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HAYES ISAAC (1942-2008)

« Quand vous pensez soul, vous pensez Isaac Hayes », a déclaré Collin Stanback, porte-parole du label Stax, dans un des premiers hommages qui ont suivi la mort du musicien américain. Instrumentiste, compositeur, arrangeur, producteur et acteur, Isaac Hayes a su imposer ses innovations musicales en dehors de la sphère du grand public, qui n'a parfois retenu de lui que l'image restrictive d'un crooner romantique. Son influence est manifeste sur certains de ses prestigieux contemporains, comme Marvin Gaye, Curtis Mayfield ou les Ohio Players. Et qu'auraient été, sans lui, Barry White, Prince ou le duo Eric B & Rakim ?

Prenant racine dans le gospel pour jeter les bases du funk, son écriture a influencé le rap et les musiques électroniques par l'intermédiaire de l'échantillonnage numérique – citons Public Enemy – et Portishead a élaboré à partir d'un de ses thèmes la poignante et novatrice chanson pop Glory Box (1994). Ses couleurs orchestrales seront pillées par certains titres disco.

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Ses années passées dans l'ombre comme instrumentiste de sessions à Memphis (Tennessee), notamment pour le label Stax, lui ont permis de préparer une brillante carrière solo caractérisée par une ligne directrice musicale parfois qualifiée de smooth soul music.

Né le 20 août 1942 à Covington, dans le Tennessee, Isaac Hayes est élevé par ses grands-parents, car ses géniteurs, ouvriers dans les champs de coton, sont décédés prématurément, victimes surexploitées du métayage. Il débute en chantant à l'église, puis s'accroche à la musique en apprenant en autodidacte le saxophone alto, l'orgue et le piano. Établi à Memphis, il fait ses gammes au sein de divers groupes de rhythm and blues et commence à être sollicité comme musicien de studio. Les portes du label Stax s'ouvrent pour lui et il accompagne en séance Otis Redding, notamment sur le magnifique Try a Little Tenderness (1966) ; il devient également un compositeur à succès : son association avec le parolier David Porter débouche sur plus de deux cents chansons, parmi lesquelles le tube de Sam & Dave Soul Man (1967).

En 1969, son album solo Hot Buttered Soul constitue une véritable réussite artistique par son refus de sacrifier au format usuel. La longueur inhabituelle des chansons – By the Time I Get to Phoenix dure dix minutes – lui permet d'installer des atmosphères sensuelles mises en valeur par des effets dynamiques faisant rebondir l'action musicale. Ce travail sur la structure est influencé par le psychédélisme ambiant, auquel il emprunte également certains traits d'orchestration (les motifs de guitare saturée fuzz, notamment). Son art de l'arrangement fait la part belle à l'orgue, aux lignes de cuivres, aux textures rythmiques complexes. La marque de fabrique d'Isaac Hayes, c'est aussi cette voix de baryton et ces chœurs féminins en appel-réponse rappelant le gospel. L'artiste soigne aussi son image en mélangeant sophistication vestimentaire et emprunts à la culture de la rue : crâne rasé, lunettes de soleil, bijoux clinquants, « poses » au troisième degré.

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En 1971, avec la musique du film de Gordon Parks Shaft, Isaac Hayes obtient la reconnaissance d'un large public en même temps que celui de la profession : la pièce Theme from Shaft reçoit en 1972 un oscar de la meilleure chanson originale. Theme from Shaft représente une sorte de déclaration de principe d'un funk visionnaire par ses accents annonçant le rap, avec ses monologues en spoken word – les raps –, un parlé-chanté syncopé qui est le dénominateur commun de bien des musiques urbaines. Orchestration « cinématographique », entrecroisements de lignes obstinées dont cette fameuse boucle initiale jouée par la guitare passée dans une pédale wa wa : une écriture complexe qui, pourtant, séduit même une oreille peu avertie au-delà de la communauté afro-américaine.

Dans les années qui suivent, Isaac Hayes persiste dans cette veine et apparaît également dans des films de genre (blaxploitation, policiers...). À partir de 1975, ses relations avec Stax se dégradant à cause d'un conflit lié au versement de royalties, il finit par créer son propre label, mais fait faillite. La traversée du désert va être longue : la vague disco l'a mis sur la touche. Il apparaît cependant, en 1981, dans le film de John Carpenter Escape from New York (New York 1997).

Isaac Hayes rebondit dans les années 1990, en animant une célèbre émission de radio. Sa carrière prend alors un tournant inattendu, lorsqu'il devient la voix de Chef dans la série télévisée d'animation South Park : le musicien usé se transforme en icône télévisuelle, mais il quittera le dessin animé à la suite d'une dispute avec son producteur (un épisode se moque de l'église de scientologie, dont il est un adepte). Parallèlement, les jeunes générations redécouvrent ses œuvres et l'échantillonnent abondamment, en particulier dans le cadre de productions hip-hop. En 1995, l'album Branded marque toutefois une certaine renaissance musicale, avec son retour à un funky orchestral chatoyant. Sur sa lancée, il renoue avec la scène à l'occasion d'une grande tournée en 1997. Enfin, Isaac Hayes reprend du service en tant que producteur et arrangeur d'Alicia Keys, pour Songs in A minor (2001).

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Militant pour les droits des Noirs (I Stand Accused) mais fervent partisan d'une africanité apaisée, Isaac Hayes meurt à Memphis, le 10 août 2008. B. B. King dira de lui à sa mort : « Isaac... une voix de malade, un charisme fou, un sens de l'humour énorme. »

— Eugène LLEDO

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  • : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore

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  • SOUL MUSIC

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    • 3 médias
    ...fortement bluesy, est aussi dominante à La Nouvelle-Orléans (Irma Thomas), au Texas (Joe Tex), en Alabama (Percy Sledge), sans oublier l'inclassable Isaac Hayes, qui s'est imposé auprès du public avec d'énormes succès du disque et de l'écran (Shaft). À Chicago, la soul bat en brèche...

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