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INTERPRÉTATION

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L'interprétation en psychanalyse

Que ce soit pour en contester l'importance ou pour reconnaître la nécessité de s'y référer, les sciences de l'homme n'ont pas manqué, à des degrés divers, de s'intéresser à ce qui, dans la psychanalyse, semble lui conférer sa spécificité méthodologique, à savoir l'interprétation.

Données historiques

Freud fait intervenir pour la première fois le terme d'interprétation dans la Traumdeutung (1900, traduit en français d'abord sous le titre de Science des rêves, puis d'Interprétation des rêves). Il s'attache déjà à distinguer la notion d'interprétation en psychanalyse du sens qui lui est reconnu dans l'Antiquité à propos des songes. Pour lui, l'interprétation est un travail qui a pour correspondant le travail du rêve et qui, comme celui-ci, est d'abord le fait du rêveur. Il consiste à laisser le patient fragmenter son rêve et « associer » librement à partir de chaque élément. Ainsi l'interprétation n'est-elle point conçue, à l'origine, comme un acte d'intervention externe relevant du seul analyste, mais bien comme l'acte de signification effectué par le patient dans la découverte d'un rapport entre le sens manifeste et le sens caché (toujours problématique) de ce qu'il dit. Bien qu'ainsi le rêve se trouve historiquement privilégié, les autres productions de l'inconscient – restes diurnes, fantasmes, lapsus, actes manqués, symptômes – peuvent de même être définies comme des interprétations que le sujet livre à l'analyse dans le cours de la cure. Précisément, il convient ici de distinguer, dans le champ de la psychanalyse, deux régimes de l'interprétation. D'une part, celle-ci peut se développer hors des conditions concrètes d'une cure ; c'est le cas, par exemple, des interprétations psychanalytiques portant sur des œuvres littéraires ou artistiques, sur des phénomènes sociologiques, etc. ; l'interprétation fonctionne alors comme une technique conceptuellement armée par la psychanalyse, mais engagée dans un mode de lecture et de critique qui vise à expliciter les déterminations inconscientes sous-jacentes – personnelles ou collectives – d'une œuvre ou d'un phénomène. D'autre part, l'interprétation intervient dans une relation au patient, à l'intérieur de la cure ; dans ce cas, elle relève d'un art qui obéit à des règles et possède ses moments d'incidence propres. Intégrée à la dynamique de la cure, elle se présente comme l'argument de la praxis analytique, la forme majeure de l'action thérapeutique.

Freud et ses disciples - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Freud et ses disciples

Joseph interprète les songes de Pharaon, Raphaël - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Joseph interprète les songes de Pharaon, Raphaël

Depuis 1930 environ, de nombreuses contributions ont été apportées à ce problème. Comme le fait remarquer Didier Anzieu, on « avait fini par imposer l'idée erronée d'une division du travail dans la cure : le patient produit le matériel et le psychanalyste l'interprète ». Cette division du travail est à l'origine (elle en est par ailleurs la conséquence) d'une rationalisation poussée à la limite de la technique d'interprétation. La question qui désormais se pose est celle de savoir si, lorsqu'il interprète, le psychanalyste procède à partir d'un savoir élaboré, de nature pratique et rationnelle, ou si, dans ce qu'il dit, il laisse parler son inconscient. Des psychanalystes américains tels que Kris, Hartmann et Loewenstein défendent la conception selon laquelle les interprétations émanent d'une partie du moi exempte de tout conflit et, par conséquent, pouvant faire prévaloir une rationalité propre soustraite à tout élément pulsionnel. Une partie de l'école américaine en est venue ainsi, autour de 1930-1940, à conférer à la technique d'interprétation une rationalité telle qu'elle n'a pas manqué d'enfermer finalement le problème dans un formalisme dont certains aspects sont, pour une part, contemporains des essais de formalisation logico-mathématique de la psychanalyse.

