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PENSÉE

La conception cartésienne de la pensée

Même si une pensée n'est pas seulement un acte mental, il est raisonnable de supposer qu'elle repose sur des actes mentaux, dont les contenus sont constitués par certaines représentations dans l'esprit. On appelle couramment « cartésienne » la conception de la pensée associée aux deux thèses suivantes :

1. La connaissance que nous avons de nos propres états mentaux est certaine et infaillible ;

2. Il n'y a rien dans notre esprit dont nous ne soyons en quelque manière conscients. Descartes lui-même ne soutenait pas ces thèses sans nuances, mais il y a peu de doute qu'elles forment le noyau de sa philosophie de l'esprit.

La première thèse assimile la pensée (cogitatio) à l'esprit (mens) et sert à établir le dualisme : nos pensées ne peuvent pas être identiques à des états de notre corps, parce que nous ne pouvons pas concevoir clairement et distinctement qu'elles le soient. L'esprit est donc une chose (une substance) essentiellement distincte du corps, dont la pensée est l'attribut principal et dont les diverses pensées sont des modes.

La seconde thèse assimile la pensée à la conscience – ou tout au moins à tout ce qui est susceptible d'être conscient – et donne à la notion de pensée son extension maximale : celle-ci recouvre non seulement les « attitudes propositionnelles », mais également les sensations (cf. Principes de la philosophie, I, 9).

La marque distinctive de la conception cartésienne est donc que, d'une part, elle étend à l'ensemble de ce que nous avons appelé les pensées les caractéristiques des sensations et des expériences et, d'autre part, elle tend à assimiler les contenus d'attitudes propositionnelles à des pensées potentiellement réflexives : penser, ce n'est pas nécessairement penser qu'on pense, mais c'est au moins être en mesure de le faire.

On dit souvent que les pensées sont, selon cette conception, essentiellement « privées » : leur existence et leur nature dépendent du sujet qui les pense (les cogitationes reposent sur le cogito). Nul autre que moi ne peut accéder au contenu de mes propres pensées et le vérifier (c'est pourquoi l'âme, ou l'esprit, est toujours plus « facile » à connaître que le corps, et les contenus des autres esprits moins accessibles que les contenus de notre esprit). Il s'ensuit que j'ai toujours une autorité ou un « accès privilégié » à ces pensées, qui les rend à la fois transparentes et indubitables, et susceptibles d'être l'objet d'une attention et d'une réflexion particulières. Descartes admet que les pensées ont une certaine structure : elles sont composées d'« idées », qui peuvent se combiner entre elles et représenter le monde, avec un degré plus ou moins grand de certitude selon qu'elles proviennent de la sensation et de l'imagination, ou de l'entendement en tant qu'il est capable de produire des idées claires et distinctes, et ainsi conférer à ces représentations une objectivité (garantie par la véracité divine).

Tous ces traits de la conception cartésienne concourent à distinguer la pensée de son expression sensible dans le langage, qui n'est pas la condition, mais la conséquence de la pensée. Ce qui distingue, en dernière analyse, les hommes des animaux ou des machines, c'est la capacité à former une quantité non limitée d'idées, et à les appliquer « à propos » ou de manière créatrice, qui est la seule marque d'une véritable pensée (comme l'a souligné Chomsky, pour qui, comme Descartes, le langage humain est le miroir de la pensée humaine).

On peut, par extension, appeler « cartésiennes » toutes les conceptions qui font des pensées des épisodes privés et des processus mentaux accompagnant l'activité de penser, dont les[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

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Pour citer cet article

Pascal ENGEL. PENSÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

Autres références

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