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MONDRIAN PIET (1872-1944)

La grille

<it>Composition II</it>, P. Mondrian - crédits : Photo 12/ Universal Images Group/ Getty Images

Composition II, P. Mondrian

Dès lors, les choses vont aller très vite pour Mondrian. Sous l'influence de Bart Van der Leck, il introduit le plan de couleur primaire dans son vocabulaire plastique (où figurait déjà le bâtonnet noir), mais, n'ayant pas encore trouvé le moyen d'articuler entre eux ces divers éléments, il les lie par le biais d'un dynamisme optique fondé sur leur superposition, ce qui a pour conséquence immédiate de faire optiquement reculer le fond (Composition avec plans de couleur A et B, 1917) et de contredire à cette donnée essentielle de la démarche du peintre, la reconnaissance de la surface du tableau. Dans les cinq Compositions avec plan de couleur datant aussi de 1917, toute superposition est éliminée, mais aussi toute « ligne ». Dans les deux dernières toiles de cette série, le « fond » lui-même est divisé intégralement en plans de différents blancs et les rectangles colorés, moins nombreux, sont en voie d'alignement. Malgré cela, les rectangles flottent encore et en conséquence le fond se creuse derrière eux : c'est là que la structure linéaire qui est la marque personnelle de Mondrian apparaît pour la première fois, dans Composition : plan de couleur avec lignes grises de 1918 (coll. Max Bill, Zurich) et deux autres œuvres aujourd'hui perdues. Il n'y a plus de « fond » blanc, et les rectangles, plus alignés encore que précédemment, sont tous délimités par des lignes grises. Ces toiles ressemblent tant aux œuvres plus tardives du néo-plasticisme, postérieures à 1920, qu'on les a souvent mal datées, mais, bien que les plans blancs ou gris, moins nombreux que les autres, ne puissent être tenus pour le « fond » du tableau, les rectangles flottent toujours, « s'individualisent » encore. C'est à ce point que Mondrian introduit la grille modulaire all-over (dans neuf toiles de 1918-1919), grille qui a l'avantage de diminuer ou plutôt d'égaliser tout contraste, de prévenir toute individualisation, et d'abolir définitivement l'opposition figure/fond. Mais là encore cette abolition même, loin d'accentuer la planéité du tableau, néantise la surface d'inscription sous un pilonnage incontrôlable d'oscillations optiques dues à la multiplication des lignes et des croisements, recrée un effet de profondeur illusoire, là où le but était d'en interdire la possibilité. De retour à Paris au printemps de 1919 (il y restera jusqu'en 1938, son atelier de la rue du Départ devenant un haut lieu de pèlerinage de l'avant-garde artistique européenne), Mondrian abandonne peu à peu la grille modulaire ; il lui faudra deux ans pour l'enterrer tout à fait, et toutes les œuvres de 1920, à l'exception du dernier tableau peint cette année, que l'on peut considérer comme le premier tableau néo-plastique (Composition avec rouge, jaune et bleu, Stedelijk Museum d'Amsterdam), sont le produit de ce lent travail de renoncement. Pourquoi Mondrian y fut-il conduit, alors que la grille modulaire semblait de prime abord répondre par excellence au but qu'il s'était assigné ? Parce qu'elle ne remplit pas la fonction pour laquelle il l'avait convoquée (camper, une fois pour toute et sans hiérarchie, la surface dans son intégrité) et parce qu'elle exalte le rythme, la répétition, c'est-à-dire le « naturel », le particulier. C'est de ce double refus qu'est né le principe du néo-plasticisme qui demeurera inchangé jusqu'aux années 1930, et dont Mondrian conçoit sa peinture comme un pâle reflet.

<it>Composition avec grille 8</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Composition avec grille 8, P. Mondrian

<it>Composition dans le losange avec jaune, noir, bleu, rouge et gris</it>, P. Mondrian - crédits : 2010 Mondrian/ Holtzman Trust c/o HCR International Virginia USA

Composition dans le losange avec jaune, noir, bleu, rouge et gris, P. Mondrian

<it>Composition avec rouge, jaune et bleu</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/ Bridgeman Images

Composition avec rouge, jaune et bleu, P. Mondrian

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Yve-Alain BOIS. MONDRIAN PIET (1872-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Petite Maison au soleil</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Petite Maison au soleil, P. Mondrian

Composition de lignes noires, P. Mondrian - crédits : Stichting Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas. © Holzman Trust

Composition de lignes noires, P. Mondrian

<it>Composition avec grille 8</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Composition avec grille 8, P. Mondrian

Autres références

  • MONDRIAN / DE STIJL (expositions)

    • Écrit par Guitemie MALDONADO
    • 983 mots
    • 1 média

    La dernière exposition monographique et rétrospective consacrée en France à l'œuvre de Piet Mondrian (1872-1944) datait de 1969 ; présentée à l'Orangerie des Tuileries, elle avait également été la première dans ce pays où l'artiste, Hollandais d'origine, avait pourtant passé près de trente...

  • THE NEW ART - THE NEW LIFE, THE COLLECTED WRITINGS, Piet Mondrian - Fiche de lecture

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 1 222 mots
    • 1 média

    L'œuvre picturale de Piet Mondrian (1872-1944) est l'une des plus radicales du xxe siècle. L'une des plus résistantes aussi. Son rejet de toute forme de représentation, la réduction de son vocabulaire esthétique à l'horizontale, à la verticale, et aux trois couleurs primaires apparaissent...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    L'intérêt de Mondrian pour la spiritualité et l'ésotérisme le conduit à adhérer, en 1909, à la Société de théosophie d'Amsterdam. Le néo-plasticisme, dédié en 1920 « aux hommes futurs », tire les conclusions du combat entre l'objectif et le subjectif, l'universel et l'individuel : à l'harmonie de la...
  • BARRÉ MARTIN (1924-1993)

    • Écrit par Universalis, Ann HINDRY
    • 1 237 mots
    ...peu une réflexion sur l'espace, où le geste du peintre se fait minimal. Cependant, s'il n'y a pas réellement parenté, il y a certainement affinités, et Mondrian et Malévitch seront une importante source d'inspiration pour Barré au début de sa carrière. En 1958, il fait un voyage aux Pays-Bas et au Danemark,...
  • DÉVELOPPEMENT DU HAPPENING SELON ALLAN KAPROW - (repères chronologiques)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 724 mots

    1922 Projetant la future dissolution de l'art dans la vie, Piet Mondrian écrit : « L'art est déjà en partielle désintégration – mais sa fin serait prématurée. Les conséquences du Néoplasticisme sont effrayantes. » Allan Kaprow prolongera cette intuition.

    1943 Quelques années...

  • ÉCRITS ET PROPOS, Willem de Kooning - Fiche de lecture

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 1 063 mots
    • 1 média
    ...affirme-t-il, devient mes formes et mon état. » Sans cesse, son propos revient donc sur cette optique particulière qui travaille son art et infléchit jusqu'à sa perception de l'abstraction géométrique inflexible d'un Mondrian. Chez ce dernier expliquait De Kooning en 1972, « l'illusion d'optique réside dans...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi