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NAZISME

Un colonialisme esclavagiste intra-européen

Selon les maîtres du IIIe Reich, les Allemands doivent pouvoir jouir matériellement de leur statut d’excellence raciale. Pour assurer les conditions de survie biologique du peuple allemand, le N.S.D.A.P. prône depuis sa fondation la conquête d’un Lebensraum, d’ un « espace vital » à l’est de l’Europe, qui n’est rien d’autre à leurs yeux qu’un hinterland colonial bien mérité : privée d’empire colonial par la politique de Bismarck (conférence de Berlin de 1885) et par le traité de Versailles, l’Allemagne doit reconstituer le sien, non plus outre-mer mais sur le continent européen lui-même, au détriment d’une race de « sous-hommes » (Untermenschen), les Slaves. De gigantesques plans de colonisation sont élaborés au sein de la SS puis, à partir de sa création en octobre 1939, du RKF (Reichskommissar für die Festigung deutschen Volkstums, Commissariat du Reich pour le renforcement de la germanité), et résumés dans les versions successives du Plan général pour l’Est (Generalplan Ost), entre juin 1941 et l’été de 1944. Une vaste reconfiguration géo-ethnique de l’Est européen est prévue, qui débute en Pologne dès la défaite de ce pays en septembre 1939, puis en U.R.S.S. à partir de juin 1941. Pour les planificateurs nazis, 30 millions de Slaves, excédent démographique coûteux, doivent disparaître, essentiellement par la famine, ainsi que tous les Juifs de l’Est, soumis à une élimination par des massacres en masse (Shoah par balles), puis à un véritable génocide dès l’été de 1941. La véritable guerre nazie se situe indubitablement à l’Est : guerre biologique contre l’ennemi de race, guerre idéologique contre l’ennemi bolchevique, elle doit permettre la constitution d’un empire colonial, agricole et esclavagiste, qui doit nourrir la race germanique pour les siècles des siècles.

Pensée comme une campagne rapide et décisive, la guerre à l’Est s’enlise et suscite des violences inouïes contre les civils, victimes du racisme colonial et du mépris des « Slaves » et des « Asiates » que les armées allemandes combattent en U.R.S.S. Celle-ci perd plus de 25 millions de ses citoyens à cause de la famine et d’une politique de répression systématique contre la population civile, dont les villages sont brûlés et les hommes abattus, en représailles de chaque attaque de partisans soviétiques contre les Allemands. Après la bataille de Stalingrad et face aux progrès inexorables de la contre-offensive russe, le pouvoir nazi nie le renversement du rapport de force et l’inéluctabilité de la défaite. Jouant sur la peur du « bolchevisme », il peut compter sur une armée allemande désormais vouée à défendre le sol de la patrie contre l’invasion. La politique du Durchhalten(tenir bon, et tenir les positions) coûte que coûte, provoque la mort de 2,5 millions de soldats allemands entre juillet 1944 et mai 1945, soit autant qu’entre 1939 et 1944.

Le nazisme comme doctrine n’apportait rien de bien original ‒ antisémitisme, racisme, eugénisme, colonialisme, impérialisme et capitalisme n’ont en soi rien de nazi, ni rien d’allemand ‒, mais la mise en conjonction de tous ces « -ismes » a su apporter, dans le contexte de crise de la fin des années 1920, explication, consolation et une perspective à des contemporains ébranlés. Par ailleurs, la mise en œuvre, aussi rapide que brutale, de la politique nazie, dès 1933 en Allemagne, puis dès l’automne de 1939 en Europe, signe la spécificité d’une idéologie qui professait que trop de temps avait été perdu et qu’il fallait agir vite. Cette mise en œuvre a été assurée par des cadres bien formés à la gestion des affaires, par des juristes, des économistes, des anthropologues… tous universitaires et technocrates qui, de leur point de vue, rattachaient résolument l’Allemagne à l’Occident, notamment à l’Amérique du Nord, en rattrapant[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Johann CHAPOUTOT. NAZISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Boycott anti-juifs, Allemagne, 1933 - crédits : Hulton-Deutsch/ Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Boycott anti-juifs, Allemagne, 1933

Défilé nazi, 1938 - crédits : Berliner Verlag/ Archiv/ picture alliance/ Getty Images

Défilé nazi, 1938

Autres références

  • ACCESSION D'HITLER AU POUVOIR

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 209 mots
    • 1 média

    Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier, dans la légalité républicaine définie par la Constitution de Weimar. À ce moment-là, son parti, le Parti ouvrier allemand national-socialiste (N.S.D.A.P.) ou Parti « nazi » qui veut tenter, après Mussolini, une synthèse du nationalisme...

  • ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne moderne et contemporaine

    • Écrit par Michel EUDE, Alfred GROSSER
    • 26 883 mots
    • 39 médias
    ...libérales rassurés par une monnaie stable. Mais, en 1930, le marasme économique va avoir sur la majeure partie de la bourgeoisie une influence décisive. Le trouble et l'incertitude où se débat l'Allemagne la poussent vers le national-socialisme, seul capable à ses yeux de faire sortir l'Allemagne d'une...
  • ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - République démocratique allemande

    • Écrit par Georges CASTELLAN, Rita THALMANN
    • 19 516 mots
    • 6 médias
    ...la musique rock allait, dans certains cas, jusqu'à des manifestations publiques, voire l'émergence de skinheads scandant des slogans néo- nazis et antisémites. À cette situation inimaginable auparavant répondit une réflexion critique d'intellectuels, comme l'écrivain Stefan Hermlin qui avait...
  • ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - République fédérale d'Allemagne jusqu'à la réunification

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Voir aussi