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GABIN JEAN (1904-1976)

« Mauvais garçon, le foulard autour du cou, le chapeau baissé sur les yeux, Jean Gabin occupe l'écran avec cette puissance, cette pesanteur, qui marqueront quarante ans de cinéma français. » C'est ainsi que Jean-Pierre Jeancolas évoque une des premières apparitions notables de l'acteur dans Cœur de Lilas d'Anatole Litvak (1931). Une silhouette s'esquisse ici, qui ne tardera pas, sous la direction de Julien Duvivier, Marcel Carné ou Jean Renoir, à s'étoffer jusqu'à incarner, en France, le héros typique des années 1930, chez qui le désir d'une impossible liberté vient se heurter au destin inflexible.

Le héros des années 1930

À l'inverse de bien des acteurs à qui leurs parents veulent interdire de « faire l'artiste », Jean Alexis Moncorgé, né à Paris, fut un comédien malgré lui. Sa mère se produisait dans les caf'conc'. Son père était chanteur d'opérette sous le pseudonyme de Gabin. Il connaît donc la rude formation du music-hall – aux Folies-Bergère et au Vaudeville – avant de s'imposer dans l'opérette aux Bouffes-Parisiens et de connaître ses premiers succès, aux côtés de Mistinguett, dans la revue du Moulin-Rouge. Le cinéma parlant naît en 1930 et, tout de suite, engage Gabin, « le gigolo chantant ». Quatre-vingt-treize rôles, quarante-six ans de carrière feront de Jean Gabin l'acteur français le plus célèbre de l'époque.

De 1930 à 1935, il tourne dix-huit films et gagne ses galons de vedette avec La Bandera (J. Duvivier, 1935). Tout Gabin, déjà, se révèle dans cette entreprise. Tout d'abord, son attachement aux textes : ainsi de La Bandera, nouvelle de Mac Orlan qu'avait publiée la Nouvelle Revue française ; plus tard, Gabin se battra pour imposer Jacques Prévert comme scénariste, avec la réussite que l'on sait. Toute sa vie il ne cessera de proclamer que « dans un film, une seule chose compte : le metteur en scène », et il dira son admiration et sa reconnaissance aux quatre grands qui l'ont dirigé : Julien Duvivier, Jean Renoir, Marcel Carné et Jean Grémillon. La découverte de son personnage, enfin : le héros de La Bandera a tué un homme, au hasard d'une bagarre de bistrot, et s'est réfugié dans la Légion étrangère espagnole, où un indicateur — et la mort — le rejoignent ; ici s'esquisse ce rôle de marginal poursuivi par le destin, rôle que Jean Gabin va tenir et qui fera de lui « le héros tragique par excellence du cinéma français d'avant guerre » (André Bazin).

Pépé le Moko, J. Duvivier - crédits : General Photographic Agency/ Moviepix/ Getty Images

Pépé le Moko, J. Duvivier

Car la première, et la vraie, carrière de Jean Gabin ne dure que cinq – merveilleuses – années. Jusqu'en 1940, il tourne avec Duvivier La Belle Équipe (1936) et Pépé le Moko (1937) ; avec Renoir, Les Bas-Fonds (1937), La Grande Illusion (1937), La Bête humaine (1938) ; avec Marcel Carné, Le Quai des brumes (1938) et Le jour se lève (1939) ; avec Jean Grémillon, Gueule d'amour (1937) et Remorques (1940) : neuf films dont huit classiques du cinéma français. On ne sait ce qu'il faut le plus admirer en la circonstance : la perspicacité du comédien, le courage du professionnel qui impose des sujets rejetés par les producteurs, enfin, le talent prodigieux de l'interprète. Gabin savait, comme l'explique Jean Renoir, « être tragique au sens classique du mot, et cela en restant coiffé d'une casquette, vêtu d'un bleu de mécanicien et en parlant comme tout le monde ». Dans les années qui vont du Front populaire à la guerre, Gabin donne une dimension poétique à ce personnage authentiquement populaire, traqué par une société qui le rejette et un destin qui l'accable. À chaque instant, il fait triompher la vérité physique, la présence de son personnage. À la différence des autres monstres sacrés de l'époque : Louis Jouvet, Pierre Fresnay, Raimu, Michel[...]

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Écrit par

  • : cofondateur du journal Le Point, historien du cinéma
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Pierre BILLARD et Universalis. GABIN JEAN (1904-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Pépé le Moko, J. Duvivier - crédits : General Photographic Agency/ Moviepix/ Getty Images

Pépé le Moko, J. Duvivier

Jean Gabin - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean Gabin

Autres références

  • GRANGIER GILLES (1911-1996)

    • Écrit par André-Charles COHEN
    • 683 mots

    Auteur d'une abondante mais inégale filmographie, fortement critiqué lors de l'avènement de la nouvelle vague, Gilles Grangier a signé d'incontestables réussites dans le domaine du « polar » à la française ou des films d'atmosphère à la Simenon. Après avoir été assistant à la mise en scène,...

  • MAIGRET (P. Leconte)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 146 mots

    « C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques...

  • MORGAN MICHÈLE (1920-2016)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 926 mots
    • 1 média

    « Avec ces yeux-là, vous devez voyager beaucoup et en embarquer pas mal », lui aurait dit Jean Gabin après le bout d'essai exigé par Marcel Carné pour Le Quai des brumes (1938), prélude à la plus fameuse réplique du film et de l'histoire du cinéma : « T'as de beaux yeux, tu sais ! »,...

  • STARS ET VEDETTES

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 3 608 mots
    • 11 médias
    ...plupart des stars du cinéma français, c'est-à-dire les dernières « têtes d'affiche » sur lesquelles on peut « bâtir une affaire » à coup (presque) sûr, auront été masculines : Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Gérard Depardieu succèdent à Jean Gabin, Isabelle Adjani étant l'exception à la règle.

Voir aussi