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TAVERNIER BERTRAND (1941-2021)

La question morale

Sujet contemporain autant qu’universel, le désir d’enfant pousse à des démarches inédites, alors que le gouffre ne cesse de se creuser entre pays riches et pays pauvres. Holy Lola (2004) conte l’odyssée – le mot n’est pas trop fort – d’un couple de Français qui cherche à adopter un enfant au Cambodge. Le film, très documenté, fourmille de détails vrais et émouvants et doit beaucoup à l’interprétation d’une grande justesse, sans sensiblerie inutile, d’Isabelle Carré et Jacques Gamblin. Son intérêt principal ne réside pas dans la dénonciation de ceux que la détresse pousse à exploiter la situation mais plutôt dans la description des effets de cette situation sur les « riches » demandeurs, dont le couple central. Le dilemme devient progressivement moral : jusqu’où peut aller leur désir, par exemple face à un enfant volé ?

La question morale pourrait être également le moteur de Dans la brume électrique (2009). L’inspecteur Robicheaux (Tommy Lee Jones) enquête dans les bayous de Louisiane sur d’atroces meurtres de jeunes femmes. Dans son esprit, cette violence en rejoint une autre, l’assassinat à caractère raciste dont il a été le témoin impuissant trente-cinq ans plus tôt. L’interrogation morale ne porte pas sur les moyens, à l’évidence déontologiquement inacceptables, dont use Robicheaux, mais sur son incapacité névrotique à admettre qu’il cherche à faire payer au meurtrier le sentiment de culpabilité qui le ronge pour ce meurtre dont il ne fut pourtant que le témoin. Ce film américain, adapté d’un roman de James Lee Burke, souffre en partie des conflits qui ont opposé le réalisateur au producteur. La version director, diffusée en dehors des États-Unis est parfois saisissante mais alourdie par une construction complexe, mêlant présent et souvenir, enquête et tournage d’un film, mythologie du bayou et guerre de Sécession.

Bertrand Tavernier - crédits : Paradis Films / Everett/ Aurimages

Bertrand Tavernier

Si le problème moral demeure avec La Princesse de Montpensier (2010), d’après une nouvelle de Madame de La Fayette écrite en 1662, Bertrand Tavernier évite le piège de la réflexion désincarnée. Il inscrit fortement ses personnages dans le contexte des guerres constantes et meurtrières entre huguenots et catholiques. Un monde où l’on vit et meurt jeune. Si Marie de Mézières a épousé, contrainte et forcée, le prince de Montpensier, elle reste passionnément amoureuse du fougueux duc Henri de Guise… Le film fait traverser à Marie toutes les facettes de l’amour, entre passion, convenance, libertinage et admiration « courtoise ». Elle cherche sa vérité et surtout sa liberté, avec impatience, mais pas nécessairement du côté de la vertu et de la prudence que conseillait Madame de La Fayette. Lambert Wilson est plus que remarquable dans le rôle du comte de Chabanne, narrateur du film, un homme qui a « vécu » – il est veuf et fuit la guerre –, amoureux platonique, confident de Marie et entremetteur… C’est lui qui tire pour Marie la conclusion posthume de ce « conte moral » ancré dans son époque, qui vaudrait pour beaucoup de films de Tavernier : « Le bonheur est une éventualité peu probable dans cette dure aventure qu’est la vie pour une âme aussi fière que la vôtre. »

Première incursion de Bertrand Tavernier dans la comédie, Quai d’Orsay (2013) aborde le cœur même du pouvoir politique. Cette adaptation d’une bande dessinée à succès de Christophe Blain et Abel Lanzac relève moins du vaudeville à la française que de la screwballcomedy (ou comédie loufoque) américaine façon Howard Hawks, Frank Capra ou Preston Sturges, avec quelques traces de burlesque. Malgré un côté répétitif, le rythme allègre l’emporte et surtout les acteurs : Thierry Lhermitte en ministre des Affaires étrangères « speedé » (caricature de Dominique de Villepin), et Niels Arestrup en chef de cabinet, qui fait le dos rond mais n’en agit pas moins. Si le film[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Joël MAGNY. TAVERNIER BERTRAND (1941-2021) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Bertrand Tavernier - crédits : Paradis Films / Everett/ Aurimages

Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - crédits : Frederic Souloy/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Bertrand Tavernier

<it>La Vie et rien d'autre</it>, B. Tavernier - crédits : Hachette Première, AB Films/ Mary Evans/ Aurimages

La Vie et rien d'autre, B. Tavernier

Autres références

  • LAISSEZ-PASSER (B. Tavernier)

    • Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS
    • 944 mots

    La sortie de Laissez-passer, dix-huitième film de fiction de Bertrand Tavernier, a été, aux premiers jours de 2002, l'occasion d'un vif affrontement au sein de la critique française. C'était moins le contenu du film qui motivait l'ire, voire le mépris, des héritiers autoproclamés...

  • VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS (B. Tavernier)

    • Écrit par Norbert CZARNY
    • 1 157 mots
    • 1 média

    Tout commence à Lyon. Enfant, Bertrand Tavernier assiste à la libération de sa ville natale. Son père, fondateur de la revue de poésie Confluences, a caché Aragon, dont il a aussi publié certains textes. Un fait qui ne sera pas sans incidences. Placé en sanatorium, Bertrand Tavernier voit son...

  • AURENCHE JEAN (1904-1992)

    • Écrit par Michel DANSEL
    • 488 mots

    Curieux itinéraire que celui de cet écrivain de cinéma, né le 11 septembre 1904 à Pierrelatte (Drôme). Élevé chez les jésuites, il n'éprouve guère de penchants pour la casuistique. Après un passage comme aide-régisseur chez Charles Dullin, il est embauché dans une agence de publicité, où il travaille...

  • INSTITUT LUMIÈRE

    • Écrit par Philippe ROUYER
    • 976 mots
    • 2 médias
    ...maîtresse de la Fondation nationale de la photographie, inaugurée la même année 1978 au sein de la villa. En 1982, grâce au soutien du réalisateur lyonnais Bertrand Tavernier qui en sera le premier président jusqu’à sa mort en 2021, l’Institut Lumière est créé dans le même bâtiment. Bernard Chardère, son directeur,...
  • NOIRET PHILIPPE (1930-2006)

    • Écrit par Raymond CHIRAT
    • 772 mots
    • 1 média

    Philippe Noiret est né à Lille le 1er octobre 1930. Le théâtre l'attire dès sa jeunesse. Bien conseillé, il s'affirme rapidement. Acteur de belle stature, passionné par son travail, il explore le monde de la scène avec la plus éclectique curiosité. Il est et restera d'une sincère modestie,...

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