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JEUX OLYMPIQUES Les concours d'art et littérature

Dix ans après la première édition des jeux Olympiques de l'époque moderne, Pierre de Coubertin désire étoffer le programme non du point de vue sportif, mais en ajoutant un volet culturel. Une nouvelle fois, sa démarche fait référence à l'Antiquité grecque : pourtant, aux jeux Olympiques, les concours d'art ne constituèrent jamais un élément essentiel du programme, et l'attribution de récompenses pour les artistes reste sujette à débats. Néanmoins, les arts sont très présents à Olympie : les vainqueurs se voient célébrés par des poésies composées en leur honneur, des sculpteurs façonnent des statues pour les magnifier, à Olympie même ou dans la cité des athlètes. Par ailleurs, des joutes musicales, poétiques et rhétoriques connaissent une réelle importance aux jeux Isthmiques et, surtout, aux jeux Pythiques de Delphes, où des concours musicaux dédiés à Apollon précédèrent dans le temps les épreuves sportives.

En 1906, Coubertin convoque à Paris le quatrième congrès olympique, lequel doit déterminer comment les arts et lettres pourraient participer à la célébration de l'olympiade. Les congressistes acceptent l'idée, décident de créer cinq concours (architecture, sculpture, musique, peinture, littérature), précisent que toutes les œuvres doivent être inédites et directement inspirées de l'image sportive, indiquent que le jury sera composé de personnalités internationales expertes dans les différentes disciplines artistiques de ces concours, avec lesquelles siégeraient quelques membres du C.I.O. La Charte olympique est modifiée en conséquence ; Coubertin, inspiré, baptise cette nouveauté le « pentathlon des muses », dont la première édition est prévue pour les Jeux de Rome en 1908. Mais, en raison du transfert tardif des Jeux de la IVe olympiade de Rome à Londres, la Royal Academy ne parvient pas à organiser ce « pentathlon des muses », les délais étant trop brefs.

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Les concours olympiques d'art et littérature se tiennent donc pour la première fois en 1912, à l'occasion des Jeux de Stockholm, et connaissent un relatif échec : les artistes et écrivains suédois sont opposés à la démarche, le comité d'organisation refuse de prendre en charge ces concours d'un genre particulier ; le C.I.O. doit donc les mettre en œuvre et Coubertin se trouve de nouveau en première ligne. En effet, le jury accorde la médaille d'or pour la littérature à MM. Hohrod et Eschbach, qui ont composé un poème en prose de neuf strophes, texte bilingue français-allemand, intitulé l'Ode au sport ; il s'avère rapidement que l'auteur de ce texte n'est autre que Coubertin lui-même. On note également la médaille d'or obtenue par les architectes suisses Alphonse Laverrière et Eugène-Édouard Monod, pour le « plan d'une nouvelle Olympie » (le concours concernait le dessin d'un stade moderne), mais, dans les autres disciplines, les vainqueurs ont proposé des œuvres d'une qualité très pauvre. Signalons néanmoins que l'éclectique Américain Walter Winans, vainqueur du concours de sculpture pour une statuette en bronze baptisée An American Trotter, remporta aussi à Stockholm une médaille d'argent dans une compétition de tir.

Dessin de Jean Jacoby - crédits : Collection privée/ D.R.

Dessin de Jean Jacoby

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Par la suite, les concours d'art et littérature couronnent des œuvres aux qualités très inégales, en fait souvent assez médiocres. Néanmoins, quelques artistes brillants se distinguent. Signalons le peintre luxembourgeois Jean Jacoby, médaillé d'or en 1924 pour Trois Études sur le sport puis en 1928 pour Rugby, ou le poète français Géo-Charles, médaillé d'or en 1924 pour Les Jeux Olympiques. Malgré tout, Coubertin ne perd pas son enthousiasme en ce qui concerne le « pentathlon des muses », comme il le souligne dans son discours de clôture des Jeux de Paris en 1924 : « Il faut autre chose à côté des sports athlétiques : la présence des génies nationaux, la collaboration des muses, le culte de la beauté, tout l'appareil qui convient au puissant symbolisme qu'incarnaient dans le passé les jeux Olympiques et qu'ils doivent continuer de représenter aujourd'hui. »

