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CAMUS ALBERT (1913-1960)

Albert Camus - crédits : Kurt Hutton/ Getty Images

Albert Camus

« Une pensée profonde est en continuel devenir, épouse l'expérience d'une vie et s'y façonne. De même, la création unique d'un homme se fortifie dans ses visages successifs et multiples que sont les œuvres. » À travers la diversité de leurs formes d'expression : roman, théâtre, essai, journalisme, la pensée et l'œuvre de Camus illustrent parfaitement cette cohérence fondamentale et ce dynamisme fécond que définit Le Mythe de Sisyphe. Leur enracinement charnel, tant dans la biographie de leur auteur que dans l'histoire contemporaine, leur refus de tout dogmatisme, de tout « système » qui emprisonne ou mutile l'être humain, dont la misère et la grandeur alimentent leurs doutes et leurs certitudes, la place qu'elles font à la splendeur et à l'indifférence du monde, enfin l'exigence morale, la passion et la lucidité qui les animent, sous le classicisme du langage, sont probablement les traits les plus caractéristiques de cette pensée et de cette œuvre singulières, à la fois limpides et secrètes.

Traduit dans le monde entier, Camus continue par la richesse de sa réflexion, le rayonnement et les prestiges de sa création, à être présent dans la sensibilité et la conscience contemporaines.

Le soleil et l'histoire

Né à Mondovi, petit village du Constantinois, le 7 novembre 1913, c'est à Alger, dans le quartier populaire de Belcourt, qu'Albert Camus passe son enfance et son adolescence, sous le double signe, qu'il n'oubliera jamais, de la pauvreté matérielle et de l'éclat du soleil méditerranéen : « La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout. » De son père, mort à la guerre en 1914, il ne connaîtra qu'une photographie, et une anecdote significative : son dégoût devant le spectacle d'une exécution capitale ; à sa mère qui parlait peu et difficilement, « qui ne savait même pas lire », le lie « toute sa sensibilité » ; on peut penser qu'une partie de l'œuvre s'est édifiée pour tenter d'équilibrer cette absence et ce silence, ou de leur répondre. À dix-sept ans, l'adolescent studieux et épris des joies du corps est atteint d'une tuberculose dont les rechutes seront nombreuses ; dès sa première manifestation, la maladie lui apprend qu'il est seul, et mortel. À la même période, Camus découvre la philosophie, grâce à l'enseignement et à l'exemple de Jean Grenier, et, bientôt, « l'envie d'être écrivain ». D'abord tenté par une conception idéaliste de l'art et de la vie, il reconnaît rapidement que l'écriture peut être un moyen de dire sa fidélité au monde démuni de son enfance, dont son accès à la culture l'a séparé : « Il me faut témoigner », note-t-il en 1935 dans ses Carnets. Toute son œuvre se voudra témoignage sur la condition humaine, sur et en faveur de l'homme, sans que l'artiste cesse pour autant d'être le témoin exemplaire de son temps.

L'apprentissage du réel se fait avec difficulté, comme le prouvent ses tout premiers écrits consacrés au « quartier pauvre » – dont certains ont été publiés de manière posthume – mais aussi avec la « joie profonde » d'écrire. Les récits mi-autobiographiques, mi-symboliques de L'Envers et l'endroit (1937) disent qu'« amour de vivre » et « désespoir de vivre » sont inséparables, que tout notre « royaume est de ce monde », affirment la pleine conscience de la solitude de l'homme, le tragique de son face-à-face avec la nature, et la volonté de « tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort ». Plus lyriques, les essais de Noces (1939) orchestrent ces thèmes qu'ils inscrivent avec bonheur dans les paysages méditerranéens[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française contemporaine à l'université de Picardie, présidente de la Société des études camusiennes, doyen de la faculté des lettres

Classification

Pour citer cet article

Jacqueline LÉVI-VALENSI. CAMUS ALBERT (1913-1960) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Albert Camus - crédits : Kurt Hutton/ Getty Images

Albert Camus

Autres références

  • L'ÉTRANGER, Albert Camus - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean yves GUÉRIN
    • 1 041 mots
    • 1 média

    Lorsqu'en 1942 paraissent simultanément aux éditions Gallimard un roman, L'Étranger, et un essai, Le Mythe de Sisyphe, leur auteur, Albert Camus (1913-1960) n'est encore guère connu : voilà deux ans seulement qu'il a quitté l'Algérie, sa terre natale. Il a publié avant ces deux ouvrages...

  • LA PESTE (A. Camus) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 454 mots

    Après L’Étranger (1942), La Peste est le deuxième roman publié par Albert Camus (1913-1960). Paru en 1947, il se présente comme la « chronique » d’une épidémie de peste survenue en « 194. » (l’auteur ne précise pas l’année) à Oran, en Algérie, durant la période coloniale....

  • LA CHUTE, Albert Camus - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 988 mots

    Initialement intitulée Un héros de notre temps, La Chute devait faire partie du recueil de nouvelles L'Exil et le royaume. Albert Camus (1913-1960) semble avoir été lui-même surpris de l'expansion de son récit – écrit très vite, entre septembre 1955 et février 1956 – qui l'obligea finalement...

  • L'ÉTAT DE SIÈGE (mise en scène E. Demarcy-Mota)

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 897 mots

    Sa passion pour le théâtre, qui se manifesta alors qu’il était encore étudiant à Alger, conduisit Albert Camus tant à adapter des romans à la scène (Requiem pour une nonne, d’après Faulkner ; LesPossédés, d’après Dostoïevski) qu’à écrire des pièces comme Le Malentendu ou...

  • L'HOMME RÉVOLTÉ, Albert Camus - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 506 mots

    Publié en 1951 aux éditions Gallimard, L’Homme révolté est un essai d’Albert Camus (1913-1960), pensé comme une suite et un contrepoint à un de ses précédents essais, LeMythe de Sisyphe (1942). Le livre constitue une réflexion sur la nécessité de la révolte, mais aussi sur les impasses...

  • EXISTENTIALISME

    • Écrit par Yves STALLONI
    • 1 084 mots

    Indépendamment de ses fondements théoriques et de ses retentissements philosophiques, l’existentialisme mérite d’être considéré dans une perspective littéraire et même sociologique. Une des raisons de sa popularité est sans doute que cette philosophie de l’existence ne propose pas un système...

  • GRENIER ROGER (1919-2017)

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 983 mots

    Journaliste, homme de radio et écrivain français, Roger Grenier fut un incomparable témoin de notre xxe siècle littéraire. L'exergue malicieux de ses Brefs Récits pour une longue histoire (2012), emprunté à Valery Larbaud, en dit long sur la posture paradoxale de leur auteur dont l'œuvre...

  • JEANSON FRANCIS (1922-2009)

    • Écrit par Universalis
    • 376 mots

    Philosophe, Francis Jeanson fut le fondateur d'un réseau de soutien au Front de libération nationale (FLN) algérien. Né à Bordeaux le 7 juillet 1922, Francis Jeanson a fait des études de lettres et de philosophie avant de gagner l'Espagne en 1943 pour échapper au STO (Service du travail...

  • JUSTICE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 431 mots
    ...à la mort plutôt que de respecter une loi lui paraissant inique et qui lui interdirait de donner une sépulture à son frère ayant trahi la cité, jusqu’à L’Homme révolté (1951) d’Albert Camus (1913-1960), l’opposition entre ce qui est légal et ce qui est légitime a traversé les siècles.Pour...
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Voir aussi