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FAMILLE Les enjeux de la parentalité

La famille est une construction sociale. Les diverses formes qu'elle a adoptées tout au long de l'histoire nous obligeraient, par souci de précision, à utiliser le terme au pluriel – familles plutôt que famille – ou même à parler d'« agencement familial », pour nous référer aussi, avec plus de justesse, aux nouvelles formes de cohabitation contemporaines. La famille, au singulier, en tant que modèle d'organisation de la vie privée, s'impose souvent comme une évidence malgré les contours disparates que cette institution prend dans la vie réelle. Il n'est pas question ici de présenter une histoire des familles, ni non plus un essai sur la sociologie des familles et encore moins une étude sur les politiques familiales. Notre travail consiste à expliquer comment les relations familiales tendent selon nous à s'affranchir de toute forme de naturalisme, provoquant une rupture avec l'ordre familial traditionnel et produisant un pluralisme de l'organisation de la vie intime.

Quelques pistes de réflexion permettent de concevoir autrement notre relation à la procréation, à la filiation, à la parenté et en ultime instance à la famille en plaçant ces institutions dans leur dimension historique et en rappelant les principales règles civiles en la matière. La naturalisation de la famille n'est pas le propre de la pensée théologique, elle persiste également chez les théoriciens contractualistes, alors même que ce sont eux qui ont poussé le plus loin la conception culturaliste des liens sociaux.

L'ordre familial « naturel »

Ainsi, Rousseau affirme dans son essai fameux Du contrat social (livre I, chap. II), que « la plus ancienne de toutes les sociétés, et la seule naturelle, est celle de la famille ». Locke voit dans celle-ci la communauté la plus proche de l' état de nature. L'ordre patriarcal est présenté par ces auteurs comme allant de soi et servant même de prototype pour l'organisation sociale. Rousseau conclut ainsi que : « La famille est donc, si l'on veut, le premier modèle des sociétés politiques : le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants ; et tous, étant nés égaux et libres, n'aliènent leur liberté que pour leur utilité. » La rupture avec le naturalisme en matière politique n'a pas trouvé chez les libéraux un équivalent en matière familiale. Ni Hobbes ni Rousseau ni Locke ni Tocqueville ni Benjamin Constant ni, plus près de nous, John Rawls n'ont pris comme objet d'analyse les dynamiques familiales. Les outils intellectuels pour une analyse critique de celles-ci ne manquaient pourtant pas. Mais le sujet fut sans doute considéré comme mineur, trop « domestique » comparé aux grandes théories du politique. Pourtant, c'est au sein du modèle familial que s'articulent les formes les plus archaïques du pouvoir. En renvoyant la famille à l'espace « naturel », les grands théoriciens du politique se sont privés d'un terrain d'observation et d'analyse particulièrement fécond. La situation est si étonnante qu'il est légitime de se demander si cette naturalisation de la famille ne constitue pas la limite effective de leur pensée. Les effets de cette négligence (volontaire ou involontaire) n'ont pas tardé à se faire sentir : la famille deviendra l'espace le plus tardif à être politisé et le plus difficile à démocratiser. Pourtant, le caractère historique de la famille a été démontré par tous les courants sociologiques depuis le xixe siècle. Engels expliquait les dynamiques familiales à partir des rapports sociaux de production. La famille étendue d'origine rurale cesse d'être la norme vers la fin du xixe siècle, période qui donnera naissance à la famille « nucléaire » (Parsons, 1937), laquelle devient bientôt « incertaine » (Roussel, 1989). En moins[...]

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Écrit par

  • : professeur de droit privé à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, chercheur associé au C.N.R.S., Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques, université de Paris-II-Panthéon-Assas

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