De fait, en 1928, à Amsterdam, ces concours sont d'une tout autre envergure : d'abord, plus de mille artistes présentent leurs œuvres ; ensuite, les concours prennent réellement le caractère d'« épreuves », notamment parce que chacune des cinq sections se voit subdivisée en « spécialités » (conceptions architecturales et conceptions pour l'urbanisme pour l'architecture ; médailles et sculptures pour la sculpture ; schémas, peintures et autres arts graphiques pour la peinture ; textes épiques, textes dramatiques et textes lyriques pour la littérature). Ainsi, l'architecte Jan Wils se voit récompensé pour la réalisation du magnifique stade olympique (Olympisch Stadion) de ces Jeux d'Amsterdam, le célèbre sculpteur français Paul Landowski reçoit la médaille d'or pour sa statue Le Boxeur, le peintre néerlandais Isaäc Israels obtient la médaille d'or pour Le Cavalier rouge, le poète polonais du groupe Skamander Kazimierz Wierzynski est récompensé pour Lauriers olympiques...

En fait, en 1928, le « pentathlon des muses » atteint son apogée. En 1932, ces concours connaissent encore un joli succès, puisque plus de mille œuvres sont présentées. L'Américain Joseph Webster Golinkin, peintre de genre, obtient la médaille d'or pour Leg Scissors, son compatriote Mahonri Mackintosh Young la même distinction pour sa sculpture Knockout, le poète-alpiniste allemand Paul Bauer est médaillé d'or pour Am Kangehenzonga (La Lutte avec l'Himalaya). Parmi les membres du jury figure André Maurois, qui accorde une mention « honorable » à Avery Brundage, futur président du C.I.O., pour son essai The Signifitance of Amateur Sport.

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En 1936, le « pentathlon des muses » n'échappe pas plus que toutes les manifestations olympiques à la mainmise nazie, comme en témoigne la composition du jury, au sein duquel figurent Adolf Ziegler, président de la Reichskammer der Bildenden Künste (chambre des Beaux-Arts), qui sera chargé par le régime de combattre l'« art dégénéré », ou Hanns Johst, président de la Reichsschrifttumskammer (chambre de la littérature) et de la Deutsche Akademie für Dichtung (académie de poésie), qui sera officier dans la SS. Et, comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, Werner March, concepteur du gigantesque Olympiastadion, reçoit la médaille d'or dans la catégorie architecture, et le compositeur Werner Egk la même distinction pour Olympische Festmusik.

En 1948, à Londres, dans l'austérité de l'époque, les concours d'art et littérature sont relégués au second plan et de nombreuses distinctions ne sont pas attribuées, faute d'œuvres de valeur. On peut néanmoins noter que le graveur français Albert Decaris reçoit la médaille d'or pour La Piscine, dans la catégorie « autres arts graphiques ». Après ces Jeux de Londres, le « pentathlon des muses » cher à Coubertin disparaît du programme olympique. Le C.I.O. se serait-il rendu compte que le mélange des genres aboutit à la médiocrité et que les « champions olympiques » sont couronnés pour des œuvres qui ne trouveraient pas leur place dans un grand musée ou dans une anthologie littéraire ? Nullement ! En fait, le C.I.O. considère, cette fois à juste titre puisque les artistes tentent de vivre de leur talent, que les participants à ces concours sont des « professionnels » ; allant au bout de sa logique concernant la notion d'amateurisme, il décide, à l'occasion de sa quarante-quatrième session tenue à Rome en 1949, de supprimer les concours artistiques du programme.

