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JUSTIFICATION

La doctrine chrétienne de la justification de l'homme par Dieu exprime à la fois l'exigence radicale que Dieu a envers l'homme et le salut radical que Dieu donne à cet homme qui ne répond pas à cette exigence. La justification maintient ainsi la justice de Dieu, qui n'a pas « pour métier de pardonner », ainsi qu'ironisait Voltaire, et elle annonce le retournement du jugement en grâce, quand Jésus-Christ meurt condamné, lui l'innocent, pour faire vivre les hommes, ses accusateurs coupables. Par sa formulation juridique abrupte, par son apparente immoralité, par le sérieux qu'elle établit dans les rapports mortellement conflictuels entre l'homme et Dieu, la doctrine de la justification est au cœur de toute la tradition théologique issue de la Bible.

La justification du pécheur consiste pour celle-ci en la description du rapport de grâce, d'une grâce active et créatrice, entre Dieu et l'homme. Être justifié, c'est être agréé par un amour qui abat l'orgueil et relève l'humilité. La justification s'oppose ainsi au légalisme, qui compte sur les mérites de l'obéissance, comme d'ailleurs au libertinisme, qui spécule sur l'inconscience ou l'impuissance de l'indulgence. La doctrine de la justification réapparaît au premier plan de la réflexion théologique dès que le christianisme risque de s'affadir en une morale de la vertu progressive ou de s'ériger en un jugement impénétrable. Augustin et Luther sont ici les deux plus grands noms de la tradition théologique occidentale. Aujourd'hui, où l'homme ne tremble plus pour son salut éternel, la doctrine de la non-justification de l'homme par lui-même garde toute son actualité, si l'on peut dire, sécularisée. Elle se manifeste, dans l'athéisme de Sartre par exemple, comme le refus de toute tentative pour justifier a priori ou a posteriori les risques de la liberté et comme une modeste invitation à agir, sans prétendre se sauver soi-même.

Les sources bibliques

Le sens classique du mot « juste » désigne celui qui accomplit les actes vertueux que lui indique sa raison délibérative et qui observe ainsi les lois établies et l'égalité souhaitable. « Nous appelons juste, dit Aristote, ce qui est susceptible de créer ou de sauvegarder, en totalité ou en partie, le bonheur de la communauté politique » (Éthique à Nicomaque, V, 13). Le juste connaît le bien et s'habitue à le pratiquer. Il trouve par là sa véritable nature, sa finalité et son équilibre. Il ne redoute rien d'autre que de ne pas vivre à hauteur de lui-même. Il habite dans une « lumière d'estime », qui lui épargne l'humiliation de soi comme la présomption. Il rend à chacun et à chaque chose ce qui lui est dû. Il conforme sa conduite à sa connaissance et sa connaissance au bien qui l'oriente. La justice dans une telle perspective apparaît bien comme la vertu des vertus, mais la justification n'a pas de place ici.

Pour comprendre comment le mot grec dikaiosunè (justice) a pu être traduit par justificatio, il faut recourir à un autre contexte, celui de l'Ancien Testament. Là se trouve l'idée fondamentale selon laquelle la justice n'est pas estime de soi, mais relation de l'homme à celui qui le juge, c'est-à-dire à Dieu. L'homme est soit trouvé injuste, soit déclaré juste. Le juste n'est plus ici l'homme vertueux ni l'homme transformé par une expérience initiatique, mais l'homme confronté à la barre d'un tribunal avec celui qui l'accuse (l'accusateur est un des noms du diable, du diabolos, du diviseur entre l'homme et Dieu, dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament ; voir Job, i, 6-11 ; Zach., iii, 1 ; Apoc., xii, 10) comme avec celui qui le juge en juste juge : Dieu son créateur et son défenseur. Cette[...]

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Pour citer cet article

André DUMAS. JUSTIFICATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AUGUSTINISME

    • Écrit par Michel MESLIN, Jeannine QUILLET
    • 5 572 mots
    C'est essentiellement autour du problème de la justification que, au xvie siècle, se sont affrontés théologiens catholiques et réformés. Contre une Église qui leur paraît laxiste et corrompue, les réformateurs Luther, Calvin, Zwingli interprètent l'enseignement de l'apôtre Paul à...
  • GRÂCE

    • Écrit par Georges CASALIS
    • 4 084 mots
    ...sa propre piété, de telle sorte que la fin de cette religion est la glorification aveugle et vaine du bien-pensant, Paul oppose le message radical de la justification par grâce, par le moyen de la foi( Eph., ii, 7-8) : la justification, c'est le rétablissement d'une relation véritable avec Dieu et...
  • KUHN THOMAS (1922-1996)

    • Écrit par Alexis BIENVENU
    • 2 882 mots
    • 1 média
    D'abord, Kuhn récuse la distinction de principe entre contexte de justification et contexte de découverte, défendue explicitement par Hans Reichenbach dans Experience and Prediction, et caractéristique de l'empirisme logique en général. La description du fonctionnement de la science montre en...
  • LUTHER MARTIN (1483-1546)

    • Écrit par Martin BRECHT, Pierre BÜHLER
    • 11 985 mots
    • 5 médias
    ...principe théologique. Il faisait ressortir la contradiction existant avec les nombreuses prescriptions ecclésiastiques, qui réglementaient la vie religieuse. Le pape lui-même n'était pas autorisé à prescrire ce qui s'oppose à la Bible et à la doctrine de la justification par la foi, qui en...
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Voir aussi