MANGAS

Une ouverture progressive à tous les publics

Si la bande dessinée s'impose peu à peu au Japon, au début du xxe siècle, elle connaît à l'issue de la Seconde Guerre mondiale un formidable développement, sous l'impulsion d'un jeune auteur surdoué et extrêmement productif : Osamu Tezuka (1926-1989). Avant guerre, certaines bandes dessinées avaient eu déjà un fort retentissement auprès du public enfantin, ainsi Norakuro de Suihō Tagawa (1931). Mais c'est Tezuka qui donne à la bande dessinée japonaise son style graphique et narratif si particulier. Passionné de cinéma et de littérature, il transpose sur papier, dès Shin Takarajima (1946), le dynamisme du langage cinématographique, et offre à certains de ses récits l'ampleur et la complexité de la littérature russe qu'il affectionne – il adapte d'ailleurs, en 1953, Crime et Châtiment de Dostoïevski. Quant à son style graphique, inspiré des dessins animés américains – grands yeux et physionomies élastiques –, il fait école. Ce nouveau type de bande dessinée au long cours, baptisé story manga, inspire de jeunes dessinateurs comme Shōtarō Ishinomori, qui deviennent à leur tour des auteurs populaires auprès du jeune public, au cours des années 1950.

<em>Astro Boy</em>, Osamu Tezuka

Astro Boy, Osamu Tezuka

Astro Boy, Osamu Tezuka

À partir des années 1950, Osamu Tezuka va grandement contribuer à fixer le code graphique qui…

Si Tezuka commence sa carrière en publiant des récits d'aventures ou de science-fiction sous la forme de fascicules à bon marché, commercialisés dans la région d'Osaka, dont il est originaire, l'auteur se tourne dès le début des années 1950 vers les grands éditeurs généralistes basés à Tōkyō. Ceux-ci éditent ses travaux en feuilletons, dans des revues mensuelles destinées à la jeunesse. C'est là que seront publiées certaines de ses séries les plus célèbres, comme Le Roi Léo (1996, éd. or. Jungle Taitei, 1950) et Astro Boy (1996, éd. or. Tetsuwan atomu, 1952). À partir de 1959, de nouvelles revues au rythme hebdomadaire font leur apparition, obligeant les auteurs de mangas à produire un nouveau chapitre de leur feuilleton chaque semaine, les plus populaires se voyant ensuite publiés en albums au format poche – un mode de parution qui perdure aujourd'hui.

<em>Une vie dans les marges</em>, de Tatsumi Yoshihiro

Une vie dans les marges, de Tatsumi Yoshihiro

Une vie dans les marges, de Tatsumi Yoshihiro

Récit autobiographique, Une vie dans les marges est une « œuvre monstre » qui compte plus de 800…

À l'époque néanmoins, un autre système fait concurrence aux revues de mangas : celui des librairies de prêt. Ces modestes échoppes, souvent situées aux abords des gares, permettent notamment d'emprunter à bas prix des mangas directement conçus pour ce circuit parallèle. C'est dans ce cadre que se développe un style de mangas aux intrigues plus réalistes et dramatiques, baptisé en 1957 gekiga (littéralement « images dramatiques ») par le dessinateur Yoshihiro Tatsumi.

Le succès populaire des gekigas, et notamment celui des violentes fresques moyenâgeuses de Sampei Shirato, incite les éditeurs des mangas à intégrer cette nouvelle tendance au sein de leurs périodiques. C'est ainsi que la revue Shōnen Magazine publie, à partir du milieu des années 1960, des auteurs issus du circuit des librairies de prêt, tel Shigeru Mizuki, et qu'apparaissent, à partir de 1967, les premières revues de mangas spécifiquement destinées aux adultes, comme Big Comic. Tezuka lui-même, forcé de s'adapter au vieillissement de son public, y publie des récits comme Ayako (2003, éd. or. 1972).

Une autre tendance caractéristique de l'époque est le développement des revues de libre création dont le modèle est Garo, qui publie des travaux avant-gardistes. Enfin, dans le courant des années 1970, un ensemble d'auteurs féminins, baptisé Groupe de l'an 24, en référence à leur année de naissance dans le calendrier nippon, révolutionne le style des mangas destinés aux filles, jusque-là réalisés en majorité par des auteurs masculins. Ainsi, à la mort de Tezuka, en 1989, le panorama éditorial de la bande dessinée japonaise est arrivé à maturité. Il n'a guère évolué depuis, constitué d'une myriade de revues de prépublication[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Astro Boy</em>, Osamu Tezuka

Astro Boy, Osamu Tezuka

Astro Boy, Osamu Tezuka

À partir des années 1950, Osamu Tezuka va grandement contribuer à fixer le code graphique qui…

<em>Une vie dans les marges</em>, de Tatsumi Yoshihiro

Une vie dans les marges, de Tatsumi Yoshihiro

Une vie dans les marges, de Tatsumi Yoshihiro

Récit autobiographique, Une vie dans les marges est une « œuvre monstre » qui compte plus de 800…

<em>L’Homme qui marche</em>, Taniguchi Jirō

L’Homme qui marche, Taniguchi Jirō

L’Homme qui marche, Taniguchi Jirō

Dès L'Homme qui marche, Taniguchi introduit une tonalité insolite dans l'univers du manga. La…

Autres références

  • BANDE DESSINÉE

    • Écrit par Dominique PETITFAUX
    • 22 793 mots
    • 15 médias
    La diffusion en Occident, à la fin des années 1970, de dessins animés produits au Japon a préparé le terrain à l’irruption, en Europe et aux États-Unis, des bandes dessinées japonaises, ou mangas(le mot, qui aurait été forgé par le peintre Hokusai en 1814, avec le sens d’« images dérisoires...
  • FANTASY

    • Écrit par Anne BESSON
    • 2 811 mots
    • 3 médias
    De son côté, l'importante production japonaise de mangas a exploité son propre matériel légendaire, très riche, et l'école franco-belge a fait valoir ses qualités. La fantasy y apparaît sans se différencier initialement de la bande dessinée d'aventures (Thorgal de Jean Van Hamme et...
  • SCIENCE-FICTION

    • Écrit par Roger BOZZETTO, Jacques GOIMARD
    • 7 936 mots
    • 4 médias
    Les mangas, qui se sont développés de manière prolifique, dans les années 1960, autour de héros positifs dans des univers imaginaires, à l'instar du robot AstroBoy du fondamental Osamu Tezuka (1928-1989), s'orientent rapidement vers des récits plus violents, qui alternent entre constats...
  • SHUDŌ TAKESHI (1949-2010)

    • Écrit par Universalis
    • 239 mots

    Fils d'employé japonais du gouverneur de la préfecture, Shudō Takeshi, né en 1949 à Fukuoka, crée dans les années 1980 le manga aux personnages empreints d'innocence de Fairy Princess Minky Momo (intitulé Gigi dans l'édition française) et le scénario de GoShōgun (Fulgutor...

Voir aussi