Dans une perspective différente, Ludwig Binswanger a cherché à rapporter l'interprétation psychanalytique – définie par lui en termes de mantique, au sens où cette notion comporterait à la fois une dimension heuristique et une dimension herméneutique – à des actes de compréhension dont certains sont d'ordre rationnel (selon lui, le psychanalyste serait orienté par une saisie scientifique et systématique du cas) et d'autres d'ordre psychologique inconscient (comment le psychanalyste entend-il ce qui, dans les mots du patient, est production subite, fantasme, coq-à-l'âne... ?). L'interprétation serait donc un acte de dévoilement du sens inconscient dans un va-et-vient permanent entre une compréhension systématique-rationnelle de l'économie et de la dynamique du patient et la compréhension psychologique spécifique des singularités de l'inconscient.

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Le regain de faveur dont bénéficie aujourd'hui la notion d'interprétation dans la littérature psychanalytique procède d'une conception tout à fait différente, à laquelle les travaux de Jacques Lacan ont donné des bases plus justes. En tant qu'elle concerne essentiellement l'inconscient, l'interprétation place dans un certain rapport l'écoute et la parole et assigne le sens à résider dans ce rapport. Lacan a eu raison de rappeler maintes fois la logique de l'inconscient, dont l'interprétation participe, et la nécessité pour le psychanalyste d'articuler sa parole au dire littéral du patient ou, en quelque sorte, d'engager son écoute au ras d'une énonciation. Dans ces conditions, on peut se demander s'il n'est pas arbitraire d'extraire l'interprétation de la pratique psychanalytique, alors qu'elle est présente à toute l'écoute et n'intervient pas seulement sous la forme d'une communication au patient du sens de ses productions inconscientes.

L'emploi du mot chez les psychanalystes

Le rapport entre interprétation et signification s'éclaire par l'étymologie germanique : Freud utilise le terme Deutung (interprétation) qui a même origine que le mot Bedeutung (signification), lesquels dérivent tous deux du mot deutsch, dont le sens premier correspond à l'usage de la langue par le peuple. Si bien que le deuten (interpréter, donner un sens, désigner) est tout d'abord l'acte consistant à rendre allemand un mot n'existant qu'en latin. Par extension, la Deutung consiste à rendre plus clair et plus explicite le sens d'un mot par le fait même de l'introduire ou de le transposer dans une autre langue. D'ailleurs, la signification relève bien d'une véritable mise en acte du sens (Sinn) : à la différence de ce qui se passe en astrologie, l'interprétation n'a rien ici d'une lecture statique des signes. Elle est mise en œuvre du sens, elle donne à celui-ci un fonctionnement.

Si on évite de tirer du terme lui-même une conception de l'échange (dont la pensée s'impose cependant lorsqu'il est question de pratique psychanalytique), on peut relever les acceptions différentes que prend la notion d'interprétation en psychopathologie. Déjà, pour raconter son rêve, le sujet fait subir à ses représentations et à ses souvenirs une élaboration (dite secondaire) qui constitue une première interprétation (mise en ordre du matériel onirique, recherche d'une cohérence, abandon de certains éléments qui ne « peuvent » entrer dans le récit). Dans la superstition, on retrouve, de même, un travail inconscient d'interprétation qui consiste à accorder une valeur singulière (bénéfique ou maléfique), individuelle ou commune, à des signes produits par la convergence de certains événements ou de certains phénomènes. Enfin, dans la paranoïa, les détails des expressions d'autrui prennent valeur de signes auxquels le sujet attache la plus grande importance, persuadé qu'ils le concernent en propre : les paranoïaques, dit Freud, « attribuent la plus grande signification aux petits détails que nous négligeons d'ordinaire dans le comportement d'autrui, ils interprètent à fond (ausdeuten) et ils en tirent des conclusions de grande portée ». On s'aperçoit ainsi que tout élargissement psychopathologique de la notion d'interprétation engage aussitôt d'autres notions, notamment celle de projection.

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Cependant, l'utilisation que fait Freud du terme d'interprétation pour désigner l'art ou la technique du psychanalyste ne se videra jamais complètement de toute ambiguïté. C'est ainsi qu'il a toujours pris soin de noter, tant à propos de l'interprétation que de la construction, l'analogie entre l'art du psychanalyste et le processus inconscient du malade. Dans ces conditions, il conviendrait de revenir sur le problème de la rationalité de l'interprétation psychanalytique : un nouvel argument serait alors donné en faveur d'une conception qui reconnaît la dimension pulsionnelle inconsciente de l'interprétation dans la pratique analytique.

