION, biologie moléculaire
- EUCARYOTES
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