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ORALE TRADITION

La communication orale

Les propriétés essentielles de l'oralité sont définies bien souvent de manière privative : pour l'historien, la tradition orale constitue une source, certes précieuse, mais peu fiable ; pour l'ethnologue, elle fournit une voie d'accès aux croyances, mais sans les exprimer simplement ; elle participe à la transmission de systèmes de représentations, mais ne peut en garantir la parfaite reproduction ; enfin, elle constitue des littératures sans œuvres délimitées ni auteurs identifiables. Pour progresser dans ce domaine, il convient sans doute d'aborder le processus même de la transmission orale, et son influence sur les phénomènes culturels et non seulement les conséquences de l'absence d'autres modes de transmission des informations.

L'utilisation de la transmission orale impose deux types de contraintes, portant sur la communication et sur la mémorisation ; les messages sont transmis et mémorisés d'une manière particulière. Certains auteurs, tels W. J. Ong, W. Chafe, D. Tannen, ont essayé de décrire précisément ces contraintes de l'oralité, en partant généralement de l'opposition entre communication orale et communication écrite. Les différences en question concernent à la fois l'organisation interne des messages et les rapports entre interlocuteurs.

Le propre du message écrit, selon W. Chafe, est d'être à la fois intégré (il est toujours susceptible de corrections qui éliminent les incohérences) et physiquement appréhensible hors de la présence de l'énonciateur : message et auteur peuvent donc être évalués de manière totalement indépendante. À l'inverse, le message oral, non corrigible sauf par l'émission d'autres messages, est généralement peu intégré ; et certaines caractéristiques typiques des discours oraux, telles que la redondance ou la sui-référence, ont pour origine le besoin de réparer les incohérences ou obscurités au cours de l'émission. Cette opposition doit, certes, être nuancée ; des manifestations orales formalisées ou ritualisées, certaines divinations par exemple, présentent des messages extrêmement organisés et intégrés.

La propriété de l'oralité la plus importante dans la constitution des traditions est sans doute ce que Chafe appelle son aspect « testimonial » (evidentiality). Il est presque impossible, dans une communication orale, de transmettre des informations sans, du même coup, suggérer quel rapport est établi entre le locuteur et ces informations, dans la mesure où l'énoncé oral fait le plus souvent mention des sources d'où le locuteur tient les informations concernées et donne à penser qu'il entretient une attitude spécifique (certitude, connaissance, supposition, doute, etc.) vis-à-vis de ces données. Cette caractéristique se retrouve, certes, dans la communication écrite ; mais elle n'y est pas directement utilisée pour l'intelligence du message lui-même. Dans la tradition orale, les locuteurs sont toujours soucieux de décrire l'autorité dont procèdent les messages (les esprits, les ancêtres ou les dieux, ainsi que la chaîne de leurs interprètes autorisés), ainsi que leur lien avec ces entités, d'où découle leur compétence supposée.

Ces recherches devraient être complétées par une étude plus précise des mécanismes de mémorisation mis en jeu ; ces processus cognitifs déterminent certainement le contenu de la tradition orale ; ils ont été longtemps négligés par l'ethnologie, qui pourtant mettait l'accent sur la spécificité de la culture et de la pensée « traditionnelles ». Les hypothèses sur la communication orale mentionnées ici aboutissent à mettre l'accent sur les propriétés « événementielles » des communications orales. Transmettre une tradition, c'est avant tout pouvoir mémoriser et intégrer certains événements communicatifs dont[...]

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Écrit par

  • : research fellow au King's College de l'université de Cambridge

Classification

Pour citer cet article

Pascal BOYER. ORALE TRADITION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Langues

    • Écrit par Emilio BONVINI, Maurice HOUIS
    • 8 307 mots
    • 1 média
    Dire que la civilisation négro-africaine est sans écriture, c'est la qualifier par défaut et par référence analogique à une technique de communication qui lui est originellement étrangère. Certes, il n'est pas facile de définir l'oralité, d'autant plus que cet aspect a peu retenu l'attention des anthropologues....
  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    Les littératures traditionnelles d'Afrique s'inscrivent toutes dans une civilisation de l'oralité, ce qui n'implique ni ignorance ni exclusion de l'écriture. Cela veut dire que, même lorsqu'elle laisse des traces écrites, la littérature traditionnelle n'est pas faite pour...
  • ALCHIMIE

    • Écrit par René ALLEAU, Universalis
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...La troisième branche, à peu près inconnue, non seulement des historiens, mais de la plupart des alchimistes eux-mêmes, n'a laissé aucune trace écrite. Transmise toujours oralement, elle n'est pas essentiellement différente de la tradition chinoise archaïque. Elle n'est ni préchimique, ni philosophique,...
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