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VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS (B. Tavernier)

Tout commence à Lyon. Enfant, Bertrand Tavernier assiste à la libération de sa ville natale. Son père, fondateur de la revue de poésie Confluences, a caché Aragon, dont il a aussi publié certains textes. Un fait qui ne sera pas sans incidences. Placé en sanatorium, Bertrand Tavernier voit son premier film : Dernier Atout, de Jacques Becker. Sa passion est née, et elle va guider l’adulte qui sera, selon la belle formule de Godard, un « enfant de la Libération et de la cinémathèque ». Son Voyage à travers le cinéma français (2016) est d’abord affaire de goût : le spectateur et cinéaste parle des films qui l’ont illuminé, enthousiasmé ou intéressé, en leur associant des moments de son existence professionnelle.

De Becker à Sautet

Ce voyage conduit de Becker à Sautet. Si Bertrand Tavernier n’a pas connu le premier, auteur des Rendez-vous de juillet, le second, auteur de Classe tous risques, a été son ami et son conseiller. Becker et Sautet rendent l’essence d’une époque. Ils en sentent les contradictions et les transformations. Chez les deux cinéastes, souvent dédaignés, le travail se voit : stylistes dans Falbalas, prisonniers dans Le Trou, ou employés dans Une histoire simple. L’un et l’autre guident Tavernier : pour bâtir une intrigue, les gestes du labeur sont plus importants que les artifices du scénario.

<em>Les Enfants du paradis</em>, M. Carné - crédits : Pathé/ Album/ AKG-images

Les Enfants du paradis, M. Carné

Dans ce film en treize chapitres apparaissent les maîtres du cinéma – Renoir, Carné ou Melville –, un cinéaste américain mis sur liste noire au temps du maccarthysme, comme John Berry, d’autres volontiers honnis comme Jean Delannoy. Un long plan-séquence de Macao, l’enfer du jeu rappelle ce que celui-ci doit au cinéma hollywoodien. L’inventivité d’Edmond T. Gréville, celle de Jean Sacha tournant un film d’action avec Eddie Constantine vont à l’encontre des idées reçues et relativisent la notion d’auteur, un temps sanctifiée.

À l’inverse de bien des cinéphiles, Tavernier n’est pas dogmatique ni sectaire. Il aime admirer et garde assez de distance pour ne pas prendre chaque interview de Renoir pour argent comptant. Aussi revient-il, exemple à l’appui, sur l’art d’improviser du metteur en scène. La seule mise en place du décor et de la caméra rend impossible toute improvisation dans Le Crime de monsieur Lange. De même, Tavernier revient sur l’affirmation de la nouvelle vague, prétendant avoir inventé le tournage de nuit, sans artifice. Dernier Atout, de Jacques Becker, contient de nombreuses scènes qui ont été filmées ainsi.

Tavernier met en lumière les films qu’il aime et n’hésite pas à dire ce qu’il n’aime pas. Peu convaincu par Deux hommes dans Manhattan de Jean-Pierre Melville, trouvant vieilli et artificiel Les Visiteurs du soir, il se montre élogieux quant à la mise en scène de Léon Morin, prêtre, de L’Armée des ombres ou du Jour se lève. Cette liberté de ton, toujours argumentée, fait la force du film.

Bertrand Tavernier s’exprime aussi en enfant de la Libération. Passionné d’histoire, il a été l’assistant de Melville, ancien résistant qu’il accompagnait dans ses traversées de Paris. Attaché de presse pour La 317e Section, il s’est lié d’amitié avec Pierre Schoendoerffer, ancien combattant de la guerre d’Indochine. Comme souvent, c’est la complexité des hommes et des situations qui le passionne.

L’écho s’en retrouve avec le chapitre consacré à Jean Gabin. Il rapporte les propos tenus par l’acteur engagé contre Vichy sur Renoir, cinéaste de génie, mais homme peu courageux. Sous le Front populaire, Gabin incarne l’ouvrier. Mais dans l’après-guerre, il n’est pas devenu le bourgeois rangé qu’on imagine : il transgresse les lois et souvent reste l’homme qui travaille, comme dans Gas-oil ou La nuit est mon royaume : « il s’empare d’un métier de manière organique, viscérale », explique Tavernier.

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Norbert CZARNY. VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS (B. Tavernier) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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<em>Les Enfants du paradis</em>, M. Carné - crédits : Pathé/ Album/ AKG-images

Les Enfants du paradis, M. Carné

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