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MOREAU GUSTAVE (1826-1898)

Le musée Gustave-Moreau

À sa mort, Moreau légua à l'État, afin d'en faire un musée, son hôtel particulier et tout ce qu'il contenait : près de mille deux cents peintures et aquarelles, pour la plupart inachevées, et environ sept mille dessins. Une telle abondance témoigne du travail acharné de l'artiste, et l'examen des dessins démontre le vaste champ de sa curiosité, attirée tout à la fois par les miniatures persanes et indiennes, les estampes japonaises ou les émaux médiévaux. L'appartement du premier étage, aménagé par Gustave Moreau en souvenir des êtres chers, regroupe mobilier, souvenirs de famille, objets d'art, œuvres de l'artiste. Il a été restauré et ouvert au public en 1991.

L'étude des immenses toiles accrochées aux cimaises de son musée aide à saisir le grand dessein de Gustave Moreau. Il voulut créer une œuvre où l'âme pût trouver, selon ses propres paroles, « toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d'amour, d'enthousiasme et d'élévation religieuse vers les sphères supérieures ». Par la finalité qu'il assigne à l'art, Gustave Moreau s'insère dans un mouvement pictural plus vaste, qui commence vers 1850 en Angleterre avec les préraphaélites et qui est représenté sur le continent par le Suisse Arnold Böcklin ou les Français Odilon Redon et Pierre Puvis de Chavannes – ce dernier, issu comme Moreau, de l'atelier de Chassériau. Bien que s'appuyant sur des techniques très différentes, les uns et les autres représentent, dans la seconde moitié du xixe siècle, le courant idéaliste face à la montée triomphante du réalisme et de l'impressionnisme.

Aujourd'hui, le recours laborieux aux figures de la mythologie et de l'histoire sacrée pour évoquer les grands drames de l'histoire humaine laisse le plus souvent le spectateur froid et gêné. Les grandes compositions du musée, les tableaux trop léchés qu'il envoyait aux Salons, dont on a peine à comprendre les intentions symboliques trop littéraires, sentent l'artifice et la mystique d'antiquaire. Une œuvre comme Jupiter et Sémélé (1895, musée Gustave-Moreau), qu'il considérait comme son chef-d'œuvre, force au respect par ses richesses de matière, ses raffinements de coloris, ses étonnantes inventions dans les plus infimes détails ; mais il faut avoir sous les yeux les explications du peintre pour en pénétrer toute la signification panthéiste. En croyant exprimer l'universel, Moreau n'a fait que traduire les théories fumeuses des mystagogies en vogue à son époque. Aussi, pour que le message passe du tableau au spectateur, il faut le secours d'une glose. De là provient l'échec de l'entreprise de l'artiste qui s'était fixé comme ligne d'action : « L'évocation de la pensée par la ligne, l'arabesque et les moyens plastiques. »

Mais les réticences tombent devant les œuvres moins élaborées : aquarelles, dessins, premiers jets et esquisses de toutes sortes, où Moreau laisse libre cours à son imagination et donne la préférence à sa main et à sa sensibilité. Dans des tableaux comme Orphée au tombeau d'Eurydice, La Parque et l'Ange de la Mort, La Tentation (musée Gustave-Moreau) éclatent les violences expressionnistes des couleurs vierges qui, à elles seules, possèdent la puissance de suggestion vainement recherchée dans des toiles plus achevées. Plus étonnantes encore, pour qui est familier des expériences contemporaines, sont certaines ébauches à l'huile dans lesquelles toutes les formes sont abolies au profit de purs jaillissements colorés. C'est dans de telles œuvres, redécouvertes aujourd'hui à la lumière du tachisme et de l'art informel, que se révèle, à l'état natif, l'imagination de la couleur que Gustave Moreau communiqua à ceux de ses élèves[...]

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Écrit par

  • : docteur en droit, licencié ès lettres, P.E.S. d'histoire, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, membre de la Société de l'histoire de l'art français

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Louis MATHIEU. MOREAU GUSTAVE (1826-1898) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Sappho, G. Moreau - crédits : De Agostini

Sappho, G. Moreau

Orphée, G. Moreau - crédits : G. Dagli orti/ De Agostini/ Getty Images

Orphée, G. Moreau

<it>Dalila</it>, G. Moreau - crédits : AKG-images

Dalila, G. Moreau

Autres références

  • DEGAS EDGAR (1834-1917)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 3 809 mots
    • 10 médias
    ...classique : travail in situ sur les modèles antiques et modernes auprès desquels s'étaient formées, et se formaient encore, des générations d'artistes. Mais il va, paradoxalement, y trouver tout autre chose, grâce à la rencontre, en 1858, de Gustave Moreau. Ce dernier, au cours de longues discussions,...
  • FAUVISME

    • Écrit par Michel HOOG
    • 4 020 mots
    • 1 média
    ...Matisse, que son âge et son autorité intellectuelle prédisposaient à jouer ce rôle, que s'est constitué le mouvement. La principale pépinière des fauves fut l'atelier de Gustave Moreau à l'École des beaux-arts, où Rouault, Matisse, Marquet, Camoin, Manguin, Puy et quelques autres devaient nouer des...
  • LÉDA, iconographie

    • Écrit par Martine VASSELIN
    • 1 180 mots
    • 1 média

    Dans la Bibliothèque d'Apollodore d'Athènes (~ 180), dans l'Hélène d'Euripide, les Fables d'Hygin et les Dialogues de Lucien, on trouve plusieurs versions de la légende des amours de Zeus déguisé en cygne et de Léda, épouse du roi Tyndare de Lacédémone. Selon...

  • POMPIER, art

    • Écrit par Jacques THUILLIER
    • 4 020 mots
    • 7 médias
    ...plus traditionnelle et le primat du sujet. Il n'est pas surprenant qu'André Breton ait préfacé le livre de Ragnar von Holten, L'Art fantastique de Gustave Moreau (Paris, 1960), premier essai pour réhabiliter ce peintre longtemps regardé comme le type même du pompier, et revenu en peu d'années au rang...
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Voir aussi