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LISZT FRANZ (1811-1886)

Rome et la musique liturgique

Au début des années 1860, la situation de Liszt à Weimar devient intenable. Ses rapports avec Carolyne se détériorent, en même temps que son instinct créateur le pousse vers d'autres domaines, vers d'autres buts. Sa nouvelle orientation lui indique le chemin de Rome et de la musique liturgique. Réformer la musique sacrée tombée en désuétude et l'élever à un rang qui soit digne d'elle est pour Liszt une vieille ambition. Après tant de déceptions ressenties sur les plans social et personnel, voici que son aspiration religieuse reprend le dessus. Il a cinquante ans. Il partage toujours les idées de Saint-Simon, mais n'a plus confiance dans l'efficacité de ses réformes sociales et, encore moins, dans celle de l'action révolutionnaire. Le dernier refuge de ses idéaux humanistes est la croyance en Dieu, croyance qui prépare de l'intérieur, par la purification de l'âme, l'amélioration de la société. Dans son orientation politique, Liszt devient partisan de Napoléon III et du pape ; il s'établit en 1861 à Rome, capitale d'un État pontifical moribond et centre momentané d'une idéologie européenne rétrograde. « L'abbé Liszt » croit naïvement que ses idées sur la réforme de la musique d'église trouveront là compréhension et soutien. Ses déconvenues successives l'amèneront plus tard sinon à une volte-face totale, au moins à davantage de discernement (et d'amertume). Néanmoins, il restera fidèle à ses idées sur la musique religieuse et prouvera – par ses œuvres liturgiques, par ses oratorios, unissant la tradition et les tendances modernes, et par ses messes – qu'il ne faut jamais identifier l'œuvre d'un artiste à son idéologie. Dans la musique d'église de la période romaine, dont les débuts remontent à l'époque de Weimar, on retrouve le même ton obstiné des marches « à la hongroise » déjà présent dans ses œuvres instrumentales d'autrefois consacrées à des sujets « révolutionnaires ». La manière hongroise y constitue une unité organique nourrie d'éléments pentatoniques ou modaux qui évoquent le chant grégorien ou la polyphonie vocale de la Renaissance. Les œuvres religieuses et les oratorios les plus importants de Liszt (La Légende de sainte Élisabeth, Christus, Les Cloches de Strasbourg, Messe de Gran, Missa choralis, Messe hongroise pour le couronnement, Requiem, Psaume no 137, etc.) complètent et continuent très brillamment la série des compositions « à la hongroise » de Weimar.

Du point de vue stylistique et biographique, l'époque romaine n'est que transitoire. Liszt n'a pas encore dit son dernier mot. Ce dernier mot sera rude, cruellement dépouillé et sans illusion. Curieusement, c'est l'isolement total (à cette époque, il n'a pour compagnons que ses élèves) et l'abandon de toute illusion qui lui permettent, mieux que jamais, de découvrir la vérité. Ayant renoncé à l'ermitage romain – qui, en définitive, n'aura été qu'une attitude pleine de contradictions –, Liszt « rentre en scène » en 1871 à Weimar et à Pest. Cette année marque le début d'une vie dite « triangulaire », la troisième pointe du triangle se situant à Rome. Durant les quinze dernières années de sa vie, jamais il n'aura eu à affronter autant d'incompréhension, d'intrigues injustes et mesquines, surtout de la part de son entourage hongrois. Mais il n'en est plus affecté, car il a parfaitement conscience que son art tardif ne peut être compris. Sa foi en lui-même et en l'avenir de son œuvre est plus ferme que jamais. Certes, ses compatriotes « ne savent pas ce qu'ils font », quand ils agressent et négligent l'un des plus grands génies de leur temps. Mais il n'en est pas troublé, car il sait que, quand il organise, enseigne et accepte la présidence de l'Académie de musique qu'il a fondée, il n'agit pas pour le présent. Comme si,[...]

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Écrit par

  • : diplômée en musicologie à l'académie de musique Franz-Liszt à Budapest, musicologue, docteur de troisième cycle en esthétique et sciences d'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, maître de recherche à l'Institut de musicologie

Classification

Pour citer cet article

Marta GRABOCZ. LISZT FRANZ (1811-1886) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Liszt - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Liszt

Liszt et ses amis - crédits : Three Lions/ Hulton Archive/ Getty Images

Liszt et ses amis

Autres références

  • SONATE POUR PIANO EN SI MINEUR (F. Liszt)

    • Écrit par Pierre BRETON
    • 278 mots

    Née à la fin du xviie siècle sous la plume de Johann Kuhnau – dont les six célèbres « sonates à programme » des Histoires bibliques sont éditées en 1700 –, la sonate pour clavier prend d'abord la forme de courts et brillants exercices : les Essercizi per gravicembalo (clavecin)...

  • ALBÉNIZ ISAAC (1860-1909)

    • Écrit par André GAUTHIER
    • 1 685 mots
    • 1 média
    ...retrouve peu après à Bruxelles, grâce à une bourse d'études offerte par le roi Alphonse XII, puis, en 1880, à Budapest, où il réalise son rêve de rencontrer Liszt. Il accompagne le vieux maître à Rome et à Weimar, apprenant de lui, plus que les derniers secrets de la virtuosité transcendante, la portée universelle...
  • ARRANGEMENT, musique

    • Écrit par Michel PHILIPPOT
    • 4 319 mots
    • 1 média
    ...d'arrangements célèbres et fort différents : le premier par Berlioz, sous le titre de Marche hongroise dans son oratorioLa Damnation de Faust, le second par Liszt dans sa Quinzième Rhapsodie pour piano. D'autres fois, les arrangements s'adressaient à des œuvres que nous estimons classiques mais qui, au moment...
  • ATONALITÉ

    • Écrit par Juliette GARRIGUES, Michel PHILIPPOT
    • 4 382 mots
    • 9 médias
    ...utiliser, pour terminer une œuvre musicale, la cadence parfaite et, progressivement, à abandonner jusqu'à l'accord parfait sur la tonique comme accord final. Il semble que le premier musicien qui se soit permis cette licence ait été Liszt, dans deux pièces pour piano intitulées Trübe Wolken (Nuages gris...
  • BARTÓK BÉLA (1881-1945)

    • Écrit par Jean GERGELY
    • 7 809 mots
    • 2 médias
    ...fervent exprimé dans un langage musical allemand » d'après Kodály. Mais il dépasse ses modèles. La Rhapsodie op. 1 est plus lisztienne que la musique de Liszt d'une certaine époque, tout comme les Études. Dans les deux Suites, sa personnalité s'affirme intégralement ; à côté des éléments du passé...
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Voir aussi