Comprendre et interpréter

C'est dans la relation, parue en 1909, de l'analyse d'un petit garçon de cinq ans (le « petit Hans ») que Freud, loin de fixer une doctrine de l'interprétation, énonce, sinon les règles de celle-ci, du moins sa situation, son sens et sa portée dans la cure. On en peut tirer un certain nombre d'observations.

La présentation à la conscience et l'effet de ressemblance

L'art d'interpréter consiste, pour l'analyste, à dévoiler à la conscience du patient son complexe inconscient tel qu'il se laisse indiquer et comprendre à partir des éléments (rêves, fantasmes, souvenirs) fournis par le sujet. En ce sens, l'interprétation se distingue déjà d'un acte de compréhension : elle est inséparable d'une communication verbale entre l'analyste et le patient et se définit comme présentation à la conscience. Cette précision laisse entendre d'abord que le patient ne se trouvera pas nécessairement en mesure d'accepter ce qui, par la médiation des paroles de l'analyste, fait retour à lui-même. La notion de résistance est corrélative de toute présentation à la conscience d'un complexe inconscient : le patient refuse alors de se reconnaître dans le dit de l'analyste et pense que celui-ci ne le comprend pas. L'analyste parle le langage d'une vérité de l'inconscient et, pour ne point être méconnue par le patient, celle-ci n'en est pas moins difficile à accepter. Déceler le sens d'un complexe inconscient et le communiquer à la conscience du patient relève d'un acte de rétablissement par lequel il s'agit de redresser, de remettre en perspective. C'est donc aussi un acte de rassemblement du sens dans une parole. On voit ainsi selon quelles déterminations défensives le sujet peut refuser de se reconnaître dans ce que l'analyste lui restitue : c'est en ce sens qu'il faut entendre la critique si souvent formulée à l'encontre de la psychanalyse et visant le caractère prétendument « construit », « artificiel » ou « simplifié » des interprétations.

Il est vrai, comme le pense Freud, qu'en dépit de ses résistances le patient n'est pas sans attendre quelque chose qui précisément appartient à sa propre recherche inconsciente. D'où l'effet de ressemblance ou de similitude qui crée, dans l'écoute du patient, la condition d'une mise en rapport du sens à lui-même. Cet « effet », qui peut se définir comme un retour sur les traces d'un chemin, est, pourrait-on dire encore, de l'ordre d'un reflet dans le miroir ou d'un écho ; c'est l'interprétation qui crée cet effet de ressemblance et c'est à elle que revient le pouvoir d'introduire l'étrange dans le familier, et ainsi d'engendrer le malaise (l'analyste est lui-même étranger par le pouvoir de sa technique de laisser, chez le patient, venir dans ses mots familiers l'étrangeté du sens). L'interprétation concerne donc la désignation du sens caché abandonné au désir refoulé. La mise en acte du sens caché est à la fois construction et déconstruction : c'est ainsi, du moins, qu'il faut entendre cette mise en rapport, par l'interprétation, du manifeste et du caché. Dans le moment où le sens familier se défait, l'effet de sens est produit par les paroles de l'analyste et ces paroles ordonnent autrement les éléments présents dans ce que le patient avait dit.

Acheminement du sens, temps et stylistique de la présence

Le sens inconscient n'apparaît pas directement : il chemine à travers les résistances jusqu'à la conscience. C'est dire que l'interprétation se distingue à la fois d'un acte de suggestion et d'une explication. Le premier, comme l'a noté Binswanger, participe non d'un « comprendre », mais d'un « prendre à » ou d'un « prendre par » (prendre au mot, prendre par le sentiment). Il assigne donc le sujet à résider tout entier dans une de ses expressions. Or l'interprétation ne suggère pas ; elle annonce qu'il y a sens quelque part dans ce que le sujet énonce et que lui seul finira par trouver. De même, à confondre l'interprétation avec l'explication, quand il est question de l'inconscient, on enchaînerait le patient à ses raisons ; on l'enfermerait dans la cohérence logique de ses résistances et, au lieu de lui redonner accès à une histoire, on ne ferait que lui représenter sa vie en un système de causalité qui l'aliénerait une seconde fois. Ainsi qu'en témoignent les psychologies du comportement et les caractérologies, l'explication rationnelle construit un nouveau mythe ou substitue au mythe personnel un modèle logique de représentation de soi conformément à une norme scientifique d'adaptation. Par conséquent, affirmer que le sens ne peut que s'acheminer, c'est reconnaître qu'il n'est jamais préfabriqué et qu'il est, au contraire, toujours à côté, en deçà ou au-delà de l'expression qui le manifeste. Si l'interprétation a pour fonction de restituer au patient le sens inconscient, elle tire essentiellement son pouvoir de ce qu'elle fait jouer cet effet de ressemblance et désigne le sens par ce qui s'en écarte.

