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MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763)

À l’écoute du monde, la parodie

Ce Marivaux satirique a trop souvent été oublié, alors même que sa présence reste sensible dans son théâtre et dans ses deux grands romans. Le Paysan parvenu en est marqué de part en part. Mais c’est aussi de cette tradition que relève le passage de La Vie de Marianne qui a fait grand scandale : blessée, l’héroïne est reconduite par un fiacre chez la marchande de tissus qui l’héberge ; le cocher se prend de querelle avec la tenancière de la boutique qui part au combat, sa toise à la main comme Roland brandit Durandal. C’est aussi l’occasion d’une joute verbale grossière que le public distingué peinait à accepter. La cohabitation plus ou moins conflictuelle de registres élevés et de passages de ton bas est l’une des caractéristiques de l’écriture de Marivaux. Il en tire des effets de sens et de poésie variés, car sa signification n’est pas gratuite. La présence du peuple parisien vient rappeler Marianne à la réalité de son sort en même temps qu’elle lui sert à dessiner sa posture de supériorité sociale. Inversement, dans Le Paysan parvenu, la rhétorique diablement habile et merveilleusement comique de Jacob dans le plaidoyer pro domo qu’il tient au cours de son procès vient battre en brèche le mépris social dans lequel le tiennent les gens de qualité et témoigne du mérited’un homme de peu.

Dans le théâtre, il en va de même. Les niveaux sociaux – langues, costumes, personnages et types – s’y confrontent sans cesse : paysans, hommes du peuple des villes, domestiques, bourgeois et nobles conversent en un dialogue dont le but n’est pas toujours qu’on s’y entende vraiment. On a pensé trop souvent que la parodie confortait l’ordre social. Mais la manière dont elle fait entendre, de l’extérieur, les genres nobles, rhétorique ou épopée, la parole des classes privilégiées, celle des maîtres, celle des bourgeois et des nobles, est du même ordre que ce retournement du regard, qui découvre l’étrangeté de ce qui est habituel aux lecteurs et aux spectateurs et qui caractérisait un roman comme Les Lettres persanes. La parodie des maîtres par les valets permet une analyse sociale fine, non seulement du langage de la classe dominante mais encore des relations entre maîtres et valets. L’Île des esclaves (1725)joint à la critique un appel à une fraternité qui puisse corriger sans les supprimer les inégalités sociales. Pour autant, ce n’est pas sans amertume que les valets se résignent. La parodie ouvre enfin sur la poésie du langage populaire, quelque chose qui serait comme une réunion de la langue du peuple et de celle de l’enfance, car Marivaux voit l’enfant dans le peuple.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Pierre FRANTZ. MARIVAUX PIERRE CARLET DE CHAMBLAIN DE (1688-1763) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le

Médias

Marivaux, L.-M. Van Loo - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

Marivaux, L.-M. Van Loo

<em>La Dispute</em> de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Muriel Mayette

Autres références

  • LA DISPUTE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture

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    • 1 051 mots
    • 1 média

    S'il est une mise en scène qui a marqué notre époque, c'est bien celle que Patrice Chéreau donna de La Dispute de Marivaux (1688-1763) en 1973. Pour qui assista à cette « fête noire », l'impression fut indélébile. Il faut pourtant revenir au texte de cette pièce en un acte, « la plus...

  • LES FAUSSES CONFIDENCES (P. de Marivaux) - Fiche de lecture

    • Écrit par
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    • 1 média

    Les Fausses Confidences, comédie en trois actes de Marivaux (1688-1763), fut représentée pour la première fois le 16 mars 1737 au Théâtre-Italien. C'est la dernière des « grandes » pièces de l'auteur. À bien des égards, elle représente un aboutissement de l'évolution de son œuvre dramatique vers...

  • L'ÎLE DES ESCLAVES (P. de Marivaux) - Fiche de lecture

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    • 1 média

    L'Île des esclaves, comédie en un acte de Marivaux (1688-1763), fut créée au Théâtre-Italien le 5 mars 1725 et connut un réel succès dont témoigne le nombre de représentations qui suivirent la création et celui des reprises au cours du xviiie siècle. Elle est souvent étudiée et représentée...

  • LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD (Marivaux) - Fiche de lecture

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    Le Jeu de l'amour et du hasard est une comédie en trois actes de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763), créée le 23 janvier 1730 à Paris par la troupe du Théâtre-Italien, dirigée par Luigi Riccoboni (dit Lélio). L'auteur a alors déjà écrit et fait représenter une dizaine...

  • LES SERMENTS INDISCRETS (mise en scène C. Rauck)

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    Les Serments indiscrets est une comédie de Marivaux restée trop longtemps mal aimée. Écrite en 1731 pour la troupe de la Comédie-Française, elle ne fut créée par cette dernière qu'une année plus tard. Boudée par le public, décriée par la critique, la pièce disparaît bientôt de l'affiche. Hormis...

  • LA VIE DE MARIANNE, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux - Fiche de lecture

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    • 1 224 mots

    Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688-1763) fit paraître son roman, La Vie de Marianne, ou les Aventures de Madame la comtesse de ***, en livraisons successives, échelonnées entre 1731 et 1742. C'est dans ce même intervalle qu'il publie en volumes successifs Le Paysan parvenu ...

  • COMÉDIE

    • Écrit par
    • 5 412 mots
    • 1 média
    ...siècle ; la comédie moralisante de Destouches, la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée se succèdent pour pourvoir à l'édification du public. Seul Marivaux invente une forme originale de théâtre, en conformité profonde avec l'évolution de la culture et de la sensibilité : il fait du langage le lieu...
  • DRAME - Drame bourgeois

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    Si l'on veut apprécier le rayonnement du genre au siècle des Lumières, d'autres noms sont à citer. Marivaux fait intervenir une discrète sentimentalité bourgeoise dans une pièce comme Le Jeu de l'amour et du hasard(1730). Plus franchement, sa Mère confidente (1735) annonce le drame tel...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.

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    ...italienne, il fait appel à des auteurs français qui ont un immense talent, comme Delisle de La Drevetière (1682-1756), Jacques Autreau (1657-1747) et surtout Marivaux dont le génie s’accorde merveilleusement avec la troupe des Italiens : Marivaux est certes un esprit singulier, qui n’eut guère de successeur,...