MANGAS

Une nouvelle littérature populaire

Au vu du succès des mangas en Europe occidentale, il ne fait plus aucun doute que la bande dessinée japonaise est devenue une nouvelle littérature populaire, évoluant progressivement du statut de sous-culture marginale à celui d'un vaste phénomène transgénérationnel – la convention spécialisée Japan Expo organisée au parc des Expositions à Villepinte-Paris du 7 au 9 juillet 2006 a ainsi attiré près de 60 000 visiteurs. À un niveau global, ce succès témoigne de la part croissante prise par la culture asiatique dans les modes de vie occidentaux – littérature, cinéma, gastronomie, arts martiaux, etc. –, comme en témoigne l'essai d'Anne Garrigue L'Asie en nous (2004). À ce titre, la bande dessinée japonaise, dans ce qu'elle trahit des modes de vie et de pensée nippons, est une porte d'entrée passionnante sur le Japon.

Mais cela ne saurait suffire à expliquer le succès des mangas en Europe. Cet engouement, largement favorisé, à l'origine, par la diffusion télévisée, depuis la fin des années 1970, de dessins animés dont ils étaient souvent adaptés, peut également être attribué au fait que les titres publiés en français visent en grande majorité le public adolescent, délaissé par la production francophone depuis l'arrêt de revues comme Pilote ou Le Journal de Tintin. De fait, à l'heure actuelle, la plus grande partie des mangas traduits en français sont des mangas pour les filles ou pour les garçons. Ce sont d'ailleurs logiquement des titres issus de ces deux catégories qui se classent parmi les meilleures ventes en France. Ainsi, chaque nouveau volume de la saga Naruto (2002, éd. or. 2000) de Masashi Tanaka, narrant les aventures de jeunes ninjas, comme de la comédie sentimentale Fruits Basket (2002, éd. or. 1999) de Natsuki Takaya, destinée aux filles, est aujourd'hui tiré à plus de 80 000 exemplaires. L'attrait, pour un public féminin traditionnellement peu porté vers la bande dessinée franco-belge et les comic books, d'histoires évoquant les atermoiements de leurs consœurs japonaises, n'est pas non plus à négliger. Il faut ajouter à cela des raisons de format, de tarif et de rythme de parution. En effet, les bandes dessinées japonaises se présentent généralement sous la forme d'un livre de poche à la couverture souple, en noir et blanc et comptant entre 150 et 300 pages, qui présente l'avantage de pouvoir être facilement emporté, et lu dans les transports en commun, par exemple. Un volume coûte entre 5 et 9 euros, prix susceptible d'attirer un public aux moyens financiers limités, et de nouveaux volumes de chaque série paraissent de façon régulière, tous les deux ou trois mois, entretenant l'addiction du lecteur. D'une manière générale, dès leur conception, les mangas sont pensés pour durer et captiver. Obéissant aux règles du feuilleton héritées d'Alexandre Dumas, ils privilégient en premier lieu l'action dramatique. Un chapitre de 20 pages, prépublié chaque semaine au Japon, aura toutes les chances de se clore, ainsi qu'un épisode de série télévisée, sur un insoutenable supense, afin de fidéliser le lecteur semaine après semaine. Cette nécessité de captiver à tout prix influe sur tous les stades de création : le scénario, la mise en page, l'efficacité et le dynamisme des situations.

Dans ce contexte, la bande dessinée japonaise acquiert progressivement en France une reconnaissance culturelle et médiatique. Quartier Lointain et 20th Century Boys ont été primés par le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême respectivement en 2002 et 2003. Articles de presse et expositions se multiplient pour donner à voir les différentes facettes du phénomène manga – comme à l'occasion du Salon du livre pour la jeunesse de Montreuil, en 2004.[...]

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Julien BASTIDE, « MANGAS », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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