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VERLAINE PAUL (1844-1896)

Paul Verlaine, E. Carrière - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Paul Verlaine, E. Carrière

Le génie ne fait ni l'ange ni la bête. Il se mesure à l'homme. Du « Socrate morne » et du « Diogène sali », qui tient « du chien et de l'hyène », au « meilleur poète de son temps », « un poète comme pas deux dans un siècle », Verlaine occupe une place enviable. Pourtant il n'est ni Orphée ni le chien qui retourne à son vomissement. Il est homme, avec ses faiblesses et sa complexité, et sa couronne de lauriers, parfumée à la « menthe » et au « thym » et macérée dans l'absinthe. Si son œuvre se situe sous le signe de la gloire, sa vie s'inscrit sous celui de Saturne et comporte « bonne part de malheur et bonne part de bile ». De l'homme, Pauvre Lélian a connu toutes les défaillances et toutes les tristesses, tous les espoirs et tous les déboires. Il nous a livré son cœur, assoiffé de tendresse et meurtri par les déceptions ; et sa poésie y tient tout entière. C'est pourquoi ses vers émettent ce grand son humain où se reconnaît le véritable génie, cet « ardent sanglot » qui seul a le don de nous toucher et de nous émouvoir.

Les intercesseurs

La publication des cinq premiers recueils de Verlaine, des Poèmes saturniens (1866) à Sagesse (1881), c'est-à-dire la partie la plus belle et la plus originale de son œuvre, ne souleva aucun enthousiasme chez le public et laissa la critique plutôt froide, sinon hostile. On reprocha à l'auteur sa tendance à l'affectation et à l'outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers. On rechercha surtout les filiations et les influences ; on trouva chez lui des reflets de Victor Hugo, d'Alfred de Musset, de Ronsard, de cent autres ; on le traita de « Baudelaire puritain »... Personne ne saisit sa véritable originalité ; personne ne devina le drame intérieur dont elle était l'expression, ni les efforts du poète pour en camoufler les manifestations sous une façade d'impersonnalité pudique.

Il est certain qu'aucun écrivain ne fut plus sensible que lui aux influences du milieu et du moment, plus « perméable » aux courants littéraires et aux lectures de toutes sortes. Mais cette « porosité », qui lui permit de former le substratum d'une riche culture littéraire, ne modifia en rien les traits dominants de sa personnalité par suite d'une grande souplesse intellectuelle et d'une puissance d'assimilation peu commune. En réalité, plus qu'aucun autre, Verlaine avait besoin d'intercesseurs littéraires pour déclencher en lui l'élan créateur, de « tuteurs » que son inspiration pût prendre comme points d'appui pour aller au-delà. Parfois ils agissaient comme de simples catalyseurs, par leur présence même. Mais, en général, ils provoquaient une tension littéraire éminemment propice à la création poétique, tension nullement incompatible avec l'état de rêverie qui est le fond de sa nature. Cet « instant à la fois très vague et très aigu », qui donne exactement la mesure de son inspiration, est précisément la conjonction de ces deux états. Grâce à elle, ses expériences personnelles, ou vitales, sources de ses rêveries, se muent en expériences poétiques et mobilisent les différentes acquisitions de la culture littéraire qui fournissent les outils d'expression.

Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny, Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son cœur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination. Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on[...]

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Pour citer cet article

Georges ZAYED. VERLAINE PAUL (1844-1896) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Paul Verlaine, E. Carrière - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Paul Verlaine, E. Carrière

Autres références

  • PARALLÈLEMENT, Paul Verlaine - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 059 mots

    Paul Verlaine (1844-1896) publie Parallèlement à Paris, chez Léon Vanier, en 1889. Ce sera l'un des derniers grands recueils du poète, qui n'a plus que sept ans à vivre. Réduit à une misère noire depuis la mort de sa mère, trois ans plus tôt, détruit par l'alcool, il multiplie les séjours dans les...

  • POÈMES SATURNIENS, Paul Verlaine - Fiche de lecture

    • Écrit par Hédi KADDOUR
    • 1 026 mots
    • 1 média

    Ce premier recueil de Verlaine (1844-1896), publié chez Lemerre en 1866, est placé sous le signe de l'astrologie. Ne nous y trompons pas cependant : si Verlaine « croit » à l'astrologie, c'est en écrivain, et comme à une productive illusion.

    Dès le poème liminaire, l'écho qui...

  • ROMANCES SANS PAROLES, Paul Verlaine - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 344 mots

    Romances sans paroles est un recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), dont les textes ont été écrits entre mai 1872 et avril 1873, soit la période correspondant à sa relation tumultueuse avec Arthur Rimbaud. Auparavant, Poèmessaturniens, en1866, puis Fêtes galantes, en 1869, ont révélé...

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par Filippo D' ANGELO
    • 1 332 mots
    ...spécifique qu'elle prenait chez Horace et Boileau, pour désigner les poèmes où ils essayaient de condenser leur conception de la poésie (il suffit de penser au célèbre Art poétique de Verlaine) ; mais cette signification a été aussi exploitée par la critique, qui parle d'« art poétique » à propos des poèmes...
  • CORBIÈRE TRISTAN (1845-1875)

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 956 mots

    Tristan  Corbière est un poète lyrique et tragique de la seconde moitié du xixe siècle. Paul Verlaine l’a rendu célèbre dans son livre Les Poètes maudits (1884) : son corps maladif, ses amours malheureuses, sa malédiction d’auteur sans succès, son dandysmebohème, son anticonformisme,...

  • DERNIERS VERS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 926 mots
    ...inspirés par les lieux que le jeune homme fréquenta de février à juillet 1872 (Paris, Charleville et Bruxelles) ainsi que par sa vie auprès ou loin de Paul Verlaine. Depuis le 10 septembre 1871, le fugueur de Charleville a rejoint Verlaine. Leur comportement provoque le scandale, dans le Paris de la récente...
  • ILLUSTRATION

    • Écrit par Ségolène LE MEN, Constance MORÉTEAU
    • 9 135 mots
    • 11 médias
    ... Vollard est le premier à adopter cette stratégie. Ce pragmatisme survient après la réception difficile de Parallèlement, dialogue entre un texte de Paul Verlaine et des illustrations de Pierre Bonnard, publié en 1900. Cette œuvre est considérée comme le premier livre de peintre porteur de modernité....
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