Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BATAILLE GEORGES (1897-1962)

L'expérience intérieure

Publiée en 1943, marquée par la rencontre de Maurice Blanchot, L'Expérience intérieure sera par la suite augmentée de Méthode de méditation (1947), du Coupable (1944), de L'Alleluiah (1947) et de Sur Nietzsche (1945), constituant ainsi le premier tome d'une Somme athéologique où le jeu de l'angoisse et d'une extase déprise de la morale, des valeurs et de toute idée de Dieu doit viser au « pur bonheur » et au « système inachevé du non-savoir » : tels étaient les titres des tomes à suivre. Critique de la « servitude dogmatique et du mysticisme », l'« expérience » est la mise en question de ce qu'un homme sait du fait d'être. Bataille la change en un voyage au bout du possible où se perd, dans l'expérience des limites de l'homme, une souveraineté sans issue. Dans un article au titre ironique : Un nouveau mystique, Sartre exécutera le journal de cette expérience dénudante que porte la certitude de devoir mourir. Après avoir publié Madame Edwarda (1941) et L'Impossible, autrement nommé La Haine de la poésie (1946), Bataille devait souligner, dans la Préface à La Part maudite (1949), la profonde solidarité de textes et de livres qui peuvent paraître disparates. En même temps qu'il lance Critique, une nouvelle revue axée sur tous les domaines de la connaissance, il publie L'Abbé C (1951). Fictions, récits et essais se conjuguent ainsi étroitement dans l'instant de l'écriture. Conservateur à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras (il épouse, en 1951, Diane Kotchoubey de Beauharnais qu'il a rencontrée à Vézelay), Bataille est bientôt nommé à Orléans. Il travaille à une Théorie de la religion et amorce les études sur Lascaux et Manet qui paraissent en 1955. Sa santé se dégrade.

En 1957, L'Érotisme, La Littérature et le mal et Le Bleu du ciel paraissent ensemble, tandis qu'il travaille, à un rythme ralenti par la souffrance, au Procès de Gilles de Rais dont il traduit les minutes avec Klossowski, et aux Larmes d'Éros, son dernier texte (1961). Peu de temps avant de mourir, il indique que l'on pourrait le sous-titrer : « Les Larmes d'Éros, ou l'Histoire universelle à la lumière de l'érotisme. » Cette volonté d'universalité traverse une œuvre dont on a toujours marqué le côté fragmentaire. Elle répond à la recherche d'hétérologie – la science de ce qui est tout autre –, ce grand motif des premiers articles, ainsi qu'à l'épreuve décisive que représente l'expérience intérieure, foyer de l'œuvre entière. Malgré la précarité de ses sources, parfois, Bataille semble toujours en face d'un ensemble pressenti d'emblée. Comme si chaque livre répondait à l'éclat initial d'un éblouissement. Qu'on le lise en philosophe moqueur, en mystique sans Dieu qui offre à la pensée la chance d'échapper aux religions sans en ignorer pour autant les voies, qu'on le lise en économiste paradoxal, en historien ou en critique, c'est, chez Bataille, l'angle d'attaque de la réflexion qui paraît toujours unique : cette stratégie de débordement où une souveraineté dressée contre la maîtrise prend sens dans la révolte. Avec un reste de romantisme noir, il fait contre la raison le choix de la passion, contre l'accumulation celui de la dépense, et contre le projet, celui de l'instant – c'est-à-dire de la poésie.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Francis MARMANDE. BATAILLE GEORGES (1897-1962) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACÉPHALE, revue

    • Écrit par Jacques JOUET
    • 500 mots

    Avant d'être une revue (Religion, Sociologie, Philosophie, cinq livraisons de juin 1936 à juin 1939), Acéphale voulut être une expérience, la recherche d'un mode de vie exemplaire fondé sur la méditation, le rituel et l'extase. Georges Bataille, le maître d'œuvre — avec Georges Ambrosino...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    Nul mieux que Georges Bataille, en particulier dans L'Expérience intérieure (1943), n'aura décrit les paradoxes d'une expérience de l'indicible dont la logique conduirait au silence : « Mes yeux se sont ouverts, c'est vrai, mais il aurait fallu ne pas le dire, demeurer figé comme une bête. » De...
  • CRITIQUE, revue

    • Écrit par Sylvie PATRON
    • 622 mots

    Moins disparate que Documents, moins offensive que Les Cahiers de Contre-Attaque, moins turbulente qu'Acéphale, et partant plus durable qu'aucune d'entre elles, Critique est la dernière des revues fondées par Georges Bataille. Elle a la particularité d'être une revue de bibliographie....

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias

    Innombrables sont les avatars d'Érôs dont la définition heuristique pourrait être : le désir ascensionnel. Or, ce désir – il se confond ici avec le regard olympien – anime les philosophies du concept ; il est à l'œuvre dans les théologies de l'histoire qui lisent synoptiquement les événements,...

  • Afficher les 13 références

Voir aussi