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JEUX OLYMPIQUES, Grèce antique

Aucune analyse des jeux Olympiques rénovés par Pierre de Coubertin ne peut faire l'impasse d'une réflexion sur les Jeux de l'Antiquité grecque, dans lesquels les Jeux modernes trouvent la raison de leur renaissance et la source pérenne de leur vitalité : les points communs entre ces deux manifestations grandioses vont bien au-delà de la simple synonymie.

Les Jeux antiques sont nés d'une volonté politique : mettre fin aux calamités qui ravagent la Grèce, grâce à la trêve olympique. Les Jeux modernes sont issus d'une utopie politique : la paix universelle évoquée par Pierre de Coubertin dans son discours prononcé à la Sorbonne en 1892. Durant douze siècles, les Jeux permirent aux Grecs de forger et d'affermir leur unité, et Olympie fut un carrefour de la civilisation hellénique. Les Jeux modernes n'ont qu'un peu plus d'un siècle d'existence ; néanmoins, tous les quatre ans jusqu'en 1994 et tous les deux ans depuis lors, le monde entier semble tourner son regard vers un lieu précis : la ville où sont célébrés les Jeux de l'olympiade.

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Au-delà du prestige personnel du champion, la victoire olympique moderne se voit phagocytée par le pouvoir politique (la période de la guerre froide est de ce point de vue caricaturale), lequel se l'approprie et l'érige en triomphe national : mais, jadis, les olympionike (champions olympiques) de l'Antiquité n'apportaient-ils pas la gloire à leur cité ? Selon le serment olympique moderne, les concurrents promettent « de prendre part [aux] jeux Olympiques en respectant et suivant les règles qui les régissent » : les athlètes de l'Antiquité prêtaient serment devant Zeus Horkios. Comme les Jeux modernes, les Jeux antiques débutaient par une cérémonie et s'achevaient par une autre cérémonie. Comme les Jeux modernes, les Jeux antiques sont nés petitement (une seule épreuve), avant de voir leur programme s'étoffer. Comme pour les Jeux modernes, la récompense honorifique (la couronne hier, la médaille aujourd'hui) ne suffisait pas aux champions, qui monnayaient leur talent et se voyaient rétribués pour leurs succès. Comme aujourd'hui, les jeux Olympiques ne constituaient pas le seul rendez-vous pour les athlètes : à partir du vie siècle avant J.-C., ils se voyaient conviés à trois autres jeux Panhelléniques ; ils participaient en outre à des thematikoi, équivalent antique de nos meetings d'aujourd'hui, où la récompense était numéraire... Au vie siècle avant J.-C., une petite cité de Calabre, Crotone, fonda sa renommée sur les exploits de ses champions aux jeux Olympiques : comment, là encore, ne pas faire le parallèle avec la R.D.A. qui accéléra sa reconnaissance internationale grâce aux « performances » de ses sportifs ?

Vestiges d'Olympie - crédits : P. Karapanagiotis/ Shutterstock

Vestiges d'Olympie

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Toutefois, en cherchant bien, on pourrait noter deux différences entre Jeux antiques et Jeux modernes. Tout d'abord, les Jeux antiques étaient célébrés sous l'égide d'une divinité. Mais baignaient-ils pour autant dans la ferveur religieuse ? Il semble que les spectateurs étaient plutôt attirés par le spectacle sportif et la rencontre avec les célébrités qui convergeaient vers Olympie ; le fait que le stade et l'hippodrome se trouvent en dehors de l'enceinte sacrée (l'Altis) paraît corroborer cette hypothèse. Ensuite, les femmes n'étaient autorisées ni à participer aux jeux Olympiques ni à y assister. De nos jours, elles concourent comme les hommes aux Jeux, mais elles ont dû mener un long combat pour vaincre la misogynie coubertinienne, et le programme olympique moderne ne leur fut ouvert que progressivement et avec parcimonie.

