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LA MÉTAMORPHOSE, Franz Kafka Fiche de lecture

D’Homère et Ovide àIonesco en passant par les contes de Perrault, le thème de la métamorphose n’est pas nouveau dans la littérature. Mais si Kafka (1883-1924) s’inscrit dans un sillage littéraire, il donne à cette variation une dimension si riche et complexe qu’elle a suscité bien des interprétations, notamment à cause de l’animal en lequel le héros se retrouve incarné : un insecte immonde qui hante bien des angoisses profondes. Cette nouvelle, écrite en novembre-décembre 1912 mais publiée seulement en 1915, a été traduite plusieurs fois en français, et chaque traducteur a donné une interprétation différente du mot allemand Ungeziefer que Kafka utilise ‒ une seule fois d’ailleurs ‒ pour désigner cet animal. Alexandre Vialatte (1938) opte pour le mot « vermine », qui est la traduction la plus proche, Bernard Lortholary (1988) choisit de traduire par « monstrueux insecte », Claude David (1989) parle de « cancrelat » et Jean-Pierre Lefebvre (2018) d’« énorme bestiole ». Quant à Nabokov, il tient dans ses commentaires de l’œuvre au terme de « scarabée ». Quelles que soient les divergences, ce qui importe, c’est de choisir un terme qui évoque et provoque autant de dégoût que le mot allemand. Dans une lettre du 24 novembre 1912 à Felice Bauer, qu’il a connue quelques mois plus tôt et qui va devenir sa fiancée, Kafka parle d’ailleurs d’une histoire « excessivement répugnante »

Changer de corps

Un beau matin, un jeune homme, Gregor Samsa (la double assonance du nom peut faire penser à celui de Kafka), s’aperçoit qu’il a perdu sa forme humaine : « En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. » Paradoxalement, la fin du rêve annonce le début du cauchemar pour Gregor mais aussi pour sa famille : son père, sa mère et sa sœur Grete. Cette dernière est la seule à faire preuve de commisération, alors que les parents sont horrifiés, tout comme le fondé de pouvoir venu aussitôt voir pourquoi Gregor, représentant en laine et étoffe, n’est pas allé au travail ce matin-là. Étrangement, Gregor semble le moins effrayé et se dit simplement : « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? », avant de se plaindre du mauvais temps et de se lamenter sur les difficultés de son métier de commis voyageur : « Ah, mon Dieu, quel métier fatigant j’ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent bien plus qu’au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir le tracas des déplacements, le souci des correspondances ferroviaires, les repas irréguliers et mauvais. » À vrai dire, on ignore pourquoi Gregor s’est transformé, et comme Kafka évite le « pourquoi » pour se concentrer sur le « quoi », le surnaturel prend des allures d’évidence. Dès lors, le fantastique de la métamorphose est oblitéré par l’importance du quotidien, forçant le lecteur à accepter l’invraisemblable.

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Pierre DESHUSSES. LA MÉTAMORPHOSE, Franz Kafka - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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