Cette sentence signifie-t-elle la fin de la cohabitation entre sport et art aux jeux Olympiques ? Absolument pas, bien au contraire. En effet, la mort du « pentathlon des muses » ne sied pas à tous les membres du C.I.O. Ainsi, Angelo Bolanaki, un philanthrope grec représentant l'Égypte au sein de l'institution, président du comité d'étude des concours d'art, proteste, rappelle que Coubertin, en proposant ces manifestations en 1906, ne faisait aucunement référence à des professionnels ou à des amateurs, mais uniquement à des artistes, se bat et obtient gain de cause : en 1951, le C.I.O., lors de sa quarante-sixième session de Vienne, rétablit les concours d'art et littérature. Mais, dans un délai aussi bref, il s'avère impossible de les organiser à l'occasion des Jeux d'Helsinki de 1952.

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En définitive, ces concours artistiques vont disparaître des Jeux, mais, paradoxalement, la place de l'art aux Jeux va aller croissant. En effet, en décidant la suppression de ces concours spécifiques en 1949, le C.I.O. avait indiqué qu'ils seraient remplacés par des expositions. Libérés de toute contrainte liée à une compétition, les villes d'accueil vont dès lors proposer des expositions thématiques, de qualité certes inégale, mais dont certaines seront splendides, et des festivals culturels. Dès 1956, Melbourne ponctue les Jeux de manifestations artistiques : Sena Jurinac et Sesto Bruscantini sont invités à se produire à l'opéra, les spectateurs peuvent assister à un populaire spectacle de marionnettes, The Tintookies, le Victoria Symphony Orchestra et le Sydney Symphony Orchestra se produisent en concert... En 1960, à l'occasion des Jeux de Rome, des spectacles évoquant les distractions anciennes (Calcio florentin, joutes moyenâgeuses...) sont présentés, une grande exposition de photographies consacrée aux sports et aux arts attire un nombreux public.

<it>Estación 18</it>, Jorge Dubón, 1968 - crédits : J. Dubón/ D.R.

Estación 18, Jorge Dubón, 1968

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En 1968, le projet change d'envergure, et le Mexique organise la première véritable « olympiade culturelle » : plus de mille huit cents manifestations artistiques, mixant les traditions ancestrales du pays et l'art contemporain, sont proposées durant une année entière ; la jeunesse est à l'honneur (festival de peinture enfantine, festival du film pour enfants). En 1972, à Munich, la culture classique allemande se teinte d'hellénisme. En outre, une exposition, Les Cultures mondiales et l'art moderne, tente avec brio de montrer le trait d'union entre les cultures du monde et l'art moderne, comme son intitulé l'indique.

Moscou, en 1980, présente des spectacles artistiques grandioses dignes du réalisme socialiste des années 1930, les démonstrations de groupes folkloriques côtoient ballets et opéras ; les intitulés des expositions thématiques donnent la couleur de l'événement : Sport, messager de la paix ; Arts des peuples de l'U.R.S.S. depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours ; La Jeunesse du monde... En 1988, Séoul se transforme en centre artistique : une exposition de sculpture mondiale en plein air se tient dans le parc olympique ; un festival de céramique a lieu à Incheon.

À l'occasion des Jeux de 1992, Barcelone propose l'un des plus importants programmes culturels de l'histoire olympique : l'Olimpíada cultural dure en fait quatre ans. Ainsi, le modernisme, courant architectonique et plastique emblématique de la ville, est mis à l'honneur, des expositions sont installées dans la Pedrera d'Antonio Gaudí, huit artistes de renommée internationale présentent des œuvres inédites, l'exposition Le Sport dans la Grèce antique : genèse de l'olympisme propose une chronique exceptionnelle des Jeux de l'Antiquité, un festival des sports autochtones, combinant spectacles et compétitions, unit sport et anthropologie, des spectacles de rue ponctuent la fête olympique... En outre, Barcelone renoue en quelque sorte avec le « pentathlon des muses », puisque des artistes sont récompensés pour leurs travaux : parmi les lauréats, citons Victoria de los Ángeles, Rem Koolhaas ou Siah Armajani...

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En 1994, à Lillehammer, le programme culturel revêt un aspect avant tout festif : les « nuits de Lillehammer » voient se produire de multiples artistes (Björn Afzelius, Sissel Kyrkjebø) dont la mission est d'insuffler un vent de folie populaire. Par ailleurs, à l'occasion des Jeux, un « festival olympique » rassemble durant un an plus de huit mille artistes. En outre, 16 millions de dollars, une somme record, sont consacrés aux manifestations à caractère culturel.

