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QUININE

Isolée pour la première fois en 1820, la quinine est, après la morphine et l’émétine, un des premiers alcaloïdes à usage thérapeutique extraits de plantes. Cette substance a dominé le traitement et la prévention du paludisme jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Historique

En 1569, le médecin de Philippe II d’Espagne, Francisco Hernández, est chargé de réaliser l’inventaire des savoirs, pratiques et remèdes utilisés par les Indiens de l’Amérique espagnole : à nouveaux territoires, nouvelles ressources... L’écorce d’un arbre, le quina-quina qui pousse sur l’Altiplano péruvien, fait partie de l’inventaire. Quel que soit l’usage particulier que les Indiens des Andes avaient pu faire de cette écorce, sans doute pour se prémunir des frissons dus au froid, l’écorce, broyée en fine poudre est utilisée avec succès contre les fièvres intermittentes (plus ou moins synonymes de paludisme) dès la fin du xvie siècle par les notables espagnols au Pérou. Le remède arrive peu après en Espagne, sans doute vers 1620. Utilisé comme fébrifuge, il se répand sous le nom de « poudre des jésuites » dans toute l’Europe. Louis XIV est guéri de ses fièvres grâce à cette poudre, d’ailleurs connue en France plutôt sous le nom de « remède anglois ». La Fontaine en fait l’éloge dans le « Poème du quinquina » (1682). À la fin du xviiie siècle, plus personne ne doute que l’écorce de l’arbre appelé Cinchona par Linné en 1753, ou encore quinquina, contient un principe actif contre les fièvres. Elle entre dans la pharmacie des vaisseaux de ligne britanniques. Mais l’efficacité des écorces, jaune, rouge ou grise, obtenues d’arbres de la côte ou de la montagne, est variable ; en outre, bien des contrefaçons circulent.

Écorce de quinquina - crédits : Heike Rau/ Shutterstock

Écorce de quinquina

Fleurs et feuilles de l’arbre à quinquina - crédits : Wellcome Collection

Fleurs et feuilles de l’arbre à quinquina

En 1820, poursuivant l’isolement par précipitation acide-base de substances actives des plantes médicinales, deux pharmaciens parisiens, Joseph Bienaimé Caventou et Pierre Joseph Pelletier, extraient de l’écorce de quinquina jaune un mélange de substances amer et basique, dans lequel prédomine donc un alcaloïde : la quinine. Ils ne réalisent aucun essai thérapeutique, mais le médecin parisien François-Joseph Double en a connaissance et réalise dans les semaines qui suivent une série d’essais sur des malades atteints de paludisme. Ses résultats de guérisons spectaculaires sont publiés dans la Revue médicale en 1820, tandis que les pharmaciens ne soumettent leur mémoire à l’Académie royale de médecine qu’à la fin de cette même année pour ne publier le détail de leur méthode qu’en 1821. La quinine est alors testée contre les fièvres un peu partout en Europe. Une première revue des résultats est rédigée en 1823 par le médecin britannique John Elliotson. Elle est suivie en 1829 par une magistrale synthèse de François Magendie dans son Formulaire pour la préparation et l’emploi de plusieurs nouveaux médicaments : la quinine est bien le spécifique des fièvres intermittentes et essentiellement d’elles seules, même si on lui concède des usages marginaux. Disposer d’un médicament pur ouvre la porte à une thérapeutique enfin scientifique et quantitative d’une maladie très répandue : on peut établir une relation dose-effet et évaluer le seuil de toxicité. La quinine n’est donc pas seulement le médicament contre les fièvres, elle devient au cours des années 1820 la pierre angulaire d’un changement dans l’esprit de la médecine.

L’écorce de divers arbres originaires de la cordillère des Andes contient ce principe actif. Ce sont les quinquinas gris (Cinchonaofficinalis), jaunes (C. calisaya, C. ledgeriana) et rouges (C. pubescens). La concentration en quinine des écorces varie selon l’espèce et les conditions de culture de l’arbre. Du fait du succès mondial de la quinine, les forêts de quinquina de l’Amérique latine furent pratiquement épuisées vers 1880.[...]

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

Classification

Pour citer cet article

Gabriel GACHELIN. QUININE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Écorce de quinquina - crédits : Heike Rau/ Shutterstock

Écorce de quinquina

Fleurs et feuilles de l’arbre à quinquina - crédits : Wellcome Collection

Fleurs et feuilles de l’arbre à quinquina

Autres références

  • ALCALOÏDES

    • Écrit par Jacques E. POISSON
    • 5 686 mots
    • 5 médias
    ...évidence les premiers « principes actifs » des plantes utilisées en médecine, ouvrant la voie à un emploi plus rationnel des médicaments. On ne peut passer ici sous silence le nom de deux pharmaciens français, P. J.  Pelletier et J. B.  Caventou, qui sont à l'origine de la découverte de laquinine en 1820.
  • CHLOROQUINE ET HYDROXYCHLOROQUINE

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 3 078 mots
    • 2 médias
    ...paludisme. Entre 1820 et 1840, une trentaine d’alcaloïdes sont isolés de ces écorces. Deux de ces molécules trouvent immédiatement leur place en médecine : la quinine, médicament spécifique du paludisme, et la quinidine, énantiomère de la quinine (son image dans un miroir), historiquement utilisée dans le traitement...
  • PALUDISME ou MALARIA

    • Écrit par Robert DURIEZ, Universalis, Yves GOLVAN
    • 2 876 mots
    • 4 médias
    Parmi les schizonticides, la quinine (alcaloïde du quinquina) garde toujours des indications importantes, grâce à la rapidité de son action, précieuse dans les formes graves. La brièveté de ses effets lui fait préférer dans la pratique courante des produits plus récents et plus faciles d’emploi, les «...
  • PRÉVENTION DU PALUDISME

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 4 789 mots
    • 5 médias
    ...militaires, l’amirauté britannique a élaboré en 1847 un règlement (rapport Bryson) prescrivant, chaque jour et sous le contrôle des officiers, la prise de sulfate de quinine (purifiée depuis 1820) aux équipages naviguant dans les zones à paludisme. La procédure a semblé remarquablement efficace puisque la...

Voir aussi