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MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763)

Une pensée de la subjectivité

Marivaux n’a jamais écrit de poétique ni exposé de doctrine systématique. Il préfère aux théories, détachées de la pratique, une pensée active dans l’écriture. Cependant, ses journaux et les réflexions qui émaillent ses romans proposent bel et bien une réflexion sur son art. Soutenant activement les Modernes, comme Fontenelle, Houdart de la Motte ou Dufresny, Marivaux n’entend pas jouer au nouvel Aristote. S’il affirme qu’il faut imiter la nature, il se refuse à l’idéaliser ou à la « corriger » comme le prônaient les Anciens. Dans le jugement esthétique, il assigne le rôle principal à l’émotion, qui a toujours raison. « Je suis né le plus humain de tous les hommes, et ce caractère a toujours présidé sur toutes mes idées », écrit-il dans LeSpectateur français.

Avec Marivaux, on entre dans une pensée de la subjectivité, celle du créateur mais aussi celles du lecteur et du spectateur. Sentiment, âme, étonnement, surprise, mouvements naturels, tels sont les maîtres mots de son esthétique. Ils appartiennent aussi bien à l’analyse de la vie morale qu’à celle de l’écriture. Il n’est donc pas surprenant d’observer, dans ses journaux comme dans les réflexions qui parsèment ses romans, la liaison intime qui réunit sa pensée littéraire et ses observations de moraliste. Dans un court récit à la première personne, un personnage mystérieux raconte comment, après avoir surpris la jeune fille dont il était épris en train de répéter ses mines devant une glace, il avait conçu un pessimisme cruel et une misanthropie définitive. Cette anecdote constitue une sorte de récit premier : ces « machines de l’opéra », dans lesquelles se prennent les êtres, avec leurs désirs et leurs ambitions, sont précisément celles qui sont démontées dans ses comédies et ses romans. Les blessures et les désillusions dont elles sont la cause ne sont combattues que par la connaissance lucide, le rire et l’attendrissement.

Dès ses romans de jeunesse, Marivaux explore les chemins que suivaient ses contemporains, mais il se montre aussi novateur à sa manière. Dans Les Aventures de *** ou les Effets surprenants de la sympathie (1713-1714), il suit la veine des récits imbriqués d’aventures romanesques et des histoires tragiques. Il devance le courant noir qu’illustrera Prévost, quelques années plus tard. La Voiture embourbée (1713) est un récit d’aventures parodiques qui égare quelques personnages dans un village misérable : ils emploient leur temps à raconter une histoire qui broche des récits de plusieurs styles différents. On y rencontre aussi bien le goût des aventures romanesques que celui de ces détails sensuels de la vie paysanne qui font le charme de la peinture flamande ou hollandaise. C’est encore la veine de Don Quichotte qu’on peut suivre dans Pharsamon ou les Nouvelles Folies romanesques. Plus directement parodiques encore, Le Télémaque travesti et LHomère travesti (1716) témoignent à la fois d’un attrait pour des plaisanteries crues et scatologiques et d’intentions critiques acides : elles n’atteignent pas seulement des monuments littéraires consacrés mais aussi la politique de Louis XIV à l’encontre des protestants et ses entreprises guerrières.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Pierre FRANTZ. MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Dispute</em> de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette

Marivaux, L.-M. Van Loo - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

Marivaux, L.-M. Van Loo

Autres références

  • LA DISPUTE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture

    • Écrit par Anouchka VASAK
    • 1 051 mots
    • 1 média

    S'il est une mise en scène qui a marqué notre époque, c'est bien celle que Patrice Chéreau donna de La Dispute de Marivaux (1688-1763) en 1973. Pour qui assista à cette « fête noire », l'impression fut indélébile. Il faut pourtant revenir au texte de cette pièce en un acte, « la plus...

  • LES FAUSSES CONFIDENCES (P. de Marivaux) - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 1 248 mots
    • 1 média

    Les Fausses Confidences, comédie en trois actes de Marivaux (1688-1763), fut représentée pour la première fois le 16 mars 1737 au Théâtre-Italien. C'est la dernière des « grandes » pièces de l'auteur. À bien des égards, elle représente un aboutissement de l'évolution de son œuvre dramatique vers...

  • L'ÎLE DES ESCLAVES, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 1 418 mots

    L'Île des esclaves, comédie en un acte de Marivaux (1688-1763), fut créée au Théâtre-Italien le 5 mars 1725 et connut un réel succès dont témoigne le nombre de représentations qui suivirent la création et celui des reprises au cours du xviiie siècle. Elle est souvent étudiée et représentée...

  • LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD (Marivaux) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
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    Le Jeu de l'amour et du hasard est une comédie en trois actes de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763), créée le 23 janvier 1730 à Paris par la troupe du Théâtre-Italien, dirigée par Luigi Riccoboni (dit Lélio). L'auteur a alors déjà écrit et fait représenter une dizaine...

  • LES SERMENTS INDISCRETS (mise en scène C. Rauck)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 911 mots

    Les Serments indiscrets est une comédie de Marivaux restée trop longtemps mal aimée. Écrite en 1731 pour la troupe de la Comédie-Française, elle ne fut créée par cette dernière qu'une année plus tard. Boudée par le public, décriée par la critique, la pièce disparaît bientôt de l'affiche. Hormis...

  • LA VIE DE MARIANNE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 1 224 mots

    Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763) fit paraître son roman, La Vie de Marianne, ou les Aventures de Madame la comtesse de ***, en livraisons successives, échelonnées entre 1731 et 1742. C'est dans ce même intervalle qu'il publie en volumes successifs Le Paysan parvenu ...

  • COMÉDIE

    • Écrit par Robert ABIRACHED
    • 5 412 mots
    • 1 média
    ...siècle ; la comédie moralisante de Destouches, la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée se succèdent pour pourvoir à l'édification du public. Seul Marivaux invente une forme originale de théâtre, en conformité profonde avec l'évolution de la culture et de la sensibilité : il fait du langage le lieu...
  • DRAME - Drame bourgeois

    • Écrit par René POMEAU
    • 3 500 mots
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    Si l'on veut apprécier le rayonnement du genre au siècle des Lumières, d'autres noms sont à citer. Marivaux fait intervenir une discrète sentimentalité bourgeoise dans une pièce comme Le Jeu de l'amour et du hasard(1730). Plus franchement, sa Mère confidente (1735) annonce le drame tel...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 7 583 mots
    • 5 médias
    ...italienne, il fait appel à des auteurs français qui ont un immense talent, comme Delisle de La Drevetière (1682-1756), Jacques Autreau (1657-1747) et surtout Marivaux dont le génie s’accorde merveilleusement avec la troupe des Italiens : Marivaux est certes un esprit singulier, qui n’eut guère de successeur,...

Voir aussi