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KAFKA FRANZ (1883-1924)

Franz Kafka - crédits : Imagno/ Hulton Archive/ Getty Images

Franz Kafka

Franz Kafka passe un peu partout pour le symbole même de la littérature d'avant-garde. Son œuvre étant des plus énigmatiques, elle a donné lieu à une foule d'interprétations plus ou moins ingénieuses, qui ont toutes le défaut d'être extérieures aux textes, et de refléter moins la réalité vivante de l'écrivain que les diverses idéologies ayant sur le moment la faveur des critiques. Aussi le Kafka connu par les exégèses n'a-t-il pas grand-chose de commun avec celui qui, entre 1912 et 1924, a travaillé dans le silence et la solitude, sans autre ambition que de décrire, en toute vérité et discrétion, ce qu'il appelait son impossibilité de vivre.

Procès de la littérature

Le possédé de l'art

L'une des particularités les plus remarquables de cette œuvre déroutante, c'est qu'elle entremêle à ses thèmes romanesques des motifs moins apparents, qui tous ont trait à l'existence même de l'écrivain et aux problèmes de la création. Ici, en effet, la littérature est toujours liée d'une manière ou d'une autre à ce qui arrive au héros, elle est le principe au nom duquel l'individu espère et lutte, l'instance toute-puissante qui le séduit, mais qui, le vouant finalement à l'échec, est impliquée comme lui dans un obscur procès. Non que Kafka enferme dans ses récits une philosophie de la littérature ou une théorie esthétique, il n'a pas l'esprit théoricien, à peine trouverait-on dans ses récits quelques pages de réflexion abstraite qui sont des notes personnelles, le plus souvent ambiguës, et fort éloignées des préoccupations esthétiques des contemporains. Mais la littérature était sa passion, au sens profane comme au sens religieux du mot. Un amour donc, et un calvaire, avec ce que ces deux ordres d'expérience supposent de caractère pathologique et de dynamisme exemplaire. Pathologique, car la passion ici en vient, à force de déchirement, à se nier elle-même et à détruire son propre objet. Exemplaire malgré tout, par la vérité intransigeante de l'expérience vécue qui, en dépit ou plutôt à cause de son extrême singularité, donne à connaître non seulement le malaise de l'écrivain isolé, mais une situation tout à fait générale de l'art avec ses questions, ses contradictions, sa frivolité, son tragique.

Il s'en faut que cette passion s'exprime seulement en dictant à Kafka ses exigences de justesse et de perfection. Elle est bien plutôt ce qui s'écrit, ce qui se représente soi-même dans le contexte romanesque et, de la sorte, devient un thème, l'un des plus constants et des plus riches, le plus original peut-être de son monde fictif. Kafka, qui disait : « Tout ce qui n'est pas littérature m'ennuie et je le hais, même les conversations sur la littérature », n'a rien écrit qui ne rende avec le dernier sérieux la réalité de ce sentiment exclusif : possédé et déchiré par l'écriture, c'est sa passion, sa « croix » qu'en vérité il donne à porter à ses héros.

L'écrivain est donc partout dans ce monde imaginaire qui paraît tout à la fois familier et affecté d'une étrange folie. Mais pour répondre à la situation inextricable où il se trouve en face de la littérature et de la société de son temps, il est partout déplacé, dénaturé, privé de ses attributs reconnaissables, dé-nommé en quelque sorte. Par une ironie dont lui seul sans doute pouvait sentir toute l'amertume, ce possédé de l'art est dépossédé de tous ses traits personnels, de la fonction qui remplit sa vie, de sa plume et même de son nom : il ne lui reste que sa passion têtue et apparemment absurde pour un idéal apparemment chimérique.

À quoi reconnaît-on ces figures d'écrivains qui, bien entendu, n'ont avec Kafka aucune ressemblance extérieure et sont en général reléguées dans[...]