De la mythologie à l'histoire

Concernant la naissance des jeux Olympiques, la mythologie propose plusieurs scénarios, dont l'un est le plus communément admis et attribue leur création au héros Pélops. Tantale, roi de Lydie et père de Pélops, sert son fils en guise de mets aux dieux de l'Olympe pour éprouver leur clairvoyance. À l'exception de Déméter, qui mange son épaule, aucun des dieux ne s'y trompe : ils redonnent vie à Pélops, le dotent d'un physique encore plus beau qu'auparavant et condamnent Tantale au châtiment éternel. Dans le même temps, Œnomaos, roi de Pisa, protégé d'Arès, apprend d'un oracle qu'il périra de la main de celui qui épousera sa fille, Hippodamie, dont les soupirants sont nombreux tant elle est belle. Œnomaos élabore un stratagème pour les éconduire : le prétendant doit l'affronter dans une course de chars. Si Œnomaos l'emporte, le prétendant est mis à mort ; si le prétendant s'impose, il épouse Hippodamie. Œnomaos possède les chevaux les plus puissants, et il n'a aucun mal à battre les prétendants ou à les faire fuir. Mais Pélops tombe fou d'amour pour Hippodamie, qui partage son tendre sentiment. Pélops fait appel à Poséidon, dieu de la mer dont il fut l'éromène : le dieu lui offre des chevaux ailés. De son côté, Hippodamie promet à son cocher Myrtilos de se donner à lui si celui-ci trouve un moyen d'endommager le char d'Œnomaos. Myrtilos sabote le moyeu des roues du char du roi, qui, empêtré dans les rênes peu après le départ de la course, meurt traîné par ses chevaux. Pélops peut épouser Hippodamie, alors que Myrtilos, loin de recevoir les faveurs de la belle, est jeté à la mer par Pélops. Afin de célébrer sa victoire ou pour expier le crime d'Hippodamie, Pélops instaure les jeux Olympiques.

Une autre tradition (Pindare, Olympiques) attribue non la création mais la restauration des Jeux à Héraclès : le héros-dieu réinstaure les jeux Olympiques après qu'il eut tué Augias, roi d'Élis, qui refusa de lui donner le dixième de son troupeau comme il s'y était engagé après qu'il eut nettoyé ses écuries en détournant les eaux du fleuve Alphée. Pausanias (Élide, livre V, vii-viii) attribue, lui, la fondation des jeux Olympiques à Héraclès de l'Ida, l'aîné des Curètes, qui proposa à ses quatre frères de disputer une course dont le vainqueur serait couronné d'une tresse d'olivier sauvage. Pindare précise aussi qu'une autre tradition attribue la création des jeux Olympiques à Zeus lui-même, qui les institua pour célébrer sa victoire sur son père, Cronos : à cette occasion, Apollon vainquit Hermès à la course et Arès au pugilat.

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La mythologie offre donc de multiples versions de la naissance des jeux Olympiques. L'histoire, quant à elle, semble s'accorder sur leur « re-naissance ». En l'an 884 avant J.-C., la Grèce est ravagée par la guerre et par une épidémie de peste. Iphitos, roi du petit État d'Élide où se trouve le site d' Olympie, se rend à Delphes pour consulter la Pythie. « Si tu veux calmer la colère des dieux, il te faut restaurer les jeux Olympiques », tel aurait été son oracle. Iphitos retourne à Olympie et réussit à convaincre le législateur Lycurgue, chef de l'armée de Sparte, qui convoite Olympie, de la neutralité de l'État d'Élide. Cléosthène de Pisa (ville sur le territoire de laquelle le sanctuaire d'Olympie est situé) est associé à la décision. Puis tous les États de la Grèce acceptent l'oracle : Iphitos, pour remercier les dieux, institue des « Jeux athlétiques qui se tiendront tous les quatre ans à Olympie ». Là se trouve l'origine de la célèbre « trêve olympique » (ekecheiria), durant laquelle tous les combats doivent cesser et nul n'est autorisé à pénétrer en armes sur le territoire d'Olympie. Officiellement proclamée par les hérauts (spondophores) lorsqu'ils entreprennent leur voyage de cité en cité dans le monde grec pour annoncer la tenue prochaine des jeux Olympiques, la trêve commence un mois avant les Jeux et se termine un mois après ceux-ci : elle n'obéit pas à une visée pacifiste ; elle doit en fait permettre aux athlètes de rejoindre Olympie sans crainte. La durée de la trêve s'étendra avec les conquêtes d'Alexandre le Grand puis de Rome, le voyage vers Olympie devenant de plus en plus long.

