Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ISMAÉLISME

Les ismaélismes contemporains

Compte tenu de l'histoire de l'ismaélisme, il est préférable de parler des doctrines ismaéliennes plutôt que de la doctrine ismaélienne. On peut néanmoins les répartir en deux grands ensembles : la doctrine ṭayyibite ou bohra, qui est issue de la doctrine fatimide, et la doctrine nizārite, qui présente une situation plus complexe du fait de la diversité des communautés qui s'y rattachent. La continuité entre la doctrine fatimide et la doctrine ṭayyibite est évidente, puisque les Bohras étudient toujours les œuvres des auteurs fatimides comme al-Kirmānī ou al-Qāḍī al-Nu‘mān.

Cela dit, si la doctrine fatimide reste la doctrine officielle des Bohras, le dā‘ī al-muṭlaq détient toujours une autorité absolue sur ses fidèles qui est en tout point calquée sur celle de l'imām caché. En réalité, aucun Bohra ne peut entreprendre quoi que ce soit sans son autorisation. Cette dépendance est scellée par le serment (mithāq) que prête tout fidèle vers l'âge de quinze ans, et qu'il renouvelle chaque année à l'occasion de la fête de Ghadīr Khum. En outre, les Bohras versent sept taxes obligatoires au dā‘ī, auxquelles s'ajoutent des taxes extraordinaires. Bien que les ablutions soient les mêmes que pour les sunnites, les Bohras prient à la manière shī‘ite. Comme pour les autres musulmans du sous-continent indien, le culte des saints tient une place importante dans leur pratique religieuse. Les Bohras célèbrent les principales fêtes musulmanes, sunnites et shī‘ites, et des fêtes spécifiques : ce sont les anniversaires des dā‘īs importants et du dā‘ī en fonction. C'est sans doute parmi les rites de passage que l'indianisation du rituel bohra est la plus apparente.

Chez les nizārites, l'isolement des communautés a favorisé un développement séparé de certains aspects des rites et de la doctrine, marqué par une tendance au syncrétisme plus ou moins accentuée suivant le milieu culturel local. À cet égard, le cas des Khojas est représentatif. Leur littérature religieuse est composée de gināns. Un ginān (du sanscrit jnāna, connaissance), composé par un missionnaire (pīr), est un hymne sacré qui contient des exhortations à suivre la Voie droite (sat-panth). L'acceptation de celle-ci implique une triple nécessité : être droit dans la vie quotidienne, pratiquer régulièrement la méditation et participer à tous les rituels et à tous les devoirs relatifs à la communauté. Le monde est décrit comme un lieu d'illusions et le croyant doit lutter contre les passions qui ne peuvent conduire qu'à la destruction de l'âme. Pour le croyant, le salut est possible par la subjugation des impulsions égoïstes : elle s'accomplit en ouvrant son cœur à la dévotion amoureuse du nom divin (nām). Ce nom est symbolisé par la formule qui est prescrite dans la méditation quotidienne pour la remémoration (samaran ou ẓīkr), qui doit être accomplie à l'aube. L'unique rétribution est l'illumination, accordée à travers la grâce de l' imām ou du pīr, en qui repose une parcelle de lumière divine (nūr). Ce nūr, qui est sans aucun doute le concept central de l'ismaélisme nizārite, désigne le principe spirituel de la création dont le dépositaire sur terre est l'imām. Mais, parallèlement à l'illumination intérieure, le croyant doit s'engager totalement au sein de la communauté (jamāt, équivalent de l'arabe tarīqa, plus usité de nos jours) et faire preuve de certaines qualités morales comme l'honnêteté dans les affaires ou la charité envers les pauvres. L'un des points les plus intéressants de la doctrine ginānienne est la reformulation par les pīrs, dans un contexte hindou, du concept ismaélien de la manifestation de l'imām (maẓhar). Dans la théologie vishnouite,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : chargé de cours d'histoire à l'université de Savoie, Chambéry, chercheur associé au Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du Sud, Paris
  • : docteur de l'université Al-Azhar, Le Caire (alimiyya), docteur ès lettres, université de Paris-Sorbonne, maître de recherche au C.N.R.S.

Classification

Pour citer cet article

Michel BOIVIN et Osman YAHIA. ISMAÉLISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Mariage collectif bohra - crédits : Vikas Khot/ AFP

Mariage collectif bohra

Autres références

  • AGA KHAN III (1877-1957)

    • Écrit par Mostafa Ibrahim MORGAN
    • 402 mots

    Fils unique d'Aga khan II, Muḥammad shāh lui succéda à l'âge de huit ans comme imām des ismaéliens. La sympathie probritannique étant assez forte dans la famille, le jeune Aga khan III reçut une éducation typiquement anglaise. Mais c'est grâce à sa mère, appartenant à une grande maison iranienne,...

  • ‘AMR

    • Écrit par Roger ARNALDEZ
    • 224 mots

    Mot arabe qui, venant du verbe amara (« commander », « ordonner »), désigne l'impératif en grammaire et le commandement divin dans le Coran et la théologie. Le ‘amr est donc en relation avec la volonté de Dieu, tantôt avec la volonté législatrice (irāda), tantôt avec une volonté...

  • ASSASSINS, secte

    • Écrit par Roger ARNALDEZ
    • 473 mots

    Membres d'une secte musulmane, célèbre par la manière dont elle se faisait un devoir sacré de mettre à mort les ennemis de la Vérité. Les assassins recherchaient, croit-on, l'extase dans la drogue, ce pourquoi on les appelle en arabe ḥashshāshīn ou ḥashīshiyya, nom qui...

  • AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037)

    • Écrit par Henry CORBIN
    • 8 902 mots
    • 1 média
    ...avicennien. Enfin l'œuvre d'Avicenne est contemporaine d'un fait d'une importance majeure : la constitution de ce que l'on peut désigner comme le corpus ismaélien, c'est-à-dire les œuvres considérables, tant en langue arabe qu'en langue persane, où s'expriment la philosophie et la théosophie...
  • Afficher les 16 références

Voir aussi