En 1996, à Atlanta, Jeffrey Babcock orchestre près de deux cents événements, qui réunissent trois mille artistes : concerts pop gratuits, premières mondiales (Trouble d'Irène Tassembedo, Never Still de Chantal Donaldson...), récitals de Jessye Norman, expositions (dont l'exposition très réussie du High Museum of Arts intitulée Anneaux : cinq passions dans l'art mondial) se succèdent.

En 2000, à Sydney, le festival olympique est grandiose et constitue l'apogée d'un programme culturel de quatre ans qui met notamment à l'honneur les œuvres d'artistes aborigènes (Festival de la rêverie) ; soirée de gala à l'Opéra de Sydney avec Sylvie Guillem, première mondiale d'un spectacle de la compagnie de théâtre physique de Lloyd Newson, expositions (Imagerie australienne) marquent ces Jeux.

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Athènes, à l'occasion des Jeux de 2004, souhaite mettre l'accent sur l'idéal olympique, insistant sur l'équilibre entre le corps et l'esprit dans la réalité du IIIe millénaire. Le programme s'articule, de 2001 à 2004, autour de quatre thématiques : « L'Homme et l'espace », « L'Homme et la terre, la mer, le ciel », « L'Homme et l'esprit », « L'Homme et l'homme ».

Pékin insiste sur l'histoire plurimillénaire de la Chine : en 2006, l'inauguration du « festival olympique », dont le thème est « Découvrir la civilisation, goûter les joies des jeux Olympiques », se déroule sur la Grande Muraille de Chine ; une grande exposition organisée dans trente pavillons, L'Histoire de la Chine, marie œuvres modernes (photos, artisanat, installations multimédias) et arts folkloriques, avec pour objectif de montrer au monde l'héritage culturel traditionnel chinois ; de même, un « Forum des Beaux-Arts olympiques », avec pour thème Chine, monde : les arts rendent plus beau l'olympisme, propose une rencontre entre l'histoire des jeux Olympiques et la culture traditionnelle chinoise, alors que les pavillons des Nuages de bon augure, sortes de maisons de la culture chinoise implantées dans le Parc olympique, permettent aux visiteurs occidentaux d'admirer les multiples merveilles de l'artisanat chinois (costumes ; filigranes en bois, peintures et calligraphies de la pluricentenaire échoppe Rong Bao Zhai ; jades sculptés en fleur...). Par ailleurs, plus de six cents troupes artistiques chinoises offrent de multiples spectacles.

Puis Vancouver innove : pour la première fois, l'« olympiade culturelle » organisée à l'occasion des Jeux d'hiver ne se cantonne pas à l'année olympique : elle dure trois ans (2008-2010), épousant le format adopté pour les Jeux d'été, ce qui souligne l'importance accordée à la culture par les organisateurs, qui financent de nombreux projets pour 6,5 millions de dollars. Ces manifestations associent les nouveaux talents du Canada contemporain et la culture populaire traditionnelle. Les créateurs multiplient les innovations, notamment par l'intermédiaire d'installations souvent osées – telles qu'Endlessly Traversed Landscapes dont le propos est de s'emparer des lieux publics par l'intermédiaire d'images provocatrices produites par des artistes canadiens, dont Ken Lum, Jason McLean et Geneviève Cadieux – et de projets interactifs. Enfin, des dizaines d'artistes des Premières Nations du Canada sont invités à présenter leurs œuvres, lesquelles connaissent une visibilité inédite.

— Pierre LAGRUE

Bibliographie

J.-Y. Guillain, Art et olympisme. Histoire du concours de peinture, Atlantica, Biarritz, 2004

P. Lagrue, Le Siècle olympique. Les Jeux et l’histoire (Athènes, 1896-Londres, 2012), Encyclopædia Universalis, Paris, 2012

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R. Stanton, The Forgotten Olympic Art Competitions : The Story of the Olympic Art Competitions of the 20th Century, Trafford Publishing, 2001.

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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