BRAUDEL FERNAND (1902-1985)

Trois passions ont occupé la vie intellectuelle de Fernand Braudel, l’un des plus importants historiens du xx^e siècle : la mer Méditerranée à laquelle il consacre une thèse novatrice, plusieurs fois reprise et développée ; l’histoire du capitalisme à l’échelle des économies-mondes ; l’organisation des sciences sociales, qui mobilise une bonne part de son énergie dans l’après-guerre.

Une carrière atypique

Fernand Braudel, né à Luméville-en-Ornois (Meuse) le 24 août 1902, ambitionne d’abord de devenir médecin, mais il s'oriente vers l'histoire. Il obtient sa licence à la Sorbonne et il est reçu à l’agrégation d’histoire en 1923. Professeur de lycée à Constantine puis à Alger, il séjourne en Algérie jusqu’en 1932, avec une interruption en 1925-1926 pour effectuer son service militaire en Allemagne. Ce séjour est décisif car il lui fait connaître l’Afrique du Nord et l’autre rive de la mer Méditerranée, qui prend peu à peu une place importante dans les réflexions et les recherches qui alimenteront sa thèse. Il reconnaît s’être mis « tardivement » sur la route de ce qui sera sa passion, entre 1927 et 1933, dévorant et microfilmant les archives de Simancas, en Espagne, étendant son travail dans les bibliothèques et les archives de nombreuses villes italiennes et finalement celles de Dubrovnik, en Croatie, fidèlement secondé par sa femme Paule, « sans aucune hâte » pour fixer définitivement son sujet. Un séjour également décisif au Brésil (1935-1937), où il participe à l’organisation de l’université de São Paulo, lui offre un nouveau point de vue et le temps de lire les « kilomètres de microfilms » accumulés et souvent développés par lui-même.

De retour en France, ses relations intellectuelles deviennent plus étroites avec l’école des Annales, en particulier Lucien Febvre avec qui il entame une correspondance suivie. Il est nommé dès 1937 à la IV^e section de l’École pratique des hautes études (EPHE), mais la guerre interrompt son travail (il est mobilisé dès 1938) qu’il reprend malgré tout, de mémoire, lors de sa captivité en Allemagne (juin 1940-mai 1945). Soutenue en mars 1947 à la Sorbonne, publiée en 1949, sa thèse de doctorat LaMéditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe IIconstitue un événement historiographique. Par son ambition, sa conception mais aussi son écriture, elle s’impose d’emblée comme une œuvre exceptionnelle, à nulle autre pareille, et annonce, selon l’expression de Lucien Febvre, « une mutation historique d’importance capitale ». Braudel y a non seulement investi près de vingt ans de recherches d’une ampleur inhabituelle, fruit de travaux d’archives considérables et de nombreuses lectures qu’il complétera encore pour la réédition de 1966, mais la Méditerranée a été pour lui plus qu’un sujet, une véritable expérience, un laboratoire qui lui a permis de développer sa conception de l’histoire.