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PEAU

L'épiderme

L'épiderme a pour fonction de réaliser une triple barrière : une barrière imperméable, la couche cornée, construite par les kératinocytes qui sont les cellules de loin les plus nombreuses dans l'épiderme (95 p. 100) ; une barrière contre le soleil, construite par les mélanocytes ; une barrière immunologique, réalisée par le réseau des cellules de Langerhans, juste sous la couche cornée.

Une barrière imperméable

Les kératinocytes sont en permanent renouvellement. Ces cellules se divisent au niveau de la couche basale dite germinative. Deux semaines environ s'écoulent entre deux divisions cellulaires. Puis les kératinocytes qui adhèrent le moins bien à la jonction dermo-épidermique se détachent et migrent vers la surface en vingt-huit jours environ. Pendant cette migration, on assiste à un phénomène de différenciation progressive au cours duquel le kératinocyte se transforme progressivement en cornéocyte. Arrivé au niveau de la couche cornée, il s'en détache par desquamation au bout de deux semaines en moyenne. Le temps de renouvellement de l'épiderme est ainsi de six semaines environ. Cette vitesse et la qualité de ce renouvellement sont modifiées en permanence par les agressions physiques, l'inflammation, la cicatrisation, le vieillissement.

Le kératinocyte s'attache aux kératinocytes voisins par des structures cellulaires spécialisées, essentielles à la cohésion de l'épiderme : les desmosomes. Ces desmosomes sont de véritables boutons-pression reliant le cytosquelette de deux kératinocytes voisins. Leur apparition et disparition, essentielle à la plasticité de l'épiderme, dépend d'un système protéase-antiprotéase. Les kératinocytes communiquent entre eux par de petits pertuis (gap-junctions) capables de laisser passer des ions et de toutes petites molécules. Les kératinocytes de la couche basale de l'épiderme adhèrent à la jonction dermo-épidermique par des formations spécialisées, très différentes des desmosomes, les hémi-desmosomes.

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Depuis la couche basale, germinative, jusqu'à la couche cornée, les kératinocytes suivent un programme de différenciation en plusieurs étapes avec accumulation progressive d'une famille de protéines caractéristiques des cellules épithéliales, les kératines. La kératine est une protéine réalisant des structures particulièrement résistantes, les tonofilaments, véritables cordages intracellulaires, reliant la membrane cellulaire à la membrane nucléaire. Leur composition se modifie : kératines 5 et 14 au niveau de la couche basale, puis kératines 1 et 10 dans les couches supra-basales. Ces filaments de kératine s'accumulent progressivement puis sont agrégés les uns aux autres par une protéine basique, la filagrine. Ces agrégats forment des grains intracellulaires, qu'on voit au microscope, les grains de kératohyaline, dont la présence caractérise la couche dite granuleuse située juste en dessous de la couche cornée.

La différenciation terminale de l'épiderme est un phénomène rapide, spectaculaire, aboutissant à la production d'une barrière cutanée souple et imperméable. Le noyau cellulaire des kératinocytes est détruit par un phénomène proche de l'apoptose. Les granules de kératohyaline confluent. La membrane cellulaire s'épaissit, devient très hydrophobe et réalise une enveloppe cornée imperméable. Chaque kératinocyte synthétise des granules lipidiques hydrophobes, riches en céramides, organisés en lamelles caractéristiques, les corps d'Odland. Ces corps d'Odland déversent leur contenu dans l'espace intercellulaire pour former un véritable ciment imperméable qui assurera une excellente cohésion entre les kératinocytes devenus cornéocytes au terme des transformations ci-dessus décrites. Chaque cornéocyte est donc une cellule plate, sans noyau, contenant un véritable ciment hydrophobe et collée aux cornéocytes voisins par un ciment lipidique hydrophobe et par des desmosomes transformés en cornéodesmosomes. La souplesse du cornéocyte est assurée par son contenu en débris protéiques hydrophiles, résultant des digestions enzymatiques de la différenciation terminale. On les appelle les NMF (natural moisterizing factors). Ces NMF retiennent suffisamment d'eau pour préserver la souplesse de la barrière cutanée. Leur diminution aboutit à une altération de la barrière cutanée, puisque les cornéocytes deviennent cassants. On peut ainsi comparer l'épiderme à un mur de briques recouvertes par des tuiles imperméables collées les unes aux autres par un ciment lipidique hydrophobe également imperméable. On comprend donc que les molécules hydrophiles aient la plus grande difficulté à pénétrer à travers la barrière cutanée, alors que les molécules hydrophobes pénètrent beaucoup plus facilement. On comprend également l'importance des recherches destinées à modifier la barrière cutanée afin de permettre la pénétration de médicaments par voie percutanée.

