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PIRANDELLO LUIGI (1867-1936)

Du vaudeville au « nouveau théâtre »

On a souvent observé que le théâtre de Pirandello, qui passe pour être si profondément « révolutionnaire », est par d'autres côtés insupportablement vieillot et complaisamment démodé. Des critiques représentant des idéologies opposées l'ont tour à tour, et à peu près sur les mêmes bases, encensé et violemment attaqué. C'est que l'unité et la diversité du théâtre de Pirandello ne reposent pas sur les mêmes facteurs, comme on le verra.

En un premier temps, Pirandello adopte et adapte la comédie bourgeoise, en y introduisant des facteurs de corrosion et de désagrégation qui la transforment radicalement. Reprenant le trop fameux triangle du vaudeville, Pirandello développe diverses intrigues inattendues, ou subvertit les structures conventionnelles du théâtre d'alors. Chacun sa vérité (Cosi è [se vi pare], 1917), enquête sur une psychose (un homme et sa belle-mère ne sont pas d'accord sur l'identité de l'épouse du premier, que la seconde prend pour sa fille alors que le mari prétend qu'il s'agit de sa seconde femme), est en même temps une destruction de la notion de dénouement. La Volupté de l'honneur (Il Piacere dell'onestà, 1917), qui devrait être l'histoire d'un mari de complaisance, est en fait l'illustration de la panique que cause l'entrée soudaine de la rectitude et surtout de la logique dans une famille futile et corrompue de la haute société. Le Jeu des rôles (Il Giuoco delle parti, 1918), Tout pour le mieux (Tutto per bene, 1920) présentent des solutions héroïques à des situations ridiculement banales : là, c'est un mari qui, ayant défié un homme qui a insulté sa femme, envoie se faire tuer à sa place l'amant de celle-ci, au nom d'une répartition des rôles ; ici un veuf apprend, longtemps après la mort de sa femme, que celle-ci le trompait avec celui qui l'a aidé dans sa carrière, et que tout le monde le croyait informé et complice ; il décide alors de continuer, de détruire le mensonge par le mensonge et la comédie par la comédie. La corrosion porte donc, à cette étape de la production pirandellienne, aussi bien sur la technique (pas de dénouement, pas de crise...) que sur la thématique (des situations de vaudevilles résolues par le refus ou le paradoxe).

Pendant la même période, Pirandello opère une reconnaissance comparable sur le terrain du théâtre dialectal de dérivation vériste. Plusieurs pièces, en effet, ont été soit écrites, soit représentées en sicilien, de sorte que le texte italien qu'on en possède est un texte second. La parenté est évidente entre les nouvelles et le théâtre, qui d'ailleurs maintes fois s'en inspire. Il s'agit toujours d'œuvres d'une extrême vivacité, soit dans le domaine de l'action scénique (La Jarre, 1917), soit dans celui du dialogue (Le Brevet [La Patente, 1918], histoire d'un homme qui, réputé jeteur de sorts, ne trouve plus de travail et exige un brevet pour exercer cette « profession »), soit enfin dans la matière même, comme dans L'Offrande au seigneur du navire (Sagra del signore della nave, 1924), où la religion qui sert de prétexte et de couverture à une fête campagnarde masque mal la soudaine et violente résurgence du passé païen de la Sicile mille fois conquise et disputée. Cette matière sicilienne, rurale et dialectale, sert également de terrain à la description de conflits aigus et profonds, dont témoignent Les Vieux et les Jeunes et Cédrats de Sicile (Lumie di Sicilia, 1910). Liolà enfin (1916) constitue une transposition moderne et virulente de La Mandragore ; une jeune femme est obligée de recourir aux services d'un vigoureux jeune homme, Liolà, pour donner un enfant à son vieux mari. Mais le vieillard est au courant, et Liolà, conscient de l'importance de son rôle, analyse[...]

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Pour citer cet article

Gérard GENOT. PIRANDELLO LUIGI (1867-1936) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Pirandello - crédits : Henry Guttmann/ Hulton Archive/ Getty Images

Pirandello

Giovanni Verga - crédits : 
Biblioteca Ambrosiana/ De Agostini/ Getty Images

Giovanni Verga

<em>Les Géants de la montagne</em>, mise en scène de Stéphane Braunschweig - crédits : Elizabeth Carecchio

Les Géants de la montagne, mise en scène de Stéphane Braunschweig

Autres références

  • LE BONNET DE FOU et SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D'AUTEUR (L. Pirandello)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 307 mots

    Deux pièces de Luigi Pirandello ont été représentées simultanément en octobre 1997, à Paris (Théâtre de l'Atelier) et à Villeurbanne (T.N.P.) Si Le Bonnet de fou (mise en scène de Laurent Terzieff) est fort peu connu, il n'en va pas de même pour Six Personnages en quête d'auteur...

  • LES GÉANTS DE LA MONTAGNE (mise en scène S. Braunschweig)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 072 mots
    • 1 média

    « Les Géants de la montagne sont le triomphe de l’Imagination ! Le triomphe de la Poésie, mais en même temps la tragédie de la Poésie dans la brutalité de notre monde moderne. » C’est en ces termes que Pirandello présentait son drame dans une lettre adressée à la comédienne Marta Abba. Ce...

  • SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D'AUTEUR, Luigi Pirandello - Fiche de lecture

    • Écrit par David LESCOT
    • 1 141 mots
    • 1 média

    C'est par un récit ambigu que Luigi Pirandello (1867-1936) explique dans sa Préface la genèse de Six Personnages en quête d'auteur (Sei Personaggi in cerca d'autore, 1921). Fiction prolongeant le vertigineux jeu de miroirs sur lequel se construit l'œuvre, ou description intime d'un...

  • DRAME - Drame moderne

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 6 057 mots
    • 7 médias
    Des pièces de Pirandello, ce sont plutôt les personnages que l'auteur qui font figure de rénovateurs – évidemment « improvisés » – du théâtre de l'entre-deux-guerres. Dans Ce soir on improvise aussi bien que dans Six Personnages en quête d'auteur, on a l'impression que...
  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par Dominique FERNANDEZ, Angélique LEVI, Davide LUGLIO, Jean-Paul MANGANARO
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...Sicile (Conversazione in Sicilia, 1938) est un hymne aux fureurs abstraites qui doivent mythiquement régénérer le monde. Dominant tous ces écrivains, Pirandello, natif d'une ville qui fut Akragas sous les Grecs, Agrigentum sous les Romains, Kerkent sous les musulmans, et dont le nom moderne hésite entre...
  • STREHLER GIORGIO (1921-1997)

    • Écrit par Myriam TANANT
    • 1 876 mots
    ...trouve son accomplissement dans des travaux longuement médités comme La Vie de Galilée de Brecht (1963) Barouf à Chioggia de Goldoni (1964) et dans une relecture des Géants de la montagne de Pirandello (1966) dont il avait signé une première version en 1947. Dans la deuxième version des Géants...
  • THÉÂTRE OCCIDENTAL - La dramaturgie

    • Écrit par Christian BIET, Hélène KUNTZ
    • 12 279 mots
    • 3 médias
    ...une construction à rebours inédite et une progression plus traditionnelle, mais aussi entre le drame et son commentaire, en concurrence constante chez Pirandello. Dans Six Personnages en quête d'auteur (1921), Pirandello substitue aux histoires insignifiantes de personnages issus du monde réel le...

Voir aussi