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WELLES ORSON (1915-1985)

Le sens de la technique

Le cinéma de Welles – auteur, réalisateur, acteur – ne peut dès lors se comprendre qu'à partir d'une éthique, c'est-à-dire d'une vision du monde. Parce que Citizen Kane témoignait d'une prodigieuse virtuosité technique, on a voulu voir en Orson Welles un technicien qui cultiverait la performance pour elle-même : prises de vue au grand angle, cadrages en contre-plongées, décors avec plafonds, mise en scène en plans-séquences et en profondeur de champ alternant avec des séquences très découpées, etc. André Bazin, qui fut le premier critique à analyser magistralement les innovations techniques de Welles, avait bien vu que, dans ses films, « la technique n'est pas seulement une autre façon de mettre en scène, elle met en cause la nature même du récit ». On notera au passage le parallèle « mettre en scène »-« mettre en cause » qui nous renvoie au vocabulaire du procès. C'est parce que le récit, chez Orson Welles, expose un cas que la technique va en éclairer toutes les facettes et toutes les contradictions.

Par le montage, il poursuit donc la même ambition que par le plan-séquence : dans celui-ci, il nous laisse choisir des yeux, sans nous forcer, ce que nous voulons voir. Par celui-là, il confronte des points de vue. Si le montage est le plus souvent le moyen d'imposer une vision, Welles, au contraire, en fait un instrument critique. Il ne feint de nous manipuler que pour nous rendre plus libres. Il brasse les faits, comme on rassemble des témoignages. Loin de violer notre regard, il provoque notre perplexité, il accroît l'ambiguïté de ce qu'il montre.

Le pouvoir du cinéma, Welles en joue, certes. Pour mettre en cause, jamais pour plaider une cause. Il ne dénonce, ni ne défend. Il cherche la plus grande tension, dans un même personnage, la beauté du mal et l'innocence suspecte. Non seulement il se sert du cinéma, art de la manipulation, de façon libérale et généreuse, mais il met son point d'honneur à incarner lui-même les personnages les plus sombres, auxquels il donne le meilleur de lui-même, moins par goût narcissique de la composition que par souci d'exploration des « zones d'ombre ». Attitude shakespearienne : « La grande qualité de Shakespeare, dit-il, est de n'avoir jamais été partisan, ni moral, ni politique. » Attitude chevaleresque : « Quand je joue le rôle de quelqu'un que je déteste, je tiens à être très chevaleresque dans mon interprétation. »

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

Classification

Pour citer cet article

Jean COLLET. WELLES ORSON (1915-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Citizen Kane, O. Welles - crédits : Keystone/ Hulton Getty

Citizen Kane, O. Welles

<it>La Dame de Shanghai</it>, d'O. Welles, 1945 - crédits : Robert Coburn Sr./ John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

La Dame de Shanghai, d'O. Welles, 1945

Autres références

  • CITIZEN KANE (O. Welles), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 213 mots
    • 1 média

    Connu pour ses mises en scène peu conformistes de Shakespeare et pour l'immense panique provoquée par son adaptation radiophonique de La Guerre des mondes, de H. G. Wells, un jeune homme de vingt-cinq ans, Orson Welles (1915-1985), obtient de la R.K.O. un contrat exceptionnel, qui lui laisse...

  • CITIZEN KANE, film de Orson Welles

    • Écrit par Michel MARIE
    • 934 mots
    • 2 médias

    Premier long-métrage d'un wonder boy de vingt-cinq ans, Citizen Kane est un film atypique pour des raisons multiples. Bien que débutant dans le cinéma, Orson Welles (1915-1985) obtient de la RKO un contrat exceptionnel qui lui donne le contrôle du film, alors que, dans le système des studios...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Le coup de force de Citizen Kane (1941) sera aussi déterminant pour les vingt années à venir que celui, en son temps, de Naissance d'une nation. En 1915 s'affirmait l'unité américaine ; en 1941, cette unité se brise en la personne d'un Américain exemplaire. Le journaliste qui enquête sur la...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Mise en scène

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 776 mots
    • 10 médias
    C'est avec Orson Welles et Citizen Kane que l'on situe généralement l'accession de la mise en scène à la modernité. L'utilisation systématique du plan-séquence et de la profondeur de champ transforme largement les données du cinéma hollywoodien : le montage perd son invisibilité et le spectateur retrouve...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Montage

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 3 665 mots
    • 9 médias
    Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, le montage ne disparut pas avec la nouvelle vague, fille de Bazin et de Rossellini. Orson Welles, dans son film manifeste, Citizen Kane (1941), utilisait déjà aussi bien le plan-séquence et la profondeur de champ mais aussi toutes les ressources anciennes...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Photographie de cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 334 mots
    • 6 médias
    En 1941, avec son opérateur Gregg Toland, Orson Welles (Citizen Kane) revenait à la fois à un certain expressionnisme de la lumière, mais en transformait le sens totalitaire par le recours au plan-séquence et surtout à la profondeur de champ. Ce dernier procédé, le plus important, permettait, à l'aide...
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Voir aussi