L'annonce de la trêve olympique constitue un moment fort de la vie de la Grèce antique. Chacun dépose les armes et fait route vers Olympie ; les ennemis d'hier, féroces guerriers, se rejoignent, se côtoient. À l'occasion de ces marches conjointes, les représentants des différentes cités prennent conscience qu'ils partagent sans doute une communauté originelle, une essence unique. Tous les quatre ans, le sanctuaire d'Olympie devient le centre du monde grec et se transforme en une curieuse localité grouillant de monde : un village de toile est dressé pour accueillir les spectateurs ; marchands et colporteurs font des affaires alors que les preneurs de paris s'activent...

Durant plus d'un millénaire, la Grèce vit au rythme olympique, sorte de lien hellénique. La fonction politique des jeux Olympiques est indéniable : ce vaste rassemblement, qui concerne l'ensemble du monde grec, est l'occasion de négociations, d'alliances, de traités. Ainsi, l'orateur Lysias prononce l'un de ses célèbres discours en 338 avant J.-C. à Olympie (le trente-troisième, Discours olympique) : Lysias célèbre à cette occasion Héraclès, mais il appelle aussi les Grecs à s'unir contre Denys, tyran de Syracuse – une bien curieuse interprétation de la trêve olympique. On sait avec certitude que la trêve olympique fut violée deux fois – en 748 avant J.-C., à la suite d'un différend entre Pisates et Éléens ; en 364 avant J.-C., quand les Béotiens envahirent le Péloponnèse –, ce qui est bien peu.

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Par la suite, l'époque romaine ne marque nullement le déclin des jeux Olympiques : les Romains participent aux compétitions à partir du milieu du iie siècle avant J.-C., dès la fin de la conquête. Seul Sylla tente, en 80 avant J.-C., de « transférer » les Jeux d'Olympie à Rome : il attire dans l'Urbs de multiples athlètes, séduits par le montant des primes d'« engagement » et de victoire. Mais cette entreprise ne connaît pas de suite et la fascination pour Olympie perdure. Des empereurs participent aux compétitions : en 4 avant J.-C., Tibère remporte la course de quadriges ; en 67 après J.-C., Néron soudoie les hellanodices et se fait proclamer olympionike (il conduit un char de dix chevaux et, seul concurrent, remporte une course de chars qu'on ne peut pas nommer « quadriges »). Au iie siècle après J.-C., Hérode Atticus, un riche Athénien ami de Marc Aurèle, fait construire un nymphée : cette fontaine monumentale au décor somptueux permet à la fois de pallier le manque d'eau à Olympie et de célébrer la toute-puissance de Rome et de ses empereurs. Toujours à l'époque romaine, la « période » (jeux Olympiques, jeux Isthmiques, jeux Pythiques et jeux Néméens) s'enrichit de multiples agôns (compétitions) qu'on nommerait aujourd'hui « meetings » : on en connaît à Naples, Pouzzoles, Marseille, Carthage... Les empereurs, fascinés par les concours, en créent de nouveaux, à leur nom : Kaisareia (concours de César), Hadriana (Hadrien), Commodeia (Commode), Severeia (Sévère)...

À la fin du ier siècle après J.-C., Domitien instaure à Rome les plus célèbres de ces concours : les Capitolia, dédiés à Jupiter Capitolin. Cependant, la victoire à Olympie demeure la plus convoitée.

Par la suite, les Romains généralisent les combats de gladiateurs, qui transforment les concours athlétiques en Jeux du cirque, ce qui précipite le déclin des jeux Olympiques. Puis les polémistes chrétiens dénoncent le côté païen des concours sportifs et, en 393 après J.-C, l'empereur Théodose Ier interdit par décret les jeux Olympiques, accusés de propager le paganisme... Il faudra attendre quinze siècles pour les voir renaître. Les Jeux sont donc condamnés car ils sont devenus gênants pour le nouveau système théocratique de gouvernement : l'influence de la politique sur l'olympisme n'est donc pas l'apanage des Jeux modernes...

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  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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