Lier l'interprétation au cheminement du sens revient encore à souligner le rapport de l'interprétation au temps. D'une part, le moment où l'analyste interprète n'est pas immédiatement consécutif à celui où il a compris : une différence s'introduit qui garantit l'interprétation contre la compulsion « sauvage » à communiquer au patient, sur un mode systématique, le sens devenu objet de savoir pour l'analyste, à le lui « jeter brusquement à la tête ». C'est pourquoi le savoir de l'analyste ne peut être acquis ni dans les livres ni à l'Université : la part pulsionnelle de l'interprétation ne s'entend que sur le fond d'une formation analytique personnelle. D'autre part, l'acheminement du sens jusqu'à la conscience du patient implique, pourrait-on dire, un retard nécessaire qui garantit que le sens « travaille » : ce dernier met en œuvre chez le patient tout un matériel inconscient, qui viendra au jour, à un moment ou à un autre, dans l'analyse. Le pouvoir de l'interprétation consiste donc bien à laisser le sens s'acheminer selon une temporalité propre à la dynamique de la cure et à la perméabilité du sujet.

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Cette fonction temporelle de l'interprétation se rattache non seulement à une sémantique du sens, mais aussi à une stylistique de la présence. Parmi les travaux qui ont traité de l'interprétation, certains (Victor N. Smirnoff) ont justement souligné la part qui revenait à la présence de l'analyste, à sa voix, à ses intonations, à la matière corporelle de son silence et de sa parole, c'est-à-dire à son style. Ce style est éminemment perceptible par le patient et c'est même de la réalité concrète de la présence de l'analyste que celui-là tire souvent une abondante matière de productions fantasmatiques. C'est pourquoi l'analyse ne s'inscrit pas entièrement dans le champ verbalisé d'un langage, pas plus que l'interprétation n'obéit exclusivement à des règles techniques formellement appliquées. La voix, le rythme de la parole, le rapport de celle-ci au silence qui la soutient, enfin les moments où l'analyste interprète appartiennent à une stylistique de l'interprétation dans la cure et se laissent décrire en termes de distance (éloignement, proximité, rapprochement, ouverture, fermeture), dans une problématique existentielle de la communication. Freud n'a pas ignoré cette « saisie subconsciente d'éléments infra-cliniques » (V. N. Smirnoff). « La détermination plus subtile, écrit-il dans la Psychopathologie de la vie quotidienne, [qui préside] à l'expression, parlée ou écrite, de la pensée, mériterait qu'on lui prêtât une attention soigneuse. On croit généralement être libre de choisir les mots dont nous affublons nos pensées, ou les images dont nous les travestissons. Mais une observation plus attentive montre que d'autres considérations décident de ce choix, et que la forme de la pensée laisse transparaître un sens plus profond et souvent non intentionnel. » On pourrait rapprocher ces points de vue de ceux qui ont été largement exprimés par Max Scheler et surtout, en psychiatrie, par Binswanger. Pour ce dernier, l'approche clinique ne peut se limiter à une compréhension et une interprétation sémantiques : l'exemple des rêves prouve qu'il faut réengager toute approche sémantique dans une description de l'esquisse existentielle qui n'est autre que la détermination stylistique de la présence. C'est pourquoi Binswanger introduit – à la suite de Heidegger – la notion de direction de signification (Bedeutungsrichtung) qui est, précisément, ce qui conduit le sens ou qui le laisse s'acheminer (soit, par exemple, la verticalité de la chute, l'ascensionnalité du vol dans des contenus oniriques dont le sens peut être interprété comme sexuel).

