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LA DISPUTE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux Fiche de lecture

S'il est une mise en scène qui a marqué notre époque, c'est bien celle que Patrice Chéreau donna de La Dispute de Marivaux (1688-1763) en 1973. Pour qui assista à cette « fête noire », l'impression fut indélébile. Il faut pourtant revenir au texte de cette pièce en un acte, « la plus subtilement métaphysique de ce théâtre métaphysique » (Georges Poulet). Comment lire, comment représenter aujourd'hui La Dispute ? Peut-on expliquer du moins l'écho qu'elle suscite en nous, alors que, retirée de l'affiche aussitôt après la première représentation qu'en donnèrent les Comédiens-Français le 19 octobre 1744, elle entra dans un purgatoire de près de deux siècles ?

« ...comme le premier âge du monde »

<em>La Dispute</em> de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette

La « dispute », il faut d'abord l'entendre dans son sens commun, presque trivial, de conflit : la pièce s'ouvre en effet sur la querelle qui oppose le Prince à Hermiane. Qui, de l'homme ou de la femme, a « le premier donné l'exemple de l'inconstance et de l'infidélité en amour ? » La dispute est donc aussi une controverse philosophique, que le Prince propose de résoudre en assistant avec Hermiane au « commencement du monde et de la société » : quatre enfants, deux garçons et deux filles, ont été élevés en dehors de toute société, chacun isolément, avec pour seule référence deux serviteurs noirs, Carise et Mesrou, qui leur ont appris à parler. Aujourd'hui âgés de dix-huit ou dix-neuf ans, ces enfants vont sortir de leur enceinte, permettant aux spectateurs d'observer les résultats de l'expérience. La Dispute est ainsi encadrée (scènes 1-2 et scène 20, dernière) par un premier plan de représentation, celui du Prince et de sa compagne, qui se retirent sur une galerie en coursive le temps de l'observation.

Eglé apparaît la première, et c'est elle que Marivaux, troublant d'entrée de jeu toute symétrie « scientifique », choisit de suivre principalement. Après un « stade du miroir », Eglé découvrant son image dans un ruisseau –" Quoi ! c'est là moi, c'est mon visage ? » –, la jeune fille rencontre Azor, « l'homme » : la découverte de l'altérité est aussi naissance de l'amour. Mais lorsque les deux jeunes gens se résolvent à suivre le conseil de Carise en ménageant de « petites absences » pour préserver leur amour, c'est l'expérience de la jalousie et de l'inconstance qui les attend. Eglé rencontre Adine, la deuxième jeune fille : s'engage un ballet de mépris et de répliques perfides. Tout autre est la rencontre d'Azor et de Mesrin, le promis d'Adine : nul conflit entre eux, mais une complicité immédiate, qui ne sera troublée que par la rencontre d'Eglé et de Mesrin, occasion de la première inconstance. Première inconstance ? Entre les scènes, non représentée, a eu lieu la rencontre symétrique d'Azor et d'Adine. L'inconstance est donc presque simultanée, réciproque, fatale, et, malgré les exhortations morales de Carise, sans autre conséquence que la permutation des couples. Mais Marivaux ménage un coup de théâtre, lorsque les deux plans de la représentation se rejoignent à la dernière scène : un nouveau couple, élevé dans les mêmes conditions que les premiers, est introduit sur le théâtre, se jurant fidélité éternelle. Un tel artifice saura-t-il nous convaincre, et convaincre Hermiane ? « Croyez-moi, conclut-elle, dépitée, devant le Prince, nous n'avons pas lieu de plaisanter. Partons. »

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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Pour citer cet article

Anouchka VASAK. LA DISPUTE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>La Dispute</em> de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette

Autres références

  • MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763)

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 4 507 mots
    • 2 médias
    , pièce qui fut retirée de l’affiche aussitôt après sa création en 1744, ne connut qu’un succès mitigé quand elle fut reprise pour la première fois à la Comédie-Française en 1938, puis en 1939 et 1944, mais fut littéralement révéléepar une mise en scène de Patrice Chéreau en 1976,...

Voir aussi