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WELLES ORSON (1915-1985)

Citizen Kane, O. Welles - crédits : Keystone/ Hulton Getty

Citizen Kane, O. Welles

Que l'avènement de Citizen Kane en 1941 marque une date dans l'évolution du cinéma, nul n'en doute plus aujourd'hui. Pourtant, Orson Welles n'a réalisé que douze films depuis Citizen Kane (si l'on excepte les inédits, les projets inachevés, les collaborations aux œuvres d'autres réalisateurs). Entre ces films, on chercherait en vain quelque unité de style, la signature d'un auteur. Apparemment rien de commun entre Vérités et Mensonges (1974) et Citizen Kane. Mais déjà La Splendeur des Amberson, tourné tout de suite après Citizen Kane, en 1942, ne lui ressemble guère.

Peut-être faudrait-il accueillir chaque film de Welles comme il le définit lui-même : une expérimentation. Orson Welles serait alors le premier essayiste du cinéma. L'essai, pour Welles, échappe au vieillissement. « Parce que l'essai ne date pas, dit-il, il représente la contribution de l'auteur, même modeste, au moment où il l'a fait [...]. Un essai ne date jamais, contrairement aux œuvres d'imagination. »

Comédie et vérité

La première parole proférée dans Citizen Kane est aussi le dernier mot d'un personnage, son dernier soupir. Comment oublier le très gros plan de la bouche de Kane-Orson Welles qui murmure le fameux « Rosebud » avant de se fermer pour toujours ? Un jeune homme de vingt-cinq ans (Welles est né en 1915) se projette au terme d'une vie, se déguise en vieillard, joue ses derniers instants. Truffaut nous rappelle que Welles a débuté au théâtre en 1932, également par un rôle de vieillard, dans Le Juif Süss. Et l'on dit qu'à l'âge de dix ans il se maquillait en roi Lear...

Que cet enfant prodige n'ait jamais pu être un enfant, qu'il ait gardé le sentiment que son enfance lui avait été volée, cela ne fait aucun doute : il suffit de voir Citizen Kane pour s'en convaincre. On sait par ailleurs qu'Orson Welles perdit sa mère à huit ans, au cours d'un voyage.

Évoquer l'enfance, la maturité, le vieillissement et la mort dans un même film (Citizen Kane) ne serait-ce pas chercher ce qui dure, ce qui échappe aux métamorphoses de l'âge et à l'usure du temps ? La preuve nous en est donnée, semble-t-il, dans La Splendeur des Amberson, qui condense une histoire très étalée dans le temps. « Personne ne contestera, note Truffaut, que le jeune Amberson, orgueilleux et possessif, est bien le frère jumeau de Charlie Foster Kane. On pourrait même avancer, Citizen Kane nous montrant Charlie à huit ans, puis directement à vingt-cinq, que cette grande ellipse du premier film est comblée dans le second par l'évolution du jeune Amberson. »

Représenter une vie à l'ombre de la mort et, à partir d'elle, la comprendre, la dérouler depuis le point où tout se joue une dernière fois, c'est là l'ambition de Welles, homme de théâtre, acteur, cinéaste et moraliste.

Un mot revient souvent dans les entretiens avec Welles, c'est le « caractère ». Avec les deux sens que revêt en anglais le mot character : le naturel « je suis fait comme ça », et l'attitude délibérée « je décide de me comporter comme ça ». Welles précise à propos du second sens : « C'est surtout la façon dont vous vous comportez vis-à-vis de la mort, car je crois qu'on ne peut juger les gens que sur le comportement face à la mort. » Ailleurs, il raconte qu'à dix ans il a assisté à l'exécution d'un bandit à Pékin. Celui-ci plaisantait avant d'être fusillé ; c'était une tradition du théâtre : « Avant l'exécution, le condamné lance toujours des plaisanteries. » Et Welles de conclure : « Qui sait comment les gens mourraient ou se feraient fusiller s'ils ne l'avaient jamais vu dans un film ? ».

Il y aurait donc une vérité de la vie : non pas le naturel mais une vérité concertée,[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

Classification

Pour citer cet article

Jean COLLET. WELLES ORSON (1915-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Citizen Kane, O. Welles - crédits : Keystone/ Hulton Getty

Citizen Kane, O. Welles

<it>La Dame de Shanghai</it>, d'O. Welles, 1945 - crédits : Robert Coburn Sr./ John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

La Dame de Shanghai, d'O. Welles, 1945

Autres références

  • CITIZEN KANE (O. Welles), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 213 mots
    • 1 média

    Connu pour ses mises en scène peu conformistes de Shakespeare et pour l'immense panique provoquée par son adaptation radiophonique de La Guerre des mondes, de H. G. Wells, un jeune homme de vingt-cinq ans, Orson Welles (1915-1985), obtient de la R.K.O. un contrat exceptionnel, qui lui laisse...

  • CITIZEN KANE, film de Orson Welles

    • Écrit par Michel MARIE
    • 934 mots
    • 2 médias

    Premier long-métrage d'un wonder boy de vingt-cinq ans, Citizen Kane est un film atypique pour des raisons multiples. Bien que débutant dans le cinéma, Orson Welles (1915-1985) obtient de la RKO un contrat exceptionnel qui lui donne le contrôle du film, alors que, dans le système des studios...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Le coup de force de Citizen Kane (1941) sera aussi déterminant pour les vingt années à venir que celui, en son temps, de Naissance d'une nation. En 1915 s'affirmait l'unité américaine ; en 1941, cette unité se brise en la personne d'un Américain exemplaire. Le journaliste qui enquête sur la...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Mise en scène

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 776 mots
    • 10 médias
    C'est avec Orson Welles et Citizen Kane que l'on situe généralement l'accession de la mise en scène à la modernité. L'utilisation systématique du plan-séquence et de la profondeur de champ transforme largement les données du cinéma hollywoodien : le montage perd son invisibilité et le spectateur retrouve...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Montage

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 3 665 mots
    • 9 médias
    Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, le montage ne disparut pas avec la nouvelle vague, fille de Bazin et de Rossellini. Orson Welles, dans son film manifeste, Citizen Kane (1941), utilisait déjà aussi bien le plan-séquence et la profondeur de champ mais aussi toutes les ressources anciennes...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Photographie de cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 334 mots
    • 6 médias
    En 1941, avec son opérateur Gregg Toland, Orson Welles (Citizen Kane) revenait à la fois à un certain expressionnisme de la lumière, mais en transformait le sens totalitaire par le recours au plan-séquence et surtout à la profondeur de champ. Ce dernier procédé, le plus important, permettait, à l'aide...
  • Afficher les 11 références

Voir aussi