PATRIMOINE, art et culture
L'apport du xixe siècle
Il ne saurait être question de retracer ici l'histoire du patrimoine du Moyen Âge à nos jours. De nombreux auteurs l'ont déjà fait. On notera cependant quelques faits touchant la gestion de l'héritage antique à Rome devenue capitale d'un État qu'on désigna de façon significative comme le patrimoine de saint Pierre : cet héritage n'est pas seulement celui des Romains, ou celui des pauvres, mais celui de l'humanité entière. La responsabilité de sa transmission aux générations ultérieures appartient à l'administration romaine, qui, progressivement, formule le premier corpus organisé de prescriptions de droit public en matière de sauvegarde.
Ainsi, Charlemagne est conduit à demander au pape Adrien une autorisation de fouilles à Rome en vue de l'extraction de marbres antiques ; en 1162, un décret du Sénat assure la protection juridique de la colonne Trajane ; en 1363, les statuts de la ville ordonnent diverses dispositions concernant les constructions anciennes dont la conservation doit être assurée. Ce sont les pontifes romains qui, les premiers, ont conçu et mis en œuvre une législation patrimoniale s'imposant à la propriété privée et assortie de dispositions pénales en cas de contravention : Pie II (1405-1464) interdit la démolition des monuments et vestiges antiques ; Jules II (1443-1513) entreprend des fouilles méthodiques ; Léon X (1475-1521) charge Raphaël en 1515 d'une mission de police sur tout projet de démolition, initiative qui va être suivie de la création d'une administration spécifique en faveur des antiquités. Puis, sont soumis à autorisation les travaux de fouille ainsi que les échafaudages montés sur des monuments antiques pour en effectuer le relevé ; enfin, les exportations d'œuvres d'art et d'antiquités sont astreintes à une législation dûment fixée par le cardinal Pacca au début des années 1820.
Conscience patrimoniale dans la France d'Ancien Régime
Tandis que les papes mettent en place une législation à peu près complète, la monarchie française prend quelques initiatives ponctuelles : en 1548, une ordonnance interdit de porter atteinte aux antiquités de la ville de Nîmes, mais en 1677, Louis XIV ordonne la démolition du monument des Piliers de Tutelle, bâti à Bordeaux au début du iiie siècle, de façon à étendre le château Trompette. S'agit-il d'un désintérêt à l'égard de ce que Claude Perrault considère alors comme l'un des plus beaux témoins de l'architecture gallo-romaine ? Pourtant, à la même époque, le pouvoir royal commence à financer expéditions, travaux savants dans le royaume et publications archéologiques en Orient... De même, on a cru voir dans le refus de Louis XVI, en 1777, de restaurer le château de Vincennes la preuve a contrario que le goût pour le patrimoine s'est avivé pendant la Révolution. Qu'en est-il exactement ?
L'Ancien Régime, avec ses deux piliers, l'Église et la Monarchie héréditaire, repose sur les principes de filiation et de tradition : reliques et regalia (objets qui sont utilisés pour le sacre des rois) constituent l'expression concrète de cette idée que le patrimoine constitue l'un des principaux fondements de l'organisation sociale, politique et religieuse. Le fait que Louis XIV, puis Louis XVI prennent des décisions contraires à la conservation de monuments antiques ou médiévaux n'exprime pas le refus du passé, mais bien plutôt le principe que, dans cette querelle des Anciens et des Modernes qui précède, puis accompagne l'avènement des Lumières, c'est au roi qu'il appartient en dernier ressort de comparer les avantages du passé et le progrès, et de trancher en faveur de ce qu'on désignera au xxe siècle comme l'« intérêt public ». La Révolution[...]
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Écrit par
- Jean-Michel LENIAUD : directeur d'études à l'École pratique des hautes études et à l'École nationale des chartes
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