La barrière cutanée ne s'oppose pas seulement à la pénétration des molécules et des bactéries, elle empêche l'eau du corps de s'évaporer. Cependant, cette imperméabilité n'est pas totale et il existe des pertes insensibles d'eau comprises entre 125 et 600 millilitres d'eau par 24 heures selon les conditions ambiantes. La mesure de la perte insensible d'eau est le paramètre le plus significatif permettant de déterminer la qualité de la barrière cutanée et donc du stratum corneum ou couche cornée.

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Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il faut que les cornéocytes puissent être éliminés. On a longtemps cru que la desquamation était un phénomène passif résultant d'une sorte d'usure de cette toiture biologique. Il n'en est rien. Les corps d'Odland contiennent également des enzymes qui, une fois activées, contrôleront la séparation des cornéocytes et donc la desquamation.

La production de la barrière cutanée est donc un phénomène dynamique qui, à toutes ses étapes, peut être contrôlée physiquement et/ou chimiquement. C'est par cette modulation que passe l'activité de la plupart des cosmétiques d'aujourd'hui et de demain (cf. cosmétologie).

Une barrière contre les ultraviolets

Les rayonnements ultraviolets (UV) sont tout à la fois une nourriture et une agression pour la peau. Le rayonnement UVB est responsable de la synthèse de vitamine D antirachitique, il provoque également des dommages au niveau de l'ADN, des protéines et des lipides cellulaires. Le rayonnement UVA n'a aucune utilité connue pour la santé et provoque également des dommages par photo-oxydation dans toutes les structures cellulaires. UVB et UVA ont tous deux une action immunosuppressive.

La peau humaine, relativement pauvre en poils, a donc dû développer un processus d'adaptation et de protection : la pigmentation cutanée. Cette pigmentation, vitale lorsque l'humanité débutait dans les zones équatoriales, est devenue de moins en moins importante lorsqu'elle a entrepris sa migration vers les pôles.

Mélanocytes et kératinocytes de la peau humaine - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mélanocytes et kératinocytes de la peau humaine

Les cellules responsables de la pigmentation cutanée sont les mélanocytes. Les mélanocytes se placent au niveau de la couche basale de l'épiderme, entre les kératinocytes. Ce sont des cellules présentant de longs prolongements appelés dendrites. Au sein de petits granules intracellulaires, les mélanosomes, elles produisent un pigment noir, la mélanine. Ce pigment se dépose progressivement sur une trame protéique et les mélanosomes deviennent de plus en plus foncés au fur et à mesure qu'ils se déplacent vers l'extrémité de la dendrite. Lorsqu'ils ont atteint cette extrémité, ils sont injectés dans les kératinocytes voisins. Dans le kératinocyte, au moindre rayon de soleil, ils vont se rassembler au-dessus du noyau cellulaire pour former un véritable parasol. Chaque mélanocyte est responsable de la photo-protection de trente-six kératinocytes de la couche basale.

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La seule différence entre la peau noire et la peau blanche réside dans la taille des mélanosomes : dans la peau blanche ils sont de petite taille, injectés par petits groupes dans les kératinocytes et digérés rapidement lorsque que le kératinocyte migre vers la couche cornée. Dans la peau noire, ils sont plus gros, injectés un à un dans les kératinocytes et résistent du fait de leur taille à la digestion, de sorte qu'ils restent présents dans le stratum corneum.

Les différentes couleurs de peau ne dépendent pas uniquement de la taille des mélanosomes. La composition de la mélanine est variable, résultant de l'association entre deux pigments : les eumélanines de couleur noire et qui ne contiennent pas de soufre, les phaeomélanines de couleur rouge qui contiennent du soufre. Les eumélanines sont photoprotectrices, les phaeomélanines ne le sont pas, et sont même probablement capables d'aggraver les dommages du soleil en étant à l'origine de processus de photo-oxydation. La proportion entre ces deux mélanines est contrôlée par l'activité d'un gène récemment découvert, le gène MC1-R, dont le polymorphisme contrôle l'activité de la protéine correspondante, le récepteur à la mélanocortine 1. Ce même gène contrôle, à travers l'activité de mélanocytes spécialisés, la couleur des cheveux du roux au noir. À travers les différentes capacités des individus à se protéger du soleil, ce gène contribue à contrôler le risque d'apparition des cancers de la peau.

