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STREHLER GIORGIO (1921-1997)

Metteur en scène italien parmi les plus importants du théâtre contemporain et qui a exercé une influence non négligeable sur l'évolution de l'écriture scénique, Giorgio Strehler, né à Barcola, près de Trieste, a été le réformateur de la scène italienne, dont il est devenu la figure de proue. Diplômé de l'Accademia dei Filodrammatici en 1940, Strehler commence sa carrière comme acteur et travaille dans plusieurs compagnies itinérantes. Il signe sa première mise en scène (trois actes uniques de Pirandello) à Novara en 1943. Mais c'est en Suisse, où il s'est réfugié, qu'il affirme sa vocation de metteur en scène en montant Caligula d'Albert Camus (1945). De retour en Italie à la fin de la guerre, il devient critique théâtral à Milano Sera, tout en jouant et en mettant en scène des textes de Pirandello, Camus et Eliot. En mai 1947, il fonde à Milan, avec Paolo Grassi, le Piccolo Teatro, premier théâtre stable d'Italie, à vocation populaire et culturelle, dont le nom évoque le Maly Teatr, le Petit Théâtre que Stanislavski fréquente à ses débuts. Dès lors, à l'exception d'une période assez courte et de son travail à l'opéra, la vie de Strehler se confond avec celle du Piccolo Teatro que Bernard Dort a qualifié d'« exemplaire » et qui devient un modèle pour la scène européenne. Pendant ses premières années d'activité au sein de cette institution, c'est-à-dire de 1947 à 1955, Strehler monte jusqu'à dix spectacles par an, poussé par une volonté de recherche sur des textes contemporains et de redécouverte d'une tradition italienne oubliée. Le succès immédiat de son Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni (dont il réalisera huit versions qui tiennent l'affiche pendant cinquante ans) vaudra à Strehler et à son théâtre une renommée internationale. Cette double exploration va lui permettre d'élaborer une féconde réflexion sur un style de jeu moderne et de jeter les bases d'un nouveau répertoire.

Sous le signe de Brecht

Au milieu des années 1950, le travail de Strehler prend un tournant décisif. Avec la trilogie de La Villégiature de Goldoni (1954), La Cerisaie de Tchekhov (1955), El nost Milan de Bertolazzi (1955) et L'Opéra de quat' sous de Brecht (1956), qui ont valeur de manifeste, il entend promouvoir un théâtre réaliste et épique. « Ce que Brecht m'a enseigné, dira-t-il, c'est un théâtre humain riche, entièrement théâtre, mais qui n'est pas une fin en soi, qui n'est pas seulement théâtre. Non pas un théâtre hors de l'histoire, hors du temps, non pas le théâtre éternel de toujours, non pas l'histoire contre le théâtre mais histoire et théâtre, monde et vie en même temps, en un rapport continu, difficile, parfois douloureux mais toujours actif, toujours attentif au devenir général. » C'est dans les années 1960 que son écriture scénique, forgée en aiguisant sa pratique au contact de la pensée de Brecht, trouve son accomplissement dans des travaux longuement médités comme La Vie de Galilée de Brecht (1963) Barouf à Chioggia de Goldoni (1964) et dans une relecture des Géants de la montagne de Pirandello (1966) dont il avait signé une première version en 1947. Dans la deuxième version des Géants, Strehler propose une nouvelle interrogation sur le destin de la théâtralité et sur ce que le théâtre doit représenter dans la société (questionnement toujours renouvelé dans son travail depuis plus de cinquante ans de pratique), et conclut que la volonté utopique de diffuser la poésie ne suffit plus à conquérir le monde. Il écrira à ce propos : « Au moment des Géants de la montagne, le cycle était clos. Ce spectacle marque la fin de la coïncidence entre mon histoire et celle du Piccolo Teatro d'alors. Le rideau de fer qui broyait la charrette des comédiens n'était pas la fin de la théâtralité, mais c'était la mort d'un rêve poursuivi et défendu pendant vingt ans, presque contre tous ou chaque jour davantage contre tous. Il fallait recommencer à zéro. »

En 1968, sous la pression de la contestation, Strehler abandonne le Piccolo Teatro, dont Paolo Grassi demeure le seul directeur. Il va alors créer et animer une coopérative d'acteurs avec lesquels il monte Le Chant du fantoche lusitanien de Peter Weiss (1969), Sainte Jeanne des abattoirs de Brecht (1970) et Les Bas-Fonds de Gorki (1970). Pendant cette période de transition, il entreprend également la rédaction d'un scénario d'après les Mémoires de Goldoni. Il envisage de le tourner lui-même pour la télévision italienne, mais le projet n'aboutira pas pour différentes raisons, dont la principale semble être son retour comme directeur unique du Piccolo en 1972, après la nomination de Paolo Grassi à la Scala. Strehler revient alors sur ses auteurs de prédilection, à travers lesquels il entend affirmer une confiance retrouvée dans un théâtre qui soit « un refus du néant et une tentative violente de s'opposer à cette dissolution de la raison » à un moment où l'Italie traverse l'une des périodes les plus tourmentées de l'après-guerre. C'est dans cette perspective qu'il va retravailler sur L'Opéra de quat' sous (1973 et 1986) et la Bonne Âme de Se-Tchouan de Brecht (1981) ; Arlequin (1977) et la trilogie de La Villégiatureen allemand à Vienne (1974), en français avec la troupe de la Comédie-Française à l'Odéon (1978) ; et Le Campiello (1975) de Goldoni (ce spectacle ainsi que Barouf à Chioggia feront l'objet d'une reprise en 1993 pour célébrer le bicentenaire de la mort du dramaturge vénitien).

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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