L'élaboration de l'interprétation

En insistant sur le retard entre le moment de la compréhension et celui de l'interprétation, on a implicitement distingué la compréhension psychanalytique de toute autre compréhension. De même que le patient « met du temps » à élaborer en lui le sens inconscient de ce qu'il dit, de même, ce que l'analyste comprend, bien qu'écouté dans le hic et nunc de la parole du patient, ne peut en aucun cas donner lieu à une interprétation systématique. Certes, l'analyste intervient au sujet de ce qu'exprime le patient au moment où quelque chose se dit qui peut être interprété, mais il ne faut pas méconnaître le travail inconscient d'élaboration de l'interprétation dont l'attention flottante est, pourrait-on dire, à la fois la forme extérieure et la disposition subjective. L'interprétation donnée par l'analyste engage, au niveau de la parole, le rapport singulier du comprendre et de l'interpréter : la parole de l'interprétation a le pouvoir de « guérir », comme dit Freud, si précisément elle fait exister, au cœur des mots, l'inconscient et si elle a implicitement le sens de sa mesure et de sa portée. Car, pour aider le patient à découvrir son complexe inconscient « là même où il est ancré », la parole de l'interprétation se refuse à être énoncée hors de l'écoute que l'analyste lui-même en a, ce qui représente, comme dit V. N. Smirnoff, le corollaire nécessaire du savoir entendre : « Strict corollaire du savoir entendre, s'écouter parler n'est pas aussi aisé qu'on le dit. » Dans ces conditions, l'interprétation psychanalytique comporte à tout instant une totale sensibilité à ce qui se passe dans la cure, et notamment à ce qu'on peut appeler l'évolution du transfert. Freud rappelait que la psychanalyse était analyse des résistances et analyse du transfert : c'est bien ainsi que se dessine la place de l'interprétation, qui a partie liée au discours du patient (associatif et interprétatif) et qui n'est opérante que parce qu'elle n'est pas seulement révélation du sens à la conscience, mais surtout analyse toujours en œuvre des résistances du sujet.

L'objet de l'interprétation

On en vient alors à se poser une dernière question : qu'est-ce qui est interprété ? La réponse n'est sans doute pas facile si l'on veut désigner des contenus précis, par exemple les productions de l'inconscient : rêves, fantasmes, lapsus. En fait, on s'aperçoit bien vite que la définition de l'interprétation en psychanalyse ne peut se satisfaire de la référence exclusive au symbole. Il faut ici reconnaître la spécificité de la cure analytique dans ce qu'elle engage sous le rapport du désir et de la frustration, et, par là, au regard de la réalité. « Il subsiste un art de l'interprétation, écrit G. Favez. Il peut s'inspirer délibérément [...] et efficacement, de cette attention prêtée à la frustration dans le destin des hommes [...] Il faut sauvegarder l'objet de l'interprétation psychanalytique. Ainsi parler du désir sans parler de la frustration, sans parler du refus de la frustration n'a pas de sens. Le manque est ici majeur dans le développement de la cure [...] La situation est suffisamment frustrante, il ne faut rien y ajouter, ni effaroucher, ni déconcerter à plaisir. L'interprétation s'imposera d'elle-même quand le désir sera reconnu comme refus de la frustration. À ce moment, le patient peut reconnaître que l'analyste pense comme lui et, le plus fréquemment, ce sera celui-ci qui devra reconnaître que le patient pense comme lui. »

Selon cette perspective, on pourrait poser à nouveau la question de la nature de l'interprétation psychanalytique par rapport aux modalités différentes de l'interprétation dans d'autres sciences de l'homme. Le psychanalyste est-il traducteur ou herméneute ? Ou n'est-il ni l'un ni l'autre ? Pour André Green, qui a tenté d'y répondre en s'inspirant de l'enseignement de Lacan, « il ne veille pas tant à déterrer le passé qu'à faire émerger le sens nouveau, la retrouvaille de la vérité ». Son interprétation inscrite dans un rapport au désir opère comme le signifiant dont le sujet se sert, lui aussi et lui déjà, pour interpréter.

— Pierre FÉDIDA

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Écrit par

  • : professeur de psychopathologie à l'université de Paris-VII, directeur du Laboratoire de psychopathologie, directeur de formation doctorale, chargé de mission pour la création de l'Institut interuniversitaire européen, codirecteur de la Revue internationale de psychopathologie

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Wilhelm Dilthey

Freud et ses disciples - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

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