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Pour citer cet article

Marthe ROBERT. KAFKA FRANZ (1883-1924) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Franz Kafka - crédits : Imagno/ Hulton Archive/ Getty Images

Franz Kafka

Autres références

  • FRANZ KAFKA (Cahier de l'Herne)

    • Écrit par Jacques LE RIDER
    • 1 075 mots

    « Que serait Kafka “après son siècle” ? » se demandent Jean-Pierre Morel et Wolfgang Asholt, les maîtres d’œuvre du Cahier de L'Herne (2014) consacré à l’écrivain, faisant allusion au titre de l'exposition Le Siècle de Kafka conçue par Yasha David au Centre Georges-Pompidou...

  • KAFKA EN REPRÉSENTATION (mises en scène F. Tanguy et M. Langhoff)

    • Écrit par David LESCOT
    • 1 517 mots

    Mis à part Le Gardien de tombeau, une pièce énigmatique et relativement méconnue, Franz Kafka n'a pas écrit pour le théâtre. On recense pourtant de nombreuses tentatives de porter son œuvre à la scène (Le Procès, créé dernièrement au festival d'Avignon par Dominique Pitoiset,...

  • LA MÉTAMORPHOSE, Franz Kafka - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre DESHUSSES
    • 1 060 mots

    D’Homère et Ovide àIonesco en passant par les contes de Perrault, le thème de la métamorphose n’est pas nouveau dans la littérature. Mais si Kafka (1883-1924) s’inscrit dans un sillage littéraire, il donne à cette variation une dimension si riche et complexe qu’elle a suscité bien des interprétations,...

  • LE CHÂTEAU, Franz Kafka - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre DESHUSSES
    • 1 254 mots
    • 1 média

    La légende veut que ce soit à la « trahison » d’un ami que nous devions de pouvoir lire Le Château. Dans une de ses dernières lettres à Max Brod, qu’il a connu à Prague dès 1902, Franz Kafka (1883-1924) écrit en effet, le 29 novembre 1922 : « De tout ce que j'ai écrit, seuls sont...

  • LE PROCÈS, Franz Kafka - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques LE RIDER
    • 1 102 mots
    • 1 média

    L'œuvre la plus connue de Kafka (1883-1924), Le Procès, roman emblématique du xxe siècle, a suscité des milliers de pages de commentaires et d'interprétations, dont la variété met en évidence l'extraordinaire richesse de ce récit, dont la langue et le sens apparent sont aussi transparents...

  • PROCÈS (mise en scène K. Lupa)

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 982 mots
    • 1 média

    Découvert en France en 1998 avec une adaptation des Somnambules, roman de l’écrivain autrichien Hermann Broch, le metteur en scène polonais Krystian Lupa, devenu une personnalité majeure de la scène européenne, puise de nouveau dans un registre littéraire, comme il l’avait fait avec Robert...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...nouveau. On notera toutefois que, jusqu'au milieu du siècle, la plupart des grandes découvertes sont issues de l'ancien espace de la monarchie austro-hongroise : Hofmannsthal, Rilke, Trakl, Kafka, Musil, Broch et d'autres encore. Mais que reste-t-il, à vrai dire, d'autrichien chez Rilke ou chez Kafka ?
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    • Écrit par Jean BRUN
    • 2 552 mots
    • 1 média
    ...s'accentuant, à partir du moment où l'existence ne sera plus dévorée par le problème de la subsistance et se trouvera vraiment face à face avec elle-même ? Kafka, cet incomparable témoin de notre temps, pourrait nous aider à cerner ce problème de plus près. L'angoisse, qui est au centre de son œuvre, naît...
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    • Écrit par Michèle TAUBER
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    • 1 média
    L'œuvre de Kafka est à l'origine de ce « retour à la maison ». En le lisant, Appelfeld découvre que l'allemand de Kafka fait partie de son être le plus intime, et qu'il s'agit bien de la langue « juive-allemande » familière de son enfance. De plus, Kafka incarne une sorte de maître en ce qui concerne...
  • BROD MAX (1884-1968)

    • Écrit par Lore de CHAMBURE
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    Écrivain, philosophe, dramaturge, compositeur, Max Brod, sur la scène culturelle du demi-siècle passé, compte au nombre des personnalités les plus diverses que l'on connaisse. Pourtant sa réputation tient moins à l'œuvre qu'il laisse qu'au renom dont il jouit comme éditeur et interprète de Kafka....

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