Lors d'une exposition au soleil, le premier phénomène est un bronzage immédiat, peu efficace, disparaissant en quelques heures. Ce bronzage est provoqué par une simple photo-oxydation de la mélanine contenue dans la peau. Par contre, deux à trois jours après exposition, apparaît le véritable bronzage, lequel est la résultante d'une augmentation de la production de mélanine, d'une augmentation de la production de mélanosomes, d'une augmentation du transfert des mélanosomes des mélanocytes dans les kératinocytes. On ne connaît pas le signal moléculaire déclenchant la pigmentation, autrement dit le bronzage. Des arguments expérimentaux laissent penser que ce signal est la conséquence d'un dommage de l'ADN. Certains considèrent donc que le bronzage, tant à la mode aujourd'hui, est une cicatrice.

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La pigmentation n'est pas la seule défense de la peau contre le soleil. Après exposition au soleil, on observe des dommages dans la couche granuleuse de l'épiderme. Les cellules lésées sont éliminées et l'épiderme cicatrise en produisant une couche cornée plus épaisse. Les protéines de cette barrière cutanée renforcée absorbent très efficacement les UVB, diminuant le risque de coups de soleil, mais très peu les UVA. Cela explique également que la qualité de la barrière cutanée soit bien meilleure après des vacances ensoleillées qu'avant.

Une barrière immunologique

L'épiderme est l'un des tissus de l'organisme humain les plus exposés aux agressions chimiques, bactériologiques et virales. Pour se défendre, il dispose d'une immunité innée et d'une immunité adaptative.

Les processus de l'immunité innée, que l'on trouve déjà chez les métazoaires, sont exprimés par toutes les cellules de la peau et en particulier par les kératinocytes. Ils consistent en la production de différentes familles de peptides antibiotiques et cytotoxiques capables de tuer ou d'inactiver les bactéries, les champignons, différents virus et parasites.

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L'immunité adaptative n'existe que chez les vertébrés. Elle repose, dans l'épiderme humain, sur l'activité de la cellule de Langerhans. Cette cellule, de la famille des macrophages, quitte la moelle osseuse et vient se différencier dans l'épiderme. Elle se place dans la partie haute de l'épiderme et envoie de longs prolongements jusque sous la couche cornée. C'est la cellule la plus efficace dans l'organisme humain pour capter et présenter un antigène (c'est-à-dire une substance étrangère à l'organisme). La cellule de Langerhans est capable de fixer cet antigène, puis de quitter l'épiderme, de pénétrer dans un vaisseau lymphatique et d'aller au cœur des ganglions lymphatiques. Elle informera ensuite les lymphocytes thymo-dépendants (T) de la nature moléculaire de cet antigène et de sa localisation. Des lymphocytes T activés, spécifiques de la peau, sont alors capables de rejoindre par voie sanguine le lieu de pénétration de l'antigène agresseur pour le rejeter sélectivement. C'est cette « éducation immunitaire » qui est utilisée pour la vaccination et c'est cette capacité de rejet que l'on doit contrôler pour éviter les rejets de greffe. C'est cette réaction, enfin, qui est responsable des eczémas de contact.

De façon intéressante, la plupart des cellules de Langerhans sont en contact avec une terminaison nerveuse intra-épidermique, ce qui fait penser que les émotions peuvent moduler les défenses immunitaires sans que l'on sache comment.

Lorsque l'épiderme est agressé, irrité, les kératinocytes et les cellules de Langerhans sont activées, libèrent des cytokines pro-inflammatoires et décuplent leurs capacités de réaction à une agression mais également de déclenchement d'une réaction allergique (eczéma).

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Écrit par

  • : professeur de la clinique des maladies cutanées, université de Paris-VII, chef de service de dermatologie à l'hôpital Saint-Louis, directeur de l'Institut de recherche sur la peau

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Cellules de la peau - crédits : Encyclopædia Universalis France

Cellules de la peau

Mélanocytes et kératinocytes de la peau humaine - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mélanocytes et kératinocytes de la peau humaine

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