MANGAS

Le samouraï et l'employé de bureau

La même dialectique se répercute dans la production destinée aux hommes, écartelée entre des univers extraordinaires et la banalité du quotidien. À ce titre, l'une des figures emblématiques de la bande dessinée masculine est Golgo 13 (2006, éd. or. 1969). Créé par Takao Saito, le personnage de Golgo 13 est le héros de la série éponyme, dont la publication se poursuit encore aujourd'hui au Japon, plus de trente-cinq ans après sa création, totalisant plusieurs dizaines de milliers de pages. Tueur à gages au professionnalisme légendaire, mais aux motivations obscures, Golgo 13 s'acquitte de ses missions sans trahir la moindre émotion, manifestant une force et une intelligence hors du commun. Parmi les autres incarnations de l'homo japonicus – pour reprendre le titre de l'ouvrage de Muriel Jolivet (éd. Philippe Picquier, 2000), désignant l'identité masculine japonaise et les représentations fantasmées qu'elle suscite – présentes dans la bande dessinée pour adultes, signalons également le héros de la série Lone Wolf and Cub de Kazuo Koike et Gōseki Kojima (2003, éd. or. Kozure Okami, 1970), assassin taciturne accompagné de son fils en bas âge, ou les samouraïs qui peuplent les récits du vétéran Hiroshi Hirata, magnifiant le destin souvent tragique d'individus demeurant inébranlables, acculés au sacrifice afin de rester fidèle à leur code d'honneur.

<em>L’Homme qui marche</em>, Taniguchi Jirō

L’Homme qui marche, Taniguchi Jirō

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Dès L'Homme qui marche, Taniguchi introduit une tonalité insolite dans l'univers du manga. La…

À l'opposé de ces monuments de virilité et d'abnégation, le Japonais moyen est le héros ordinaire de nombreux récits. Si aucun des nombreux mangas destinés aux salarymen (« employés de bureau ») nippons n'a encore été traduit en français, sans doute en raison de la description des règles et des usages très spécifiques qui régissent l'entreprise japonaise, certains récits de Jirō Taniguchi, comme Quartier lointain (2002, éd. or. Haruka na machi, 1998) peuvent être en partie rattachés à cette catégorie. Le héros est un quadragénaire qui retourne sur les lieux de son enfance, et jette à cette occasion un regard neuf sur les événements de son passé. L'auteur analyse en creux le passage du mode de vie japonais traditionnel aux habitudes du monde moderne, et stigmatise la perte de repères qui en résulte.

Mais la bande dessinée japonaise destinée aux hommes, loin de se réduire à une exaltation romantique des vertus de l'effort ou de l'humilité, recèle une diversité sans pareille. Pêle-mêle citons les mangas de politique-fiction de Kaiji Kawaguchi – Eagle (2005, éd. or. 1999) et Zipang (2005, éd. or. Jipangu, 2001) ; les thrillers millénaristes de Naoki Urasawa – Monster (2001, éd. or. 1995) et 20th Century Boys (2002, éd. or. 2000) ; ou les satires sociales de Hideki Arai – Ki-Itchi ! ! (2003, éd. or. 2002) et The world is mine (2005, éd. or. 1995). Tous les genres sont représentés : science-fiction avec Ghost in the Shell de Masamune Shirow (1996, éd. or. Kōkaku Kidōtai, 1994), arts martiaux avec Coq de combat de Izo Hashimoto et Akio Tanaka (2003, éd. or. Shamo, 1998), heroic-fantasy avec Berserk de Kentarō Miura (2004, éd. or. 1990), érotisme avec Stairway to Heaven de Makoto Kobayashi (2005, éd. or. 1999), horreur avec Spirale de Junji Ito (2002, éd. or. Uzumaki, 1998) ou encore humour avec Shin-chan de Yoshitoh Usui (2005, éd. or. Crayon shin-chan, 1992). Certains genres sont mêmes inconnus en Occident : on trouve ainsi des mangas qui évoquent la pêche à la ligne, la cuisine, etc. Parmi les œuvres parues en français notons également la place accordée à la spiritualité : Ikkyu de Hisashi Sakaguchi (1996, éd. or. 1993) retrace par exemple l'existence et le cheminement spirituel d'un moine célèbre du xive siècle, tandis que Phénix de Tezuka (2002, éd. or. Hi no tori, 1967) est traversé par des interrogations[...]

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Classification

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Autres références

  • BANDE DESSINÉE

    • Écrit par Dominique PETITFAUX
    • 22 793 mots
    • 15 médias
    La diffusion en Occident, à la fin des années 1970, de dessins animés produits au Japon a préparé le terrain à l’irruption, en Europe et aux États-Unis, des bandes dessinées japonaises, ou mangas(le mot, qui aurait été forgé par le peintre Hokusai en 1814, avec le sens d’« images dérisoires...
  • FANTASY

    • Écrit par Anne BESSON
    • 2 811 mots
    • 3 médias
    De son côté, l'importante production japonaise de mangas a exploité son propre matériel légendaire, très riche, et l'école franco-belge a fait valoir ses qualités. La fantasy y apparaît sans se différencier initialement de la bande dessinée d'aventures (Thorgal de Jean Van Hamme et...
  • SCIENCE-FICTION

    • Écrit par Roger BOZZETTO, Jacques GOIMARD
    • 7 936 mots
    • 4 médias
    Les mangas, qui se sont développés de manière prolifique, dans les années 1960, autour de héros positifs dans des univers imaginaires, à l'instar du robot AstroBoy du fondamental Osamu Tezuka (1928-1989), s'orientent rapidement vers des récits plus violents, qui alternent entre constats...
  • SHUDŌ TAKESHI (1949-2010)

    • Écrit par Universalis
    • 239 mots

    Fils d'employé japonais du gouverneur de la préfecture, Shudō Takeshi, né en 1949 à Fukuoka, crée dans les années 1980 le manga aux personnages empreints d'innocence de Fairy Princess Minky Momo (intitulé Gigi dans l'édition française) et le scénario de GoShōgun (Fulgutor...

Voir aussi