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BATAILLE GEORGES (1897-1962)

La communauté inachevée

À la fin des années vingt s'ouvre pour Bataille une période de tension entre la volonté renouvelée de communauté active et une extrême solitude. Il se marie en 1928 avec la comédienne Sylvia Maklès dont les trois sœurs épousent Théodore Fraenkel, André Masson et Jean Piel. À côté de L'Anus solaire et d'Histoire de l'œil (publié, en 1928, sous le pseudonyme de lord Auch) s'élabore en lui l'image insistante de l'œil pinéal, ouvert au soleil, à partir de laquelle il développera son économie paradoxale qui trouve son expression la plus complète dans La Part maudite.

Au même moment, une étude de commande qu'il consacre aux Aztèques (L'Amérique disparue) inaugure un ton très personnel où se définit un mode particulier d'accouplement avec son sujet et de déchaînement imaginaire du concept. Dirigeant avec Georges-Henri Rivière la revue Documents (de l'ethnologie au bizarre), son propos s'affirme brutalement anti-idéaliste et d'un comique très particulier. Dans le Deuxième Manifeste du surréalisme, Breton le prend à partie. En réponse, Bataille fomente le pamphlet collectif Un cadavre, auquel participent, entre autres, Ribemont-Dessaignes, Desnos, Queneau, Prévert et Leiris. Malade, bientôt muté au département des imprimés de la Bibliothèque nationale, Bataille se sent isolé. En janvier 1931, Documents se saborde. À ce que la revue symbolisait d'utopie ethno-esthétique succède alors une phase d'activisme politique, utopie théorico-militante celle-ci, qui s'exprime d'abord dans le Cercle communiste démocratique de Boris Souvarine.

Collaborant à La Critique sociale où il occupe assez vite une place aussi importante que contestée, Bataille rencontre Colette Peignot (« Laure »). Sa lecture de Hegel, expérience intellectuelle décisive, est favorisée par les cours d'Alexandre Koyré et le séminaire de Kojève consacré à La Phénoménologie de l'esprit, qu'il suit avec Queneau, Lacan, Caillois, Klossowski, Raymond Aron et Merleau-Ponty. Reprenant l'analyse du travail et celle du couple que forment le maître et l'esclave, Bataille dégage la négativité hégélienne de son rôle moteur dans l'histoire pour la poser en « négativité sans emploi ». Si, pour lui aussi, la faille est constitutive de l'être, elle ne va pas sans la nostalgie d'une séparation douloureuse avec le monde animal et sans l'angoisse où, dans la fêlure, se trouve abandonnée la conscience. Publiée en 1932, « La Critique des fondements de la dialectique hégélienne » qu'il rédige avec Queneau déclare la pensée nécessairement ouverte (quoi qu'il en coûte d'ailleurs au groupe de La Critique sociale) à la sociologie, à l'ethnologie et aux théories de Freud dont l'introduction est une opération « qui ne peut aller sans dégâts ni sans casse ».

Avec La Notion de dépense se perfectionne ainsi une voie d'analyse qui aboutit, l'année suivante, à une étude difficile et très neuve des Structures psychologiques du fascisme. La part faite à l'irrationnel, le rapprochement avec des formes de pensée mal évaluées par le groupe de La Critique sociale laissent celui-ci perplexe. Pour Bataille, il est clair désormais que la dépense et l'excès, avec ce qu'ils impliquent de jouissance et de souveraineté acquise dans la transgression, sont ce qui compte, beaucoup plus que toute analyse de la pénurie ou de l'accumulation selon des méthodes classiques ou marxistes. Une impatience d'agir, sa liaison avec Colette Peignot aussi le conduisent à manifester en 1934 dans la rue aux côtés des antifascistes, et à amorcer un projet de livre sur Le Fascisme en France, auquel se substitue la rédaction fiévreuse du Bleu du ciel qui ne sera publié que plus de vingt ans après. Sous la triple[...]

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Pour citer cet article

Francis MARMANDE. BATAILLE GEORGES (1897-1962) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACÉPHALE, revue

    • Écrit par Jacques JOUET
    • 500 mots

    Avant d'être une revue (Religion, Sociologie, Philosophie, cinq livraisons de juin 1936 à juin 1939), Acéphale voulut être une expérience, la recherche d'un mode de vie exemplaire fondé sur la méditation, le rituel et l'extase. Georges Bataille, le maître d'œuvre — avec Georges Ambrosino...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    Nul mieux que Georges Bataille, en particulier dans L'Expérience intérieure (1943), n'aura décrit les paradoxes d'une expérience de l'indicible dont la logique conduirait au silence : « Mes yeux se sont ouverts, c'est vrai, mais il aurait fallu ne pas le dire, demeurer figé comme une bête. » De...
  • CRITIQUE, revue

    • Écrit par Sylvie PATRON
    • 622 mots

    Moins disparate que Documents, moins offensive que Les Cahiers de Contre-Attaque, moins turbulente qu'Acéphale, et partant plus durable qu'aucune d'entre elles, Critique est la dernière des revues fondées par Georges Bataille. Elle a la particularité d'être une revue de bibliographie....

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias

    Innombrables sont les avatars d'Érôs dont la définition heuristique pourrait être : le désir ascensionnel. Or, ce désir – il se confond ici avec le regard olympien – anime les philosophies du concept ; il est à l'œuvre dans les théologies de l'histoire qui lisent synoptiquement les événements,...

  • Afficher les 13 références

Voir aussi