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MONDRIAN PIET (1872-1944)

Le rythme

Le dernier atelier de Piet Mondrian à New York - crédits : 2000 Kunsthaus Zurich, Suisse, the Estate of Fritz Glarner, all rights reserved. © Mondrian/Holzman Trust 

Le dernier atelier de Piet Mondrian à New York

Après plusieurs années durant lesquelles Mondrian affine son système compositionnel, une transformation importante apparaît avec la découverte du jazz américain (qu'il conçoit comme une sorte d'équivalent musical au néo-plasticisme pictural) ; le rythme, qui était banni de son appareil théorique, est désormais doté d'une valeur positive : non limité, non formel, le « rythme libre » du jazz est universel (non particulier). Par un tour de passe-passe théorique, Mondrian dissocie encore le rythme de la répétition qui demeure « individuelle » (oppression de la machine ou limitation biologique). Au début des années 1930, l'immobilité du repos (dès lors associée à la symétrie mais aussi à la « similitude », c'est-à-dire à la répétition) est peu à peu écartée au profit de la notion d'« équilibre dynamique ». Traduction plastique immédiate : les lignes, considérées jusqu'alors comme secondaires par rapport aux plans, ayant pour seule fonction de les « déterminer », deviennent l'élément le plus actif de la composition. Mondrian en vient à donner à la ligne une fonction destructrice. Le croisement multiplié des lignes anéantit l'identité statique, monumentale, des plans, les abolit en tant que rectangles, en tant que formes. La prochaine étape sera d'abolir la ligne elle-même en tant que forme par des « oppositions mutuelles », ce qu'il essaiera explicitement de faire dans ses œuvres new-yorkaises (ayant quitté Paris pour Londres en 1938, il vit à New York les dernières années de sa vie, d'octobre 1940 à février 1944). Mais cette ultime destruction n'aura été possible qu'une fois pleinement acceptée la possibilité de la répétition, et l'acception de cette possibilité dont le bannissement avait été au départ du néo-plasticisme débouche sur une autre transformation radicale de l'appareil théorique de Mondrian : la découverte de la nécessité de la destruction de l'entité « surface ». Loin cependant d'en revenir simplement aux oscillations optiques qui perturbent notre perception des toiles modulaires de 1919, Mondrian imagine un autre moyen de prévenir notre appréhension gestaltiste de la surface du tableau : un tressage en épaisseur de bandes colorées dont nous ne pouvons plus maîtriser visuellement la complexité. Les dernières toiles new-yorkaises de Mondrian, y compris le Victory Boogie Woogie inachevé (1944, collection Mr. and Mrs. Burton Tremaine, Meridan, Conn.), dont il compliqua à souhait la structure une semaine avant sa mort, sont l'exploration de cette ultime possibilité, offrant au spectateur le vertige aporétique d'une profondeur plate qui a pour charge de « libérer notre vision ». Une entreprise picturale aura rarement été menée selon une logique aussi implacable, avec une conscience aussi aiguë des enjeux en question. Lorsque son ami Carl Holty demanda à Mondrian, qui travaillait à son dernier tableau, pourquoi il s'acharnait, tel Pénélope, à détruire le lendemain ce qu'il avait achevé la veille, celui-ci répliqua : « Ce ne sont pas des tableaux que je veux, je veux seulement découvrir des choses. »

— Yve-Alain BOIS

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Yve-Alain BOIS. MONDRIAN PIET (1872-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Petite Maison au soleil</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Petite Maison au soleil, P. Mondrian

Composition de lignes noires, P. Mondrian - crédits : Stichting Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas. © Holzman Trust

Composition de lignes noires, P. Mondrian

<it>Composition avec grille 8</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Composition avec grille 8, P. Mondrian

Autres références

  • MONDRIAN / DE STIJL (expositions)

    • Écrit par Guitemie MALDONADO
    • 983 mots
    • 1 média

    La dernière exposition monographique et rétrospective consacrée en France à l'œuvre de Piet Mondrian (1872-1944) datait de 1969 ; présentée à l'Orangerie des Tuileries, elle avait également été la première dans ce pays où l'artiste, Hollandais d'origine, avait pourtant passé près de trente...

  • THE NEW ART - THE NEW LIFE, THE COLLECTED WRITINGS, Piet Mondrian - Fiche de lecture

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 1 222 mots
    • 1 média

    L'œuvre picturale de Piet Mondrian (1872-1944) est l'une des plus radicales du xxe siècle. L'une des plus résistantes aussi. Son rejet de toute forme de représentation, la réduction de son vocabulaire esthétique à l'horizontale, à la verticale, et aux trois couleurs primaires apparaissent...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    L'intérêt de Mondrian pour la spiritualité et l'ésotérisme le conduit à adhérer, en 1909, à la Société de théosophie d'Amsterdam. Le néo-plasticisme, dédié en 1920 « aux hommes futurs », tire les conclusions du combat entre l'objectif et le subjectif, l'universel et l'individuel : à l'harmonie de la...
  • BARRÉ MARTIN (1924-1993)

    • Écrit par Universalis, Ann HINDRY
    • 1 237 mots
    ...peu une réflexion sur l'espace, où le geste du peintre se fait minimal. Cependant, s'il n'y a pas réellement parenté, il y a certainement affinités, et Mondrian et Malévitch seront une importante source d'inspiration pour Barré au début de sa carrière. En 1958, il fait un voyage aux Pays-Bas et au Danemark,...
  • DÉVELOPPEMENT DU HAPPENING SELON ALLAN KAPROW - (repères chronologiques)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 724 mots

    1922 Projetant la future dissolution de l'art dans la vie, Piet Mondrian écrit : « L'art est déjà en partielle désintégration – mais sa fin serait prématurée. Les conséquences du Néoplasticisme sont effrayantes. » Allan Kaprow prolongera cette intuition.

    1943 Quelques années...

  • ÉCRITS ET PROPOS, Willem de Kooning - Fiche de lecture

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 1 063 mots
    • 1 média
    ...affirme-t-il, devient mes formes et mon état. » Sans cesse, son propos revient donc sur cette optique particulière qui travaille son art et infléchit jusqu'à sa perception de l'abstraction géométrique inflexible d'un Mondrian. Chez ce dernier expliquait De Kooning en 1972, « l'illusion d'optique réside dans...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi