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STURGES PRESTON (1898-1959)

Longtemps méconnue, l'œuvre du cinéaste Preston Sturges connaît une étrange et capricieuse destinée qui ne rend guère justice à l'auteur des plus flamboyantes comédies américaines des années 1940. Sturges fut en effet le créateur d'un monde peuplé de catastrophiques candides et de roués peu nocifs, de milliardaires et d'inventeurs, d'amoureux et de fous furieux. Il n'est guère étonnant que la véritable Amérique sache aujourd'hui retrouver son idéal du moi – et la comédie américaine le début de son second âge, dans une œuvre satirique et sans illusions où la réalité des sentiments s'exprime à mille lieux du sentimentalisme.

Le temps des scénarios

Né à Chicago le 29 août 1898, fils de l'énergique Mary Dempsey, plus connue sous le nom de Mary Desti (et proche amie d'Isadora Duncan), le jeune Preston sera adopté légalement par son beau-père Solomon Sturges, homme d'affaires qui sera son premier modèle. La séparation du couple orientera l'existence du futur cinéaste, toujours partagé entre l'Amérique de son père et l'Europe que sa mère ne cesse de parcourir à la suite d'Isadora, après avoir fondé une entreprise de parfumerie à Paris. Si Mary a tout fait pour soigner l'éducation artistique de son rejeton, Preston, lui, se voit d'abord homme d'affaires.

Après la Première Guerre mondiale, pendant laquelle il parvient à s'engager in extremis dans l'aviation, son retour en Amérique et l'échec de son premier mariage avec une riche héritière, Sturges se lance dans l'écriture théâtrale. Sa seconde pièce, Strictly Dishonorable (1929), est un vrai succès et lui ouvre les portes de Hollywood où il devient rapidement l'un des meilleurs scénaristes de la Paramount (studio de Cecil B. DeMille et surtout d'Ernst Lubitsch, maître incontesté de la comédie sophistiquée), mais aussi des autres grandes compagnies comme Universal, Fox, Columbia, M.G.M.

Sa carrière dans l'industrie cinématographique couvre très précisément deux décennies, la première (1930-1940) consacrée à la seule écriture de scénarios, la seconde (1940-1949) où il s'affirme comme l'athlète complet de la comédie américaine. The Power and the Glory (1933), écrit pour Spencer Tracy, est sa première œuvre vraiment novatrice : le film retrace en une succession de flash-backs l'ascension et la chute d'un magnat du chemin de fer. La discontinuité de la narration fait de l'œuvre un modèle pour Citizen Kane, et il n'est guère douteux que le film de William K. Howard fut l'une des copies « examinées » par Welles au moment de la préparation de son premier grand opus. Cependant, hormis une participation à la première version de Imitation of Life (John Stahl, 1934), une belle adaptation de la trilogie de Pagnol pour James Whale (Port of Seven Seas, 1938) et Remember the Night (Mitchell Leisen, 1940), étonnant mélodrame qui réunit Barbara Stanwyck et Fred MacMurray, Sturges s'affirme comme un spécialiste de la comédie. Easy Leaving (M. Leisen, 1937) porte incontestablement la marque du futur cinéaste : par le biais d'une histoire qui réunit les inconciliables (le milliardaire et la dactylo), la logique du saugrenu et l'art du contre-pied donnent ici à la screwball comedy (comédie loufoque) un rythme qui se substitue au sentimentalisme de Capra ou à la sophistication de Lubitsch. La satire de la société américaine ne passe plus par la dénonciation moralisante de la rapacité et de la corruption, ou par l'exaltation égalitariste des vertus patriotiques. L'originalité de Sturges consiste précisément dans l'aptitude à être « sec, clair, sans illusion, comme un banquier qui a fait fortune » (les qualités du philosophe selon Stendhal), et, à la fois, à aimer suffisamment l'humanité hors de ses gonds qu'il représente pour[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

Classification

Pour citer cet article

Marc CERISUELO. STURGES PRESTON (1898-1959) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>The Sin of Harold Diddlebock</it>, de P. Sturges, 1947 - crédits : Bob Landry/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

The Sin of Harold Diddlebock, de P. Sturges, 1947

Autres références

  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    Fort estimée dans les années 1950, l'œuvre dePreston Sturges n'est plus appréciée à sa juste valeur, malgré des films comme Sullivan's Travels (Les Voyages de Sullivan, 1941), The Lady Eve (Un cœur pris au piège, 1941), The Palm Beach Story (Madame et ses flirts, 1942), The Miracle...
  • WILDER BILLY (1906-2002)

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 2 395 mots
    • 1 média
    ..., c'est-à-dire de la compagnie la plus inventive et la plus raffinée de Hollywood. Le studio de Lubitsch et de Cecil B. DeMille est aussi celui de Preston Sturges, futur auteur des Voyages de Sullivan et surtout premier scénariste à avoir réussi le « passage » à la réalisation en 1940. Le grand succès...

Voir aussi