BATAILLE GEORGES (1897-1962)
Longtemps tenu pour un écrivain maudit, Georges Bataille reste encore relativement méconnu. Ses histoires noires et déchirantes, d'un érotisme sale, n'en sont pas seules responsables. « Je fais peur », disait-il pour expliquer cette difficulté à se faire reconnaître : « Je fais peur, non pour mes cris, mais je ne peux laisser personne en paix. » Ce ne sont pas non plus les contradictions d'une œuvre trop étendue qui effraient, ni ses points obscurs. C'est son ampleur, cette anxiété de dénuder la vie et la pensée jusqu'à l'extrême, jusqu'à ce que Bataille nomme étrangement « l'évanouissement du réel discursif ». Cette volonté de tout dire – et de dire l'impossible de tout dire, que révèle le non-savoir – se confond avec une existence peu préoccupée d'« autobiographie ». Entre autres paradoxes, elle ne cesse de prétendre à la constitution d'une histoire universelle, fondée, sans faire pour autant système, sur les pratiques et les savoirs les plus divers. Elle n'est que l'effet d'une transgression obligeant la littérature, forcément du côté du mal, à plaider coupable. Seule condition pour se maintenir à hauteur de ce qui effraie : à hauteur d'homme et à hauteur de mort.
La vie à l'envers
« Ce n'est pas le moindre paradoxe de cette œuvre, plus que toute autre dénudante, qu'elle ne dise de la vie privée que le minimum et généralement le pire » : Michel Surya, biographe de Bataille, ne manque pas de signaler aussi qu'elle laisse plus d'un point en suspens. Écrite « avec la vie même », elle semble portée par une avidité d'enfant, au-delà de l'espoir et du sérieux.
Né le 10 septembre 1897 à Billom, dans le Puy-de-Dôme, Georges Bataille est le deuxième fils d'un père syphilitique, aveugle, bientôt paralysé. Après de médiocres études à Reims, il obtient son premier baccalauréat à Épernay en 1914 et, dans un entourage irréligieux, se convertit au catholicisme. La guerre éclate, le père est abandonné sous les bombes – il mourra en 1915 –, Bataille suit sa mère dépressive. Au séminaire de Saint-Flour où il est entré, il rédige un éloge fiévreux de la cathédrale de Reims (Notre-Dame de Rheims) dont Denis Hollier a montré le rôle secrètement fondateur dans l'œuvre. Renonçant au séminaire, Bataille entre en 1918 à l'École nationale des chartes. Blessé par une déception amoureuse, il reste tenté par la vie religieuse, fait des recherches à Londres, séjourne chez les bénédictins de l'île de Wight et perd définitivement la foi.
En 1922, il commence un roman dans le style de Proust. Sa découverte de Nietzsche, « ma compagnie sur terre », et de l'expression de sa propre pensée dans Nietzsche le transporte. Il pressent que le rire est la clé et se croit promis à l'élaboration d'une philosophie paradoxale. Lors d'un séjour à l'École des hautes études hispaniques, il préfère à ses travaux les vestiges arabes, le cante jondo découvert à Grenade et la tauromachie. Le 7 mai, à Madrid, il voit mourir le jeune torero Manuel Granero, le crâne éclaté d'un coup de corne dans l'œil.
Par son ami Alfred Métraux, Bataille découvre les recherches de l'ethnologue Marcel Mauss sur le sacrifice et le don sans fin (le potlatch). Il fréquente Léon Chestov qui infléchit sa réflexion philosophique vers Pascal, Kierkegaard et Dostoïevski, et dont il traduit, en collaboration avec lui, L'Idée de bien chez Tolstoï et Nietzsche. Il entame un roman qui puisse exprimer sa vie nouvelle de débauche (Le Joyeux Cynique). Nommé au département des Médailles de la Bibliothèque nationale, il rencontre en 1924 Michel Leiris, qui lui fait connaître le peintre André Masson dont l'atelier est un lieu d'effervescence. Il ne rejoint pas comme eux le surréalisme,[...]
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Écrit par
- Francis MARMANDE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
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