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LISZT FRANZ (1811-1886)

Liszt - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Liszt

George Sand se décrit comme « une enfant du siècle ayant partagé toutes les douleurs et toutes les erreurs de son temps, et ayant bu à toutes les sources de la vie et de la mort ». Termes grandiloquents, et non dénués de prétention, mais qui, appliqués à Liszt, deviennent naturels et authentiques.

Franz Liszt, en effet, a porté le poids de la musique de son siècle, mais également celui de la musique du passé, et de la musique de l'avenir. Il a puisé à toutes les sources intellectuelles et musicales de son époque, assimilant jusqu'à leurs produits alluviaux pour les épurer, les féconder et en faire bénéficier ses contemporains et ses successeurs. Il fut réellement « l'enfant du siècle » ; son génie n'est pas seulement « typiquement romantique », il est l'esprit même de la musique romantique, dans laquelle l'exaltation rêveuse du romantisme naissant s'allie avec le feu des révolutions, le spleen byronien ou l'exaltation d'un Senancour avec l'humanisme élevé d'un Schiller, la responsabilité sociale et l'engagement politique avec le mysticisme religieux et le scepticisme de la résignation, la fascination germanique pour la mort avec la revendication d'un destin est-européen, le sens artistique raffiné de l'Occident avec un penchant tout oriental et ancestral pour les rhapsodes épiques.

Parmi les compositeurs du xixe siècle, certains l'égalent ou même le dépassent, car Liszt n'est pas l'homme de l'accomplissement ni même de la synthèse. Mais cela même ne fait qu'exacerber son romantisme, car la musique du xixe siècle, par sa nature, ne se prête pas, comme celle du baroque ou du « classicisme », à la synthèse ou à l'accomplissement, sauf à l'intérieur d'un seul genre, représenté par le despotisme intellectuel d'un Richard Wagner, ou dans un monde musical universel mais isolé et ésotérique, personnifié par le classicisme d'un César Franck. Le romantisme musical est, dans son essence, un « cosmos chaotique » aux prises avec les extrêmes, et dont les moments « bachiens » ou « beethoveniens » ne peuvent se réaliser qu'après son autodestruction. Cet ordre imparfait et toujours inabouti, cette aspiration éternelle et fanatique sans cesse en mouvement caractérisent l'œuvre de Franz Liszt. Il « jette sa lance dans l'espace infini de l'avenir ». L'insondable personnalité humaine et créatrice de cet « abbé-tsigane », sa carrière vertigineuse et tumultueuse, son œuvre perpétuellement discutée dans ses fondements mais d'une nouveauté toujours aussi éclatante n'ont cessé de hanter et d'inspirer les compositeurs.

Un virtuose précoce

L'année 1811, qui voit la naissance de Liszt, se situe juste au milieu du lustre qui voit naître les personnalités les plus marquantes de la première vague du romantisme musical : Mendelssohn (1809), Chopin et Schumann (1810), Wagner et Verdi (1813). Il s'agit d'une génération qui a vécu, vers 1830, l'explosion en Europe des révolutions et des mouvements pour la liberté, et aussi l'expérience déterminante de la révolution dans les arts. Dès 1823, le jeune Liszt vit à Paris, au cœur de la vie culturelle et politique. Avec l'enthousiasme débordant de la jeunesse, il se jette dans le tourbillon effervescent de la vie et des idées. Le ton de la littérature nouvelle – avec Byron, Heine, Lamartine, Chateaubriand, Hugo, Senancour –, les idées sociales des temps nouveaux – liberté politique de la communauté et libération sentimentale de l'individu –, les idéaux esthétiques – le goût du drame avec pour modèle Shakespeare (puis Beethoven, sur le plan musical), la recherche du particulier et des effets originaux, l'aspiration vers les contrastes aigus, vers l'opposition du sublime et du démoniaque –, tout cela s'est gravé dans son imagination et a exercé sur ses[...]

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Écrit par

  • : diplômée en musicologie à l'académie de musique Franz-Liszt à Budapest, musicologue, docteur de troisième cycle en esthétique et sciences d'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, maître de recherche à l'Institut de musicologie

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Liszt - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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