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DELORME PHILIBERT (1514-1570)

Architecture traditionnelle et architecture moderne

Débarrassée de son fiel et remise dans une perspective historique large, la relation que Philibert entretient avec le monde des maçons apparaît aujourd'hui comme une des clés pour comprendre son œuvre et la resituer correctement dans l'histoire. Les travaux de J. M. Pérouse de Montclos sur la place de la stéréotomie dans l'architecture classique française l'ont montré. Si Delorme, le père de la stéréotomie, a transformé la technique médiévale de l'art du trait en une science moderne, c'est parce qu'il est l'héritier le plus fidèle mais aussi le plus habile d'une pratique romane maintenue vivante par les maçons du midi de la France. Il entretient la même familiarité avec les modes constructifs du monde gothique : en 1548, il couvre la chapelle du château de Vincennes de voûtes nervurées dans la meilleure tradition des appareilleurs du xiiie siècle. De la tradition française, Delorme retient beaucoup d'autres particularités : la travée verticale de façade, la toiture distincte pour chaque corps de logis, le traitement tricolore des masses (ardoise, pierre, brique).

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence - crédits :  Bridgeman Images

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence

Cependant, Philibert a l'avantage sur les maçons français non seulement de connaître la géométrie et la perspective, mais aussi d'avoir été en Italie. Le but du premier voyage est clair. Le jeune architecte, à l'instar de la Pléiade, est parti chercher dans les ruines antiques les règles utiles pour revivifier et moderniser l'architecture française. Ce qu'il trouve le bouleverse. Mesurant les fragments d'édifices qu'il pense conçus d'après des normes, il découvre la prodigieuse diversité de l'architecture antique. Mais il est aussi captivé par la qualité de l'architecture contemporaine italienne. À Rome, il a rencontré Antonio da Sangallo le Jeune – et sans doute fréquenté son atelier, étudié ses projets en cours, à moins qu'il n'ait visité ses chantiers en passant par Florence, étape essentielle où l'attend le choc michelangélesque : la chapelle Médicis, la Laurentienne inachevées mais fulgurantes d'inventions ; avant Venise, il va aussi à Vérone où construit Sanmicheli. Les impressions sont fortes, mais Delorme, soucieux de débarrasser l'architecture française du poids de l'Italie, ne saurait l'admettre publiquement. La lecture du traité est révélatrice ; les livres V à VIII du Premier Tome de l'architecture exposent longuement la vraie leçon qu'il faut tirer de l'étude de l'Antiquité mais pas un mot n'est dit de l'architecture moderne transalpine. Trois architectes contemporains seulement sont cités, Bramante, par allusion et pour être critiqué, Serlio et Alberti nommément mais à propos de l'architecture antique. Malgré lui, cependant, Delorme laisse filtrer quelque chose des émotions que l'architecture moderne italienne a fait naître en lui : deux éléments du palais Farnèse dessinés par Michel-Ange – une fenêtre du second étage sur cour et la   corniche – sont présentés l'un comme une invention personnelle, l'autre comme un fragment d'antique.

Mais quelle influence l'architecture transalpine a-t-elle exercée sur le bâtisseur ? Blunt, juxtaposant un peu sommairement édifices italiens et œuvres de Delorme, jugeait cette influence importante. Les historiens sont aujourd'hui plus nuancés dans leurs opinions. Il est vrai que le château de Saint-Maur (1541), la première grande commande de Delorme, est traité comme une villa italienne : quatre corps de bâtiments d'un étage couverts d'un toit bas, une composition dominée par les horizontales, un décor à fresques. Mais peut-être ce parti italianisant a-t-il été suggéré à l'architecte par son client, le cardinal Jean du Bellay, encore imprégné de sa récente mission[...]

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Pour citer cet article

Françoise BOUDON. DELORME PHILIBERT (1514-1570) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence - crédits :  Bridgeman Images

Nouvelle sacristie, Saint-Laurent , Florence

Chenonceau - crédits : A&G Reporter/ AGF/ Universal Images Group/ Getty Images

Chenonceau

Autres références

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture, sciences et techniques

    • Écrit par Antoine PICON
    • 7 914 mots
    • 6 médias
    ...nombreux architectes vont d'ailleurs chercher à concilier les acquis constructifs du Moyen Âge avec les enseignements de l'Italie. En France, l'œuvre d'un Philibert Delorme (1514-1570) porte tout entière la marque de cette entreprise de conciliation, depuis la galerie de la maison Bullioud, à Lyon, jusqu'aux...
  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - L'architecte

    • Écrit par Florent CHAMPY, Carol HEITZ, Roland MARTIN, Raymonde MOULIN, Daniel RABREAU
    • 16 589 mots
    • 10 médias
    ...constamment que l'artiste doit aussi maîtriser les différentes contraintes – techniques, financières, économiques et matérielles – de l'art de construire. Philibert de l'Orme, à cette époque, met en garde contre les maçons ou les charpentiers qui se disent architectes ; son Premier Tome de l'architecture...
  • BULLANT JEAN (1520 env.-1578)

    • Écrit par Yves PAUWELS
    • 954 mots
    • 1 média

    À la Renaissance, Jean Bullant est, avec Philibert Delorme et Pierre Lescot, le troisième acteur de l'introduction en France des formes classiques. Issu d'une famille de maçons, il se forma au langage de l'architecture à l'antique grâce à la lecture du Quarto Libro...

  • FONTAINEBLEAU CHÂTEAU DE

    • Écrit par Renée PLOUIN
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    • 2 médias

    Situé au centre d'une magnifique forêt, le palais de Fontainebleau fut la résidence de presque tous les rois de France depuis Louis VII. L'époque la plus brillante pour le château est le xvie siècle. François Ier y réunit un groupe remarquable d'artistes italiens...

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