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BLANCHOT MAURICE (1907-2003)

Dominante et marginale, telle est la place qu'est venue occuper au fil du xxe siècle l'œuvre narrative, critique et philosophique de Maurice Blanchot. Cette œuvre a suscité les plus vives admirations et souffert les plus suspicieux dénigrements. Dans un univers intime et déroutant, par un langage incisé, un lyrisme tenu, par une dramaturgie chaque fois renouvelée et jusqu'à leur propre épuisement, les récits ont offert un espace d'attention rare, celui d'une indiscrétion éthique infinie envers l'autre : envers sa mémoire, son langage, sa respiration, son secret. L'œuvre critique a commenté des centaines de livres, de quelques classiques à presque tous les contemporains ; dans un dialogue incessant avec les écrivains et philosophes qui l'avaient précédée (Nietzsche, Hegel, Heidegger, Hölderlin, Mallarmé, Valéry, Rilke, Kafka, Sade, Lautréamont, Artaud...), et avec ceux qui l'ont accompagnée (Char, Paulhan, Sartre, Leiris, Klossowski, Laporte, Foucault, Derrida, Nancy, Duras, Mascolo, des Forêts...), elle a forgé sa propre approche de la littérature et son lexique notionnel. Ce dialogue, Maurice Blanchot lui a donné quelques noms : entretien infini, ou amitié, et c'est dans l'amitié des auteurs qui lui furent les plus proches, et dont son nom ne peut être désormais dissocié – Emmanuel Lévinas, Georges Bataille et Robert Antelme – qu'il aura déployé une œuvre philosophique apte à maintenir, au-delà du désastre, par-delà l'effondrement des idéologies communistes et des mythologies communielles, l'exigence et la nécessité d'une pensée communautaire, fussent-elles d'abord celles d'une « communauté inavouable », d'une « communauté sans communauté ».

Que cette œuvre restât discrète, tout au long de sa vie, Blanchot l'a lui-même souhaité, soustrayant exemplairement sa personne à toute forme de médiatisation, tentant de s'accorder à la pensée, héritée notamment de Mallarmé, que « l'écrivain n'a pas de biographie ». C'est ainsi à une méditation active sur la légitimité, voire la possibilité de l'écrivain qu'il nous convie, en portant un regard sans faille sur les idéologies, les écritures, les ruptures et l'absolu historique (Auschwitz) qui auront marqué le xxe siècle. Un regard sans autre faille que celle de son origine (par sa plume de journaliste, Blanchot a milité à l'extrême droite dans les années 1930), une origine qu'il n'aura cessé ensuite de désavouer par ses engagements à l'extrême gauche, par l'impératif politique de sa littérature (« Pense et agis de telle manière qu'Auschwitz ne se répète jamais »), pour dire enfin comment la pensée n'advient précisément que dans la fuite de l'origine, comment la littérature, contre une certaine conception française, n'advient que dans l'oubli de toute réaction.

Une jeunesse française

Né à Quain, hameau de la Bourgogne bressane, le 22 septembre 1907, Maurice Blanchot appartient à une famille de catholiques fervents, propriétaires terriens aisés. C'est auprès de son père, précepteur pour enfants de grandes familles, qu'il apprend l'essentiel de son savoir littéraire. Vers 1923, à l'université de Strasbourg, où il étudie la philosophie et l'allemand, il rencontre un étudiant juif venu de Lituanie auquel il se lie d'une amitié indéfectible : Emmanuel Lévinas. Blanchot initie Lévinas à la littérature française (loin du surréalisme : c'est Proust et Valéry) ; Lévinas initie Blanchot à la philosophie allemande (la phénoménologie et Heidegger).

En 1929, Blanchot monte à Paris. Il soutient en Sorbonne un mémoire sur les sceptiques et commence des études de médecine à Sainte-Anne. Mais c'est le journalisme qui l'attire, davantage que l'université.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

Classification

Pour citer cet article

Christophe BIDENT. BLANCHOT MAURICE (1907-2003) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • L'ESPACE LITTÉRAIRE, Maurice Blanchot - Fiche de lecture

    • Écrit par Didier CAHEN
    • 1 261 mots

    Publié en 1955, L'Espace littéraire est un des livres fondateurs de notre modernité. Son style, ses concepts, la hauteur de son exigence ont imprégné par la suite les œuvres de Barthes, Foucault, Lacan et Derrida.

    La publication du livre ponctue une période d'intense activité critique et...

  • MAURICE BLANCHOT, PARTENAIRE INVISIBLE (C. Bident)

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 1 017 mots

    Dans un court texte intitulé « Pour remercier Maurice Blanchot » et prononcé le 22 septembre 1997, à l'occasion des quatre-vingt-dix ans de l'auteur, Jean Starobinski écrit : « Il m'a fait comprendre, inoubliablement, qu'on n'a pas vraiment accompli la tâche critique tant que l'on n'en a pas fait un...

  • ARTAUD ANTONIN (1896-1948)

    • Écrit par Paule THÉVENIN
    • 3 392 mots
    • 1 média
    ...son œuvre avec sa vie, qu'il suffit de lire ses écrits pour connaître l'essentiel de sa vie, non qu'il s'agisse d'une anecdotique autobiographie, car, Maurice Blanchot l'a souligné : « Ce qu'il dit, il le dit non par sa vie même (ce serait trop simple), mais par l'ébranlement de ce qui l'appelle hors...
  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par Marc CERISUELO, Antoine COMPAGNON
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    Cette réflexion avait été annoncée par la métaphysique littéraire de Blanchot, l'un des premiers promoteurs de Heidegger en France. En s'appuyant sur Mallarmé en particulier, Blanchot critiquait l'idée du livre comme totalité présupposant un créateur garant de l'unité du sens, c'est-à-dire l'axiome...
  • FRAGMENT, littérature et musique

    • Écrit par Daniel CHARLES, Daniel OSTER
    • 9 372 mots
    • 2 médias
    Maurice Blanchot lit chez René Char le désir de « répondre à « la nature tragique, intervallaire, saccageuse, comme en suspens, des humains » par une parole de fragment » (L'Entretien infini). Éclatement, dislocation, ces mots ne sont pas à prendre comme purement négatifs : « le poème...
  • LITTÉRATURE - Du texte à l'œuvre

    • Écrit par Alain VIALA
    • 6 945 mots
    ...bien le rêve d'un art pur que les conservatismes de tout poil, les tenants d'un universel anhistorique cher à certains classiques. Face à cet engagement Maurice Blanchot, dans L'Espace littéraire (1954), rejette la masse des ouvrages qu'il considère comme futiles ou utilitaires et réserve la littérature...
  • Afficher les